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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


LE SYMBOLE DE LA CROIX
Le Front Souriant
Chapitre 51
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

Beaucoup pensent que ce symbole a existé depuis l'époque de Jésus-Christ, et il est certain qu'il devint plus connu après l'époque du Maître, mais en fait c'est un ancien symbole connu à diverses époques et en tous temps connu des mystiques. Le mystère du symbole contient une grande vérité.

 

Il y a deux côtés à ce mystère. L'un concerne le voyage vers l'idéal spirituel, l'atteinte d'un idéal spirituel; et si une quelconque image peut en être donnée, ce ne peut être une meilleure image qu'une croix. L'autre côté de ce mystère représente la destinée d'un maître, montrant ce qu'il doit rencontrer en donnant le message de la vérité.

 

En dehors de cela, la croix est un signe naturel que l'homme a toujours fait et qui vient de sa faculté artistique ou de raisonnement. C'est la nature de la lumière d'étendre des rayons, spécialement quand la lumière est dans sa perfection. Par exemple, quelquefois en regardant le soleil - en particulier le soleil couchant - l'on voit des lignes se former dans le ciel et sur la terre: d'abord il y a une ligne verticale et si l'on observe cette première ligne attentivement, une ligne horizontale se développe à partir d'elle. Par une fine observation de la lumière l'on peut constater qu'il est de la nature de la lumière de former une ligne verticale et une ligne horizontale. Si c'est la nature de la lumière extérieure de former une croix c'est aussi la nature de la lumière intérieure: la lumière extérieure est la réflexion de la lumière intérieure, et c'est la nature de la lumière intérieure qui est exprimée dans la lumière extérieure. Ainsi l'on peut voir que non seulement la lumière intérieure est manifeste dans la lumière extérieure, mais que la lumière extérieure est l'image de la lumière intérieure.

 

Nous pouvons aussi voir en observant les formes de la nature, la forme d'un arbre, d'une plante, d'une fleur, les formes des animaux et des oiseaux, et enfin la forme très développée et perfectionnée de l'être humain, qu'elles représentent toutes une croix. L'on peut voir une croix en observant la formation de la tête de l'homme, l'autre croix peut être vue dans la forme entière de l'espèce humaine: c'est toujours une ligne horizontale et une ligne perpendiculaire qui suggère le symbole de la croix. Il n'y a pas de forme qui n'ait une ligne horizontale et une ligne perpendiculaire, et ce sont ces deux différents aspects ou directions qui forment la croix. De cette manière l'on peut comprendre que dans le mystère de la forme est cachée la croix.

 

Revenons-en maintenant au premier mystère mentionné plus haut, à savoir que le voyage de l'homme vers l'idéal spirituel peut être dessiné comme une croix; en premier lieu l'ego de l'homme, le moi de l'homme, est son ennemi et se tient comme un empêchement à sa progression. Des sentiments tels que l'orgueil, la vanité, l'égoïsme, la jalousie, l'envie et le mépris qui blessent les autres détruisent notre propre vie en la rendant pleine de la misère qui vient de ce sentiment personnel égoïste, cet ego de l'homme. Plus égoïste, plus vaniteux il est, plus misérable est la vie qu'il a dans le monde, et plus il rend misérable la vie des autres. Il semble que cet ego, qu'en termes soufis l'on appelle nafs, soit un développement naturel dans la vie ou le cœur de l'homme. Plus il connaît le monde, plus il devient égoïste, plus il comprend et plus il a l'expérience du monde, plus avaricieux il devient.

 

Ce n'est pas que l'homme apporte ses fautes avec lui. Il vient avec l'innocence, avec les sourires innocents du petit enfant, l'ami de chacun de ceux qui s'approchent de lui, prêt à sourire et prêt à jeter son regard aimant sur chacun, qu'il soit indifféremment riche ou pauvre, ami ou ennemi; attiré par la beauté sous toutes les formes. C'est cela qui dans le petit enfant attire tous les êtres. Cela montre que l'âme qui vient avec une telle pureté de cœur, pureté dans l'expression, beauté dans chaque mouvement qu'elle fait, cette même âme développe dans sa nature, à mesure qu'elle grandit dans le monde, tout ce qui est blessant et nuisible pour elle-même et pour les autres. Cela montre aussi que c'est dans le monde que, se développant, elle crée tout cela, et cette création est appelée nafs ou ego. Et cependant dans la profondeur du cœur il y a cette bonté qui est la bonté divine, cette droiture que l'homme a héritée du Père dans les cieux.

 

Une nostalgie de la joie, du repos et de la paix est en lui, et cela montre que dans l'homme il y a deux natures: l'une qui est dans la profondeur de son cœur, l'autre qui s'est développée depuis sa venue sur la terre. Un conflit s'élève, une lutte, entre ces deux natures, lorsque la nature qui est dans la profondeur commence à sentir qu'elle languit pour quelque chose, qu'elle aspire à quelque chose et sent qu'elle doit l'avoir: elle doit avoir de la bonté pour les autres personnes, elle doit avoir la paix dans la vie. Et quand elle ne peut les trouver le conflit intérieur commence.

 

L'homme crée sa propre dysharmonie dans son âme et ensuite traite les autres de la même manière; de sorte qu'il n'est pas satisfait de sa propre vie, et il n'est pas non plus satisfait des autres parce qu'il trouve qu'il a à s'en plaindre, bien qu'il en soit surtout la cause. Ce qu'il donne, il le reçoit, mais il ne le voit jamais. Il pense toujours que ce que désire tant la profondeur de lui-même: l'amour, la bonté, la droiture, l'harmonie et la paix, tout le monde doit le lui donner. Mais quant à lui, lorsqu'il s'agit de donner, il ne donne pas parce qu'il vit dans l'autre vie qu'il a créée. Cela rend clair qu'en chaque homme un être est créé: cet être est appelé nafs et c'est le même que la conception de Satan qui a toujours existée dans les écritures et les traditions.

 

Les gens ont bien des fois divisé le monde entre deux esprits: une petite partie de l'humanité pour Dieu et une grande part de l'humanité pour Satan, rendant ainsi le contrôle de l'esprit satanique peut être plus grand que le contrôle de Dieu. Mais si l'on pouvait seulement comprendre le sens de l'idée de Satan, l'on comprendrait que c'est cet esprit d'erreur qui s'est collecté et rassemblé dans l'homme après sa venue sur la terre. C'est le nafs et il se dresse comme Satan, égarant toujours l'homme et fermant les yeux de son cœur à la lumière de la vérité.

 

Mais quand une révolution vient dans la vie d'un homme, aussitôt qu'il commence à voir profondément dans la vie, à acquérir la bonté - à ne pas seulement prendre mais à donner - aussitôt qu'il commence à apprécier non seulement la sympathie des autres, mais le fait de donner sa sympathie aux autres, alors vient une période où il commence à voir cet esprit satanique comme en dehors de son être originel vrai, se dressant devant lui en conflit constant avec sa propre force, liberté et inclination naturelles. Il constate alors que parfois il peut faire ce qu'il désire, et que parfois cet esprit prend possession de lui et ne lui permet pas de faire ce qu'il désire. Parfois il se trouve faible dans cette lutte et parfois il se trouve fort. Son expérience est que lorsqu'il se trouve fort dans ce combat il est reconnaissant et satisfait, et que quand il s'y sent faible il se repend, il a honte de lui-même et désire se modifier.

 

C'est la période où une autre époque commence dans la vie de l'homme; à partir de ce moment il y a un conflit constant entre lui et cet esprit qui est son ego. C'est un conflit, c'est une sorte d'empêchement à son attitude naturelle, son inclination naturelle à faire le bien et ce qui est droit. Il rencontre sans cesse cet esprit parce qu'il a été créé dans son propre cœur et est devenu une partie de son être. C'est un être très solide et substantiel, aussi réel peut-être qu'il se sent lui-même exister, et en grande partie plus réel: quelque chose de réel dans les profondeurs de son être qui est recouvert par cela. Ce conflit constant entre son véritable être originel et ce moi qui empêche son progrès spirituel est représenté sous la forme d'une croix.

 

Cette croix un homme la transporte pendant sa progression. Ce sont les vilaines passions, c'est l'amour du confort, c'est la satisfaction éprouvée dans la colère et la méchanceté qu'il a à combattre d'abord. Quand il les a conquis, la difficulté suivante qu'il doit rencontrer est un ennemi encore plus subtil de lui-même dans sa propre mentalité: la susceptibilité à ce que disent les autres, à l'opinion que les autres ont de lui. Il est anxieux de savoir quelle opinion les autres ont de lui, ce que tout un chacun dit de lui, ou si de quelque façon sa dignité ou sa situation en souffrent. Là encore, le même ennemi, le nafs, campe sur une autre position, et la crucifixion a lieu quand l'idée du moi, ce nafs, est combattue - jusqu'à ce que vienne la compréhension qu'il n'existe pas de moi devant la vision de Dieu.

 

C'est cela qui est la vraie crucifixion, mais avec cette crucifixion il en vient une autre, qui a toujours suivi et par laquelle toute âme doit passer; la perfection de toute âme, la libération de toute âme réside dans cette crucifixion. C'est cette partie de son être, qu'il a créée en lui-même qui est crucifiée, non pas son moi réel, bien que sur le moment il semble toujours qu'il ait crucifié son propre moi.

 

Ce n'est pas le rejet du moi, c'est le faux moi qui est rejeté. Le mystère de la perfection réside dans l'annihilation, non pas dans l'annihilation du moi réel, mais du faux moi, de la fausse conception que l'homme a nourrie dans son cœur et à laquelle il a toujours permis de torturer sa vie. Ne voyons-nous pas cela parmi nos amis et connaissances? Chez ceux qui nous attirent et que nous aimons et admirons profondément il y a seulement une qualité qui peut réellement nous attirer: en dehors de tous nos autres intérêts dans la vie c'est la seule personnalité de l'homme qui nous attire. Ce n'est pas seulement que cet effacement de soi et le degré de cet effacement de soi nous attire, mais ce qui nous repousse dans la vie des autres n'est rien d'autre que la rudesse de leur nafs, que l'on pourrait appeler aussi l'épaisseur et la dureté de cet esprit.

 

L'enseignement du Christ quand il a dit: "Bienheureux les pauvres en esprit", est peu compris. Il ne veut pas dire pauvres en esprit divin, mais pauvre en cet esprit créé par le moi. Ceux qui sont pauvres en cet esprit créé par le moi sont riches en esprit divin, et ceux qui sont riches en esprit divin sont pauvres en cet esprit créé par le moi. Le terme qui est utilisé dans les Écritures pour nafs est cet esprit de rudesse - ou "esprit" - mais un meilleur terme est ego.

 

Il y a toujours eu deux tendances: l'une de sincérité et l'autre d'insincérité et de fausseté. Elles ont toujours travaillé ensemble: le faux et le vrai ont toujours existé dans la vie et la nature. Là où il y a de l'or vrai il y en a du faux; là où il y a un vrai diamant il y en a une imitation; là où il y a des gens sincères il y en a d'insincères. Dans chaque aspect de la vie, dans la vie de la spiritualité, dans l'acquisition du savoir, dans les arts et les sciences, nous pouvons constater la sincérité et l'insincérité. Et la seule manière de reconnaître le développement spirituel est de comprendre jusqu'à quel point il y a effacement de soi.

 

Quelles que soient les prétentions d'une personne à la spiritualité et le désir qu'elle a d'être religieuse ou spirituelle ou bonne, rien ne peut cacher sa vraie nature, car il y a la tendance constante de cet ego à surgir au-dehors. Il surgira sans que l'homme le contrôle, et si celui-ci est insincère il ne pourra le cacher. Tout à fait comme le diamant d'imitation, aussi brillant qu'il soit, est terne comparé au vrai, et quand il est éprouvé et examiné prouvera qu'il est une imitation, ainsi le progrès spirituel réel doit se prouver dans la personnalité d'un être. C'est la personnalité qui doit prouver qu'il a touché ce plus grand Moi où le moi n'existe pas.

 

Venons-en maintenant au prochain et plus grand mystère de la croix. L'on peut voir ce mystère dans la vie des Messagers, des prophètes et des êtres saints. En premier lieu personne n'a accès dans le royaume de Dieu, dans la demeure de Dieu, qui n'a pas été crucifié comme je viens de le dire. Il y a un poème du grand poète Persan Iraqi dans lequel il raconte: "Quand j'arrivai à la porte du Divin Bien-Aimé et que je frappai, une voix vint et dit - Qui es-tu?" Quand il eut répondu: "Je suis Un Tel", la réponse vint: "Il n'y a de place pour quiconque d'autre dans cette demeure. Retourne-t-en là d'où tu viens". Il s'en retourna et puis, après un temps très long, après être passé par le processus de la croix, il revint, avec l'esprit de l'effacement de soi. Il frappa à la porte; la voix vint: "Qui es-tu?", et il répondit: "Toi seul, car nul n'existe sauf Toi". Et Dieu dit: "Entre dans cette demeure car maintenant elle t'appartient". C'est un tel abandon de soi, jusqu'au point où l'idée du moi n'existe plus, c'est être mort au moi, qui est reconnaître Dieu.

 

L'on trouve cet esprit à un degré mineur dans l'amant et l'aimée ordinaires, quand une personne en aime une autre du fond de son cœur. Celui qui dit: "Je vous aime mais jusque-là seulement: je vous aime et je vous donne six pence mais je garde six pence pour moi, je vous aime mais je me tiens à distance et je ne viens jamais plus près, nous sommes des êtres séparés", son amour est pour lui-même. Aussi longtemps qu'il en est ainsi, l'amour n'a pas fait tout son travail. L'amour accomplit son travail lorsqu'il étend ses ailes et voile le moi de l'homme à ses propres yeux. C'est le moment où l'amour est accompli, et ainsi en est-il dans la vie des êtres saints qui n'ont pas seulement aimé Dieu en en faisant profession, ou en le montrant, mais qui ont aimé Dieu au point qu'ils se sont oubliés eux-mêmes. C'est cet état de réalisation de l'être qui peut être appelé une croix.

 

Alors de telles âmes ont partout une croix; chaque mouvement qu'elles font, elles en font une croix, une crucifixion. En premier lieu, parce qu'elles vivent dans le monde, un monde rempli de fausseté, rempli de tricherie, de tromperie et d'égoïsme, chaque mouvement qu'elles font, chaque action qu'elles accomplissent, tout ce qu'elles disent et pensent, prouve que leurs yeux et leurs cœurs sont ouverts à quelque chose d'autre qu'à ce que le monde regarde. C'est un conflit constant. C'est vivre dans le monde, vivre parmi les gens du monde et cependant regarder un endroit différent de ce que voit le monde. S'ils essayaient de parler ils ne pourraient pas. Les mots ne peuvent pas exprimer la vérité, le langage est trop inapproprié pour donner une conception réelle de la vérité ultime. Comme il est dit dans le Vedânta, et comme on l'a dit dans les anciens temps, le monde est maya. Maya veut dire quelque chose d'irréel, et pour ces âmes le monde devient des plus irréels aussitôt qu'elles commencent à voir le réel; et quand elles comparent le monde avec cette réalité il semble encore plus irréel. Personne au monde ne peut imaginer jusqu'à quel point ce monde se manifeste ainsi à leurs yeux.

 

Pensez aux gens qui sont bons - et pourtant ne sont pas arrivés à la perfection spirituelle - qui sont sensibles, tendres et bienveillants, et voyez comment le monde les traite, comment ils sont mal compris. Voyez comme ce qu'il y a de meilleur est pris par les égoïstes, comment celui qui est généreux doit donner de plus en plus, comment celui qui sert doit servir de plus en plus, et pourtant sans satisfaire le monde. Combien la vie est discordante pour ceux-là! Et puis pensez à ceux qui sont arrivés à un tel état de réalisation qu'il y a un abîme entre le réel et l'irréel. Quand ils arrivent à cette réalisation leur langage n'est pas compris: ils sont forcés de parler dans une langue qui n'est pas la leur et de dire quelque chose de différent de ce qu'ils comprennent. C'est plus qu'une croix. Ce n'est pas que Jésus-Christ seul ait eu une croix, mais chaque maître qui a une portion du message est une croix.

 

Mais vous pourrez dire alors: "Les maîtres de l'humanité qui sont venus à toutes les époques et ont eu une telle croix à porter, pourquoi ne sont-ils pas allés dans les forêts, dans les cavernes, dans les montagnes, pourquoi sont-ils restés dans le monde?" Il y a une très belle image que Djalal-ud-Din-Roumi a donnée. Il dit que la mélodie de la flûte de roseau adresse un grand appel à votre cœur. C'est - dit-il dans son poème - parce que d'abord il a été coupé de sa tige d'origine, puis dans son cœur des trous furent pratiqués, et depuis que les trous ont été faits dans le cœur, le cœur a été brisé et il a commencé à pleurer. Ainsi en est-il de l'esprit du Messager, de l'esprit du maître: en portant et en emmenant sa croix, son moi devient comme un roseau: creux. Il y a une possibilité pour le Joueur de jouer Sa mélodie quand il est devenu rien; alors le Joueur le prend pour jouer Sa mélodie. S'il y avait encore quelque chose en lui, le Joueur ne pourrait pas l'utiliser.

 

Dieu parle à chacun, non seulement aux Messagers et aux maîtres. Il parle aux oreilles de chaque cœur, mais ce ne sont pas tous les cœurs qui entendent. Sa voix est plus forte que le tonnerre et Sa lumière est plus claire que le soleil - si seulement on pouvait la voir, si seulement on pouvait l'entendre. Afin de la voir et de l'entendre l'homme devrait enlever ce mur, cette barrière qu'il a faite de son moi. Alors il deviendra la flûte sur laquelle le divin Joueur pourra jouer la musique d'Orphée qui peut charmer même les cœurs de pierre; alors il s'élèvera de la croix jusque dans la vie éternelle.

 

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