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Sayyed Abu Hashim Madani


LA RENCONTRE DU MURSHID


 

Ainsi un jour Inayat alla avec son ami à la maison de Maulavi Omar qui était à ce moment la personne la plus estimée à Hyderabad dans le monde spirituel. Il donna cordialement la bienvenue à Inayat et à son ami, mais quand on lui demanda s'il voulait entreprendre de guider Inayat il dit, "Non, je vous prie de m'excuser. Je ne puis imaginer de prendre ce jeune homme comme mourîd. Je le regrette beaucoup, mais je sens qu'il y a quelqu'un, que je ne connais pas, qui doit être celui qui lui convient". Ainsi la recherche du guide continua, le guide qui était devenu si nécessaire à cette période de la vie d'Inayat.

Un jour il leur arriva de visiter un grand sage de Hyderabad qui était un homme très instruit, Moulana Khair-ul-Mubin. Pour entendre cet homme prêcher, le Nizâm venait et se tenait en toute révérence dans un coin où il pouvait trouver une place. Avec toute sa grandeur, c'était l'extrême humilité de Moulana qui attirait beaucoup Inayat. Quand l'ami lui dit qu'Inayat cherchait une direction dans le chemin spirituel, il dit, "Moi? je ne mérite pas ce privilège. Je ne suis pas digne". Il vit dans les yeux d'Inayat, ce que ce dernier n'exprimait pas en mots, un sentiment de respect, et répondant, il dit: "Je suis votre serviteur, votre esclave".

Par une coïncidence étonnante il reçut un message télépathique. Sur quoi il commanda à un serviteur d'ouvrir la porte et de préparer un siège, et se tournant vers ses visiteurs il dit, "Le Maître vient". Un moment plus tard il apparut à la porte une personnalité qui semblait comme tombée du ciel en marchant doucement sur la terre qui n'était pas sa place. Pourtant Inayat sentit que ce visage ne lui était pas inconnu. En y pensant, il revit dans son esprit que c'était ce même visage qu'il voyait dans sa méditation.

Après que le Maître se fût assis sur le siège préparé pour lui, il regarda Inayat et il semblait qu'il ne pouvait plus se détacher les yeux. Leurs regards se rencontrant éveillaient en un instant, pour ainsi dire, une affinité de milliers d'années. "Qui est ce jeune homme?", dit le Maître. "Il attire mon âme très intensément". Moulana répondit, "Votre Sainteté, ce jeune homme est un musicien génial et il est désireux de recevoir votre direction inspirée". Le Maître instantanément accepta la requête et initia Inayat sur le champs.

Inayat écrivit un chant à son Murshid, dont voici le sens:

Tu as ma main, mon initiateur vénéré,
Maintenant mon orgueil est dans ta main.
Le cœur, mon seul trésor, je te l'ai donné,
Maintenant il ne reste rien de moi, je suis heureux.
La coupe que tu m'as donnée m'a rendu ivre.
Maintenant je ne demande pas de nectar.
Comme Joseph tu as gagné mon cœur,
Comme le Christ tu me ressuscites d'entre les morts,
Comme Moïse tu me donnes le Message,
Comme Mohammed tu m'accordes la coupe,
Par ta faveur Inayat a tout ce qu'il désirait,
Que ton nom soit sanctifié, ô sauveur, mon seigneur.

Il chanta à son Murshid, qui en fut profondément ému. Sur quoi il mit ses mains sur la tête d'Inayat et le bénit en disant, "Sois béni par la Lumière Divine et illumine les bien-aimés d'Allah".

Inayat allait le plus souvent qu'il pouvait voir son Murshid, qui vivait à sept milles environ de là, et il considérait son Murshid comme on regarderait son roi. Le lien entre Inayat et son Murshid augmentait à chaque moment du jour. Le Murshid voyait en lui, le but de sa vie auquel Inayat n'était même pas encore éveillé. Son Murshid n'essayait d'ailleurs pas de l'y éveiller, sauf qu'il le préparait et le guidait sur le chemin de sa destinée de sa manière pleine de grâce, de miséricorde et de compassion. Le Murshid avait une prédilection pour Inayat, non seulement pour son talent musical, mais aussi pour la musique exprimée dans sa personnalité, qui rendait Inayat de plus en plus cher au Murshid à chaque moment.

Inayat avait l'habitude de s'asseoir en présence du Murshid avec le cœur ouvert, comme une coupe vide destinée à recevoir les paroles illuminatrices, le regard d'inspiration et l'influence élevante qui chargeait tout l'environnement de son Murshid.

Il revenait chez lui en silence et demeurait sans parler pendant des heures, méditant sur les paroles qui étaient tombées dans ses oreilles. Ses amis commencèrent à se demander ce qui avait pu lui arriver en si peu de temps, pour que sa vie entière ait ainsi changé. Il était maintenant devenu une personne tout à fait différente dans son discours, ses actions, ses manières d'être, son expression, dans son attitude et dans son atmosphère. En tout cela il montrait un changement marqué et défini. Il leur semblait que c'était comme si là, où un voyageur allant à une certaine allure aurait couvert un mille, Inayat avait soudain pris une telle avance qu'il avait couvert cent milles dans le même espace de temps.

La manière de chanter d'Inayat changea, sa voix et l'effet qu'elle produisait, montrait un charme tout différent. Le Nizâm et son entourage commencèrent à s'en étonner, sans pourtant en connaître la raison. Plus ils essayaient de le retenir, plus il souhaitait se libérer.

La recherche de la liberté qui était son désir inné, s'éveilla alors et s'exprima dans une sorte d'indépendance qui rehaussait sa dignité même à la Cour de Hyderabad. Ce vairâgya silencieux, qui était sa nature même, de temps à autre le poussait à tourner le dos à tout ce qui était intéressant dans la vie du monde et se montrait de diverses manières.

La prospérité à la Cour du Nizâm n'illusionnait pas un seul instant Inayat et il avait maintenant trouvé quelque chose dans la vie qui était bien plus grand en comparaison de toutes les grandeurs de l'état qui l'entouraient, et c'était la présence de son Murshid, Sayyed Mohammed Abou Hashim Madani. Il avait maintenant deux souverains devant lui, l'un le souverain de la terre, l'autre le Maître de la vie, béni du Ciel, ici-bas et dans l'au-delà. De sorte que sa vie quotidienne diminuait l'importance de la grandeur terrestre et élevait à ses yeux la valeur de la grandeur spirituelle.

Un jour un ami orthodoxe d'Inayat faisait une visite à son Murshid et lui raconta à quel point Inayat était peu orthodoxe. Il dit au Murshid qu'il devrait lui enseigner les manières des croyants et aussi leurs coutumes et leurs manières de vivre, car il semblait ne rien en connaître. "Les vêtements qu'il porte" - dit-il - "ne sont pas les mêmes que les nôtres et il va à peine à la Mosquée. Parmi ses amis il y a des gens d'autres religions, des Hindous, des Parsis, et des Chrétiens et des Juifs, et avec eux il fraternise. J'aurais pensé qu'en venant au contact de votre Sainteté il se serait amélioré, mais il semble toujours le même". Le Murshid d'Inayat lui dit, "Tandis que vous voyez la personne extérieure d'Inayat, je vois son être intime; je ne peux pas très bien vous dire ce qu'est Inayat et ce qu'il est pour moi, excepté qu'il est mon mourîd bien-aimé et que je suis fier de lui". Cette réponse fit taire l'homme.

Inayat se souvint toujours des paroles que dit son Murshid: "Il y a bien des liens qui font que les gens deviennent amis dans ce monde, mais il y a un lien qui est le plus étroit de tous et c'est la relation entre Murshid et mourîd, qui est une amitié qui ne finit jamais, car elle est dans le chemin de Dieu et de la vérité, et est éternelle".

Le Murshid adorait la musique au plus haut point et appréciait vivement le talent musical d'Inayat. Comme son cœur était celui d'un vrai Chishti, qui languit toujours après la musique, il était profondément ému chaque fois qu'il entendait chanter Inayat.

Le Murshid était intérieurement un ascète, mais un homme de ce monde dans son apparence. Il avait une grande famille, des fils et des filles, et une maison où l'amour et la culture régnaient et qui était toujours ouverte en toute hospitalité à tous venant. Il s'habillait simplement, en vêtements blancs et parfois il portait un turban jaune pâle, qui allait bien avec sa barbe blanche. Il avait une apparence très belle et vénérable avec un regard brillant et imposant et une expression spirituelle qui rayonnait, où qu'il aille, une atmosphère céleste. Il avait l'habitude de porter des chaussures brodées d'or. Un jour que le regard d'Inayat s'égarait sur ces chaussures, une pensée lui traversa l'esprit: pourquoi Murshid, malgré toute sa simplicité, porte-t-il des chaussures aussi chères? Aussitôt sa conscience le tourmenta, et il se sentit si coupable qu'une telle pensée au sujet de quelqu'un qui était au-dessus de toute question lui soit venue qu'il en pâlit. Mais le Murshid avait tout compris et dit seulement avec un sourire, "Les trésors de la terre ne sont dignes que d'être à mes pieds".

Son Murshid avait l'habitude de le bénir quand il prenait congé, en disant, "Que Dieu fortifie ta foi". Sur le moment il ne se rendait pas compte de la pleine valeur de cela. La compréhension lui en vint plus tard, à savoir que quand la foi s'est développée dans l'homme, tous ses souhaits lui sont accordés.

Un jour, quand le Murshid approcha du terme de sa vie sur la terre, il tomba assez malade. Ce fut un lourd fardeau de tristesse pour Inayat, qui avait tant de tendresse et de sympathie et de dévotion pour son Murshid.

Une fois, en sa présence, il vint à Inayat la pensée, "Pourquoi même à des êtres aussi élevés la maladie doit-elle venir?" Au moment où la pensée arriva, Inayat retint sa langue entre ses dents, estimant sacrilège de penser cela de son Murshid qu'il vénérait le plus au monde. Murshid vit dans ses yeux et son expression le sens de sa question et répondit immédiatement, "Bandagi becharagi", ce qui veut dire: "La vie dans le monde est indigente, sujette aux lois de la nature". C'était si touchant et si vrai. Et puis il cita un vers Hindoustani qui signifiait: "Si l'homme éprouvait seulement le plaisir, que resterait-il pour éprouver la douleur?".

Cette dernière maladie marqua à chaque nouveau stade de développement que le Murshid approchait de la fin de sa vie sur cette terre. Cela tordait le cœur d'Inayat et pourtant c'était une merveille de voir quelqu'un dans un corps humain capable de supporter toute souffrance avec une telle force d'âme et une telle patience. Il n'y eut pas un seul instant où le Murshid ne fut pas conscient de sa réalisation spirituelle. Tout ce qu'il disait et faisait, chaque mouvement qu'il faisait, même l'atmosphère qui régnait, tout montrait que, bien que Dieu soit Tout-Pénétrant, pourtant Il avait fait là Sa demeure spéciale. L'on pouvait entendre dans chaque recoin de la maison le nom de Dieu et sentir dans la présence de Murshid la présence de Dieu.

Le jour qu'il avait annoncé à sa femme six mois auparavant, le jour où Murshid devait partir, arriva. Lui, ce jour-là, demanda à tous ceux qui étaient proches de venir à lui et leur dit un mot de consolation et un conseil. Il demanda ensuite les serviteurs de la maison, pour leur dire adieu et il demanda à tous ceux qui étaient autour de lui que si jamais il avait dit un mot, ou commis une action qui avait été pénible, ils lui pardonnent. Ensuite il pria pour chacun, leur donna sa bénédiction, et pria qu'on le laisse seul dans la pièce, où il continua son Zikr, et dans ce même Zikr il passa de cette vie de limitation à la sphère de la liberté.

Pour Inayat, le décès de son Murshid laissa un vide douloureux, que rien sur la terre n'aurait pu combler. Recevoir des visites de ses amis lui devint assommant et toutes choses dans la vie déplaisantes. La Cour du Nizâm, avec toute sa grandeur n'avait plus aucun attrait pour Inayat. La compagnie du Maharadjah Kishan Pershad et de son entourage de poètes ne l'attiraient plus. Le sol fertile de Hyderabad était maintenant pour lui un désert stérile. La vieille nostalgie, qui depuis l'enfance le possédait, ce désir pour la solitude et la renonciation à toute vie mondaine, se mit à revivre. De sorte que, sans dire un mot à quiconque à la Cour, il s'en alla.

Maintenant, au lieu de rentrer à Baroda, qui n'avait plus aucune attraction pour lui, il commença un pèlerinage vers les hommes saints de l'Inde.

 

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