LA DÉPENDANCE ENVERS SOI-MÊME Murshida Sharifa Lucy Goodenough |
Nos premières expériences en ce monde sont des expériences de dépendance envers autrui. Les premières années de notre vie s’écoulent dans une dépendance absolue envers les autres. Quand on voit des grandes personnes qui s’occupent d’un petit enfant, celui-ci semble un roi qui les commande, qui exige leur attention jour et nuit. C’est que l’enfant est entièrement dépendant de ceux qui l’entourent. Cette dépendance laisse une empreinte sur notre esprit et pendant toute notre vie nous en gardons l’attirance. C’est elle qui fait que nous désirons l’aide des autres, que nous suivons quand les autres marchent en avant, que nous cherchons à attirer l’appréciation, la sympathie. Il se peut que l’on se lance dans une entreprise très louable, mais si ceux qui y collaborent ne l’apprécient pas, s’en détournent ou ne suivent pas, on se demandera: "Oserai-je continuer, avancer seul? Les autres semblent s’arrêter...". Il faut une longue discipline de soi, un sentiment très profond pour se dire: "Quant à moi, j’ai une tâche devant moi, j’ai un but auquel je dois arriver; que les autres y aillent ou pas, je ne dois pas m’arrêter. J’ai un champ devant moi; que les autres laissent ou non leur champ en friche, je dois continuer. Qui m’empêche de produire quelque chose, même si les autres ne cultivent pas leur champ?".
La seule force à laquelle se fier, c’est à son propre effort, à sa propre conception des choses, à son propre sentiment. Et si l’on attend cet effort, cette compréhension et cette conviction de la part des autres, c’est une espérance fallacieuse.
Dans un des drames de Shakespeare, nous trouvons les paroles d’une vieille dame qui envoie son fils à la Cour, son fils qui est orphelin de père. Elle le prépare à la vie par ses conseils et lui dit: "Aime toute personne mais ne fais confiance qu’à très peu". Et je pense que Hazrat Inayat avait une opinion semblable quand il a dit dans le Vadan: "Les aimer tous, ne faire confiance à aucun...". Cela peut paraître dur, mais ce n’est pas dur, c’est la vérité.
Compris dans le nombre de tous ceux auxquels on ne peut se fier est notre petit "moi": combien de fois il ne répond pas à notre attente, combien de fois ne fléchit-il pas, combien de fois nous déçoit-il! Il n’est pas différent du moi des autres et c’est la vérité que le seul être auquel nous pouvons nous fier est notre vrai Moi.
C’est là que notre effort doit porter; car si nous entrons plus profondément en nous-même, à force de creuser nous trouvons une source d’eau pure, et nous trouvons aussi dans ce fond le Seul Être qui n’a jamais déçu l’attente de personne, d’aucun de ceux qui ont su se fier à Lui et qui répond au désir de chaque âme. Et notre cœur, notre âme, est la porte pour parvenir à Dieu.
Maintenant même si un être a appris cette leçon de la vie: "Fie-toi à toi-même et à rien en dehors de toi", même s’il a appris à ne compter sur personne sauf sur ce qu’il y a de plus profond en lui mais s’il est par ailleurs indifférent aux hommes ses frères, s’il les néglige, s’il ne reconnaît pas la beauté en eux, si son cœur n’est pas sensible aux bons procédés, il est imparfait. Il est comme les sapins qui poussent droit mais ne donnent aucun fruit. Mais si, en même temps que cette discipline qu’il a acquise, il est aussi très sensible à ses relations avec les autres, il a atteint une perfection. S’il cherche à faire tout ce qu’il peut pour tous les êtres avec lesquels il entre en relation et si son cœur est sensible au moindre acte de bonté, c’est une nature parfaite, c’est comme un arbre qui pousse très droit, qui porte de belles feuilles, des fleurs et des fruits. Le premier tempérament, celui qui dépend seul de lui-même, montre une attitude Jelal ,le deuxième montre une attitude Jemal et l’union des deux produit un caractère parfait. C’est la nature du Saint qui se développe de cette façon, qui met toute sa foi en Dieu et dont la sensibilité exquise se porte à tout ce qui touche ses frères; il a une bonté inlassable et si tout en maintenant son attitude droite, si tout en gardant la force d’avancer, de se tenir debout quand tous en viennent à plier, si en même temps il l’oublie pour penser toujours aux autres, c’est la perfection de la nature humaine que cet être atteint.
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