Faut-il chercher beaucoup ou peu de connaissances ? Murshida Sharifa Lucy Goodenough |
Il y a une question qui se présente souvent: retire-t-on un plus grand bienfait en s'occupant de beaucoup de choses, en cherchant à accumuler beaucoup de connaissances diverses, ou bien en se concentrant sur un petit nombre de choses ou de connaissances?
Ce qui arrive souvent, c'est que nous avons une vie très remplie; il y a une foule d'occupations qui nous absorbent, nous avons dix activités qui nous sollicitent. De même, nous lisons beaucoup de livres et mille sujets attirent notre attention à la fois. Mais si l'on est constamment occupé d'une infinité d'objets, le premier effet en est celui-ci: l'esprit se disperse, il donne son attention à tout ce qui l'occupe, mais ne peut la donner pleinement. Et puis l'esprit n'a pas seulement la faculté d'observer, d'enregistrer ce qu'il observe, il est aussi créateur; et cette faculté de création est entravée par l'excès des occupations diverses. S'il nous faut faire attention à beaucoup de choses, tenir cent conversations et tout regarder autour de nous, nous nous rendrons bientôt compte que nous n'avons plus assez de faculté d'invention ne serait-ce que pour écrire une lettre, et qu'il n'y a plus guère de ressources dans cet esprit qui est sans cesse attiré au-dehors.
Nous pensons quelquefois qu'il est heureux de pouvoir entendre divers concerts, d'assister à de nombreux spectacles, à toutes les expositions qui se montent. Certainement c'est intéressant, mais la question est de savoir si nous pouvons en retirer tous les bienfaits qu'ils promettent. Car si nous sommes attirés à tous moments dans tous les sens, notre esprit ne pourra jamais entrer en lui-même, il ne pourra pas non plus voir clairement autant d'objets s'ils changent souvent et il pourra encore moins créer quelque chose.
Créer est une faculté qui a besoin de loisir, de solitude, de tranquillité, de concentration et c'est la partie que, justement, nous négligeons. Mais on pourrait objecter: "Les grands esprits ne se sont-ils pas occupés de beaucoup de choses? N'avaient-ils pas un savoir étendu?". Et c'est vrai que beaucoup de ces grands esprits ont examiné presque tous les problèmes de la vie. Ainsi Léonard de Vinci faisait des découvertes dans beaucoup de domaines, il s'était intéressé à plusieurs aspects de la vie humaine.
Pour arriver à cela, il y a un secret, qui est celui-ci: si l'on va au centre, au centre du centre, on voit toutes les voies qui mènent à ce centre, mais si l'on reste à la périphérie, l'on n'aura pas beaucoup gagné, ni vu. Il est vrai que parfois, l'on aura comme un éclair de connaissance, mais si l'on reste à la surface, courir dans la direction de ce que l'on a vu sera courir après quelque chose que l'on n'atteindra jamais. Ces esprits qui ont percé beaucoup des secrets de la vie sont allés droit au centre; une fois arrivés; ils ont vu toute voie ouverte devant eux. Comme le Christ l'a dit: "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et toutes les choses vous seront données par surcroît". Ce Royaume de Dieu est le centre de tout ce qui existe et celui qui est entré dans ce Royaume possède tous les autres.
C'est pourquoi il ne faut pas penser qu'un mystique ayant passé sa vie loin du monde et dépourvu de connaissances extérieures, par exemple dans les matières scientifiques, ne puisse pas parler des divers aspects de la vie. Bien sûr s'il se trouve qu'il ait étudié ces matières, il n'éprouvera pas le besoin d'en négliger le côté technique. Ainsi en musique, Pir-o-Murshid Inayat Khan avait acquis dans la technique du chant et de la vina une grande maîtrise et virtuosité, pour ne pas parler du grand talent qui lui avait valu la célébrité dans son pays. A ce propos, certains ont dit que si Pir-o-Murshid Inayat Khan avait eu nos connaissances scientifiques, il aurait parlé différemment. Tel qui a lu ses livres, dira que beaucoup de ses affirmations ne sont pas scientifiquement exactes. Mais le point de vue du mystique n'est pas celui du savant. S'il voulait se placer au point de vue du savant il le pourrait. Mais où mène ce point de vue? Les scientifiques n'affirment-ils pas aujourd'hui des choses qu'ils nieront dix ou vingt ans après pour les remplacer par d'autres théories? Et tout le monde applaudira en disant qu'on a aujourd'hui dépassé ce qui était faux et mal fondé. Et après tout ces idées ne sont pas fausses. Seulement les mystiques, depuis le commencement de l'évolution humaine jusqu'à aujourd'hui n'ont jamais varié. Et cela procède du fait qu'ils ont touché la même Vérité à toutes les époques. Et comment l'ont ils touchée? En prenant la voie qui mène au centre, en cherchant d'abord le Royaume de Dieu, en orientant leurs yeux - comme dit Hazrat Inayat - vers la lumière, et ensuite en promenant leur regard sur le monde; et non pas en pensant que la lumière viendra uniquement quand on aura observé les choses de ce monde.
Ceci montre que le premier pas vers la réalisation de la vérité, de la vraie connaissance, c'est la concentration d'esprit sur une connaissance, et ce n'est pas de voir en courant mille choses à la fois. Il faut donner attention à une seule idée, jusqu'à même ne répéter qu'un seul mot, comme le font les mystiques, peut-être pendant des années. Quand on entend cela, on a tendance à dire: "Comme c'est peu intéressant!". J'ai pensé cela moi-même et j'ai été très contente quand Murshid (Inayat Khan) m'a dit un jour que quand il était lui-même mourîd, son Murshid lui avait dit de répéter son "dhikr" huit cents fois - c'était long, même en Orient, où pourtant c'est l'habitude - mais il l'a fait. Et cependant il pensait: "Cela m'a pris si longtemps! Si j'avais été au cinéma, j'aurais au moins vu quelque chose!". J'étais très contente. Mais il a persévéré et ce fut la clé qui lui a tout montré sur la terre et dans le Ciel.
Vous avez entendu l'autre jour, dans la lecture d'une de ses conférences: "Que de détresses dans la vie viennent de ce qu'on ne comprend pas!". On dira que si l'on se concentre dans une seule direction, on comprendra moins bien encore la diversité de tout ce qu'il y a à comprendre. Mais si l'on imprime dans son esprit un seul mot, mais un mot puissant, comme le font les mystiques, il est certain que la lumière se fera et que l'on comprendra. On comprendra quoi? On se comprendra soi-même. Il est plus important de se comprendre soi-même que d'acquérir toute science; et si l'on se comprend soi-même, il n'y a rien qu'on ne parvienne pas à comprendre; on comprend les autres; on comprend la nature humaine dans sa profondeur, son essence, et cela vient par la compréhension de sa propre nature, et on comprend aussi la surface, la psychologie humaine parce que l'on comprend sa propre psychologie. Il n'y a plus de problèmes que l'on ne puisse résoudre dans cette vie; dans cette vie qui autrement nous rend perplexes et qui peut nous amener là où nous ne voudrions pas aller.
Si l'on décide que l'on donnera un certain temps dans les vingt-quatre heures à une concentration, à une méditation, et si on le fait réellement, on aura fait quelque chose de plus précieux que toutes les lectures du monde; les lectures sont intéressantes, elles peuvent enrichir l'esprit, mais la concentration et la méditation auront fait plus qu'enrichir l'esprit, elles le développeront mieux que s'il ne faisait que lire, qu'emmagasiner des connaissances. Car cet esprit, tout en étant un réservoir de connaissances, de faits, de formes et de mots, peut être en même temps très pauvre. Un esprit qui n'est pas capable de s'exercer par lui-même, de produire par lui-même est pauvre, malgré tout ce que sa mémoire peut contenir. Pour fonctionner comme il le doit, il faut qu'il se repose, sinon il deviendra comme un être qui porterait un grand fardeau de livres mais qui serait trop faible pour pouvoir marcher.
La concentration fortifie l'esprit, c'est la première et la plus simple chose qu'elle fait; et selon l'objet de la concentration elle transforme l'esprit et aussi le cœur, elle l'élève, l'ennoblit et lui donne un plein épanouissement. Un être qui n'aura jamais lu mais qui aura sû se concentrer parfaitement jouira d'une plus grande richesse que celui qui aura lu quantité de livres, et même beaucoup écrit, et qui ne pourra se concentrer. Celui-là flottera avec toutes ses connaissances, il montera quand la vague monte, il descendra quand elle descend, et il restera sur un rocher, car il ne sait pas nager . Mais l'autre sait ce qu'il veut et il peut accomplir ce qu'il veut.
Cependant la voie moyenne est celle qui est pour tous. Elle consiste à donner une partie du temps qu'on a à sa disposition aux études, aux lectures, et une partie à la méditation et à la concentration.
Ce serait un très grand travail à faire que d'enlever de notre vie tout ce qui est inutile, car combien de choses inutiles y sont malgré nous! Et combien d'êtres qui sentent un appel intérieur disent: "C'est dommage, je n'ai pas le temps, il y a trop de choses dont je m'occupe déjà". Si au lieu d'entasser les occupations et de les accroître sans cesse on se mettait à les diminuer, on arriverait à avoir la vie plus libre, l'esprit plus libre. Cela ne signifierait pas s'appauvrir, mais cela permettrait d'abord de se découvrir, ensuite de connaître, de comprendre, de sentir tout ce qui existe dans le monde intérieur et extérieur.
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Question: Quel est le meilleur objet de concentration? Réponse : Il n'y a pas un seul objet de concentration qui puisse convenir à tous; cela dépend des conditions momentanées de chacun et de son but dans la vie.
Question: Que faire quand l'esprit est trop troublé pour que la concentration se fasse facilement? Réponse : Essayer de la faire aussi bien qu'on peut et graduellement cet état disparaîtra; et si possible enlever les causes qui troublent ou les surmonter, les effacer, tâcher de tranquilliser son esprit, ce qui est souvent très difficile.
Question: Quelles sont les raisons qui font que la vie actuelle est si agitée? Réponse : La cause du malaise général est qu'on ne croit qu'à l'existence des choses matérielles; on croit qu'un gain matériel est un gain, on ne pense pas que le gain spirituel en soit un: c'est la seule cause des souffrances de l'humanité. C'est pourquoi ce qui est le plus nécessaire est d'orienter soi-même sa vie dans un sens tout différent. Et puis, il y a beaucoup d'êtres qui souhaiteraient ne pas se ruer vers les choses matérielles, mais que ces choses entraînent. S'il y avait quelques individus qui comprenaient la nécessité de changer la direction, de rétablir l'équilibre, ce changement viendrait. Tout ce qui se fait dans le monde se fait avec la multitude mais commence avec un seul être. Il ne faut pas désespérer, il suffit qu'un changement se fasse dans un point déterminé et ce changement changera le monde entier; et ce changement ne peut se faire que par l'appel de Dieu, par l'inspiration venant des sphères spirituelles vers les sphères matérielles.
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