De profonds penseurs, à toutes les époques, ont reconnu le triple aspect de la nature. Dans des termes religieux, des maîtres ont appelé ces trois aspects de manière différente, en leur donnant une interprétation qui correspondait au temps et au lieu. En cherchant la trace de cette idée dans le passé, nous constatons qu'elle a existé durant les temps très anciens chez les Hindous. Ils appelèrent cette idée Trimurti - trois aspects, et ils les personnifièrent en leur donnant certains caractères tels que Brahma, Vishnou et Maheish (l'un des noms de Shiva): le Créateur, le Soutien (ou Celui qui maintient) et le Destructeur, en d'autres termes, l'Assimilateur, celui qui assimile.

L'aspect triple est non seulement appliqué à Dieu, mais tout dans la nature montre ces trois aspects. Il y a le feu et il y a le combustible qui est sa nourriture, et l'air peut arriver en soufflant, et éteindre le feu. Dans les choses et les êtres, dans leurs actions, dans leurs effets, l'on peut voir ces trois aspects à chaque moment du jour.

De la même manière que chaque objet montre ces trois aspects - bien que l'un puisse être plus significatif que les autres -, chaque individu montre ces trois aspects. En chaque chose que nous faisons, nous pouvons aussi voir ces trois aspects. Penser est l'action créatrice, se souvenir est l'action de maintenir, et oublier est la troisième action, assimilatrice. Chaque personne est capable de ces trois actions, cependant l'une d'elles peut être plus prononcée dans son caractère. L'habileté du petit oiseau est créatrice, en créant son nid, l'amour de la poule pour nourrir ses petits, et la colère du lion en détruisant des vies, nous montrent tous les trois aspects constamment à l'oeuvre dans la nature.

Il y en a d'autres qui ont vu différemment ces trois aspects. Ils l'ont vu comme la Source de toutes choses, comme ce qu'Elle a créé, et comme ce que l'objet qu'Elle a créé est devenu. En termes religieux, ils ont appelé l'aspect triple la Trinité, et l'ont personnifiée en l'appelant Père, Fils et Saint-Esprit.

Ces trois aspects existent non seulement en toutes choses, mais en tout être. En chaque personne, il y a une partie qui signifie la source, le but de toutes choses; chaque personne représente ce dont elle est faite; chaque personne représente aussi ce qu'elle est devenue. Ces trois choses, vous pouvez les voir dans chaque personne. Ou bien c'est la source qu'elle représente de façon plus prononcée dans sa nature et son caractère, ou bien elle montre ce pourquoi elle était faite, ou elle montre davantage ce qu'elle est devenue. Si j'avais à donner un nom à ces trois aspects, je les appellerais Dieu, l'homme et l'être divin.

Si l'on en vient à une observation plus philosophique de cela, nous trouverons qu'il existe trois aspects à l'action de la vue: le sujet qui voit, l'objet qu'il voit, et la vue qui lui permet de voir. Et si nous le considérons sous un autre angle, nous verrons qu'il y a trois lumières à l'oeuvre dans l'action de voir: la lumière des yeux qui voient, le rayonnement de l'objet qui se montre, et la lumière du soleil qui tombe sur lui, le rendant clair pour la vue.

Si nous regardons cela d'un point de vue mental, nous verrons encore trois aspects: celui qui connaît, la connaissance et la faculté de connaître. Ce sont ces trois choses qui amènent l'action de connaître.

Si nous le regardons dans l'éclairage de l'amour, nous le voyons, comme les Soufis de tous les âges l'ont fait, comme amour, amant et aimé.

La partie la plus intéressante en étudiant ces trois aspects est qu'en toute chose, en chaque être, en chaque condition existante, sans ces trois aspects, rien ne peut exister. Seulement, si lorsque nous étudions ces trois aspects, nous les voyons toujours comme trois, alors nous en manquons le secret. Mais si, après avoir étudié ces trois aspects, nous les voyons comme un seul et unique, nous avons alors tiré profit de l'observation de ces trois aspects distincts.

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En regardant le double aspect de la nature, nous constaterons qu'il est encore plus important, car on peut voir cet aspect en toutes choses et en chaque être. Les deux côtés, le droit et le gauche, la tête et les pieds, le sommet et la base, les deux extrémités d'une même ligne, même les deux yeux pour constituer la vue, tout cela montre la nécessité des paires d'opposés. La terre et l'eau, en haut et en bas, tout dans la nature montre distinctement deux aspects.

En même temps, il y a deux qualités opposées en toute personne, appelez-les la qualité mâle et femelle, appelez-les positif et négatif, appelez-les fin ou grossier; personne ne peut exister sans les qualités opposées. En d'autres termes, aussi haut qu'une personne se tienne, autant dans l'espace il y a de profondeur devant elle pour qu'elle y tombe, pour autant qu'elle veuille. Il y a certes une qualité cachée, et il y a une qualité qui est manifestée. Ce qui est manifeste, nous le reconnaissons, ce qui est caché, nous le négligeons. Nous le négligeons, ce n'est pas que nous ne le voyions pas.

Il y a la progression et il y a la régression, il y a le succès et il y a l'échec, il y a la lumière et il y a l'obscurité, il y a la joie et il y a la tristesse, il y a la naissance et il y a la mort. Toutes les choses que nous pouvons connaître, sentir et percevoir ont toutes leur opposé. Il est certain que c'est l'opposé qui amène l'équilibre. Le monde n'existerait pas s'il n'y avait pas, à la fois, l'eau et la terre. Pour que toute chose ou tout être puisse exister, agir et remplir le but de la vie, ce sont ces deux qualités opposées qui sont nécessaires, car chaque qualité est incomplète sans l'autre. Aucun homme n'a de personnalité complète s'il n'a pas une petite touche de la finesse qui appartient à la nature féminine. La femme est complète dans sa nature quand il y a quelque petite touche de cette nature masculine qui la complète.

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Maintenant venons-en au caractère de la nature qui est seul et unique. Par une vision profonde de la nature, nous voyons que la création est semblable au Créateur, que la source est la même que le but, que le deux ne signifie qu'un seul. Ils ne figurent que les deux extrémités de la ligne, mais la ligne est une, et cette unité est manifeste en toutes choses, bien que l'homme réfléchisse rarement à cela. Cette manifestation déroutante (Hazrat Inayat Khan utilise souvent le terme "amazing maya" - Maya qui est comme un labyrinthe. Maya signifie l'illusion cosmique faisant apparaître l'Un comme multiple. L'image du labyrinthe suggère donc bien l'extrême difficulté qu'il y a à trouver sa voie malgré ses chemins déroutants.), ce monde de variété nous garde dans une telle perplexité, dans une telle confusion, et fait que nous sommes si absorbés en lui, que l'on se donne à peine le temps de voir ce merveilleux phénomène: comment l'Etre Seul et Unique Se montre même dans ce monde de variété. Il n'y a pas deux visages identiques, il n'y a pas deux feuilles identiques, il n'y a jamais deux fruits identiques, ni deux fleurs identiques. Même les objets que fait l'homme, si on les regardait avec assez d'attention, on trouverait que même eux diffèrent. Chaque être possède sa particularité et on ne peut pas le comparer avec un autre, car chaque être est unique. S'il et bon, il n'y en a aucun qui soit bon à sa manière, et s'il est méchant, il n'y en a aucun qui puisse être identiquement méchant. Il est unique, prouvant à ceux dont les yeux sont ouverts qu'il y a Un seul et Unique Etre.

Question : Oublions-nous nécessairement une chose quand nous l'avons assimilée?

Réponse : L'assimilation est d'une certaine façon une destruction complète d'une chose, bien qu'elle soit quand même changée en quelque chose. Mais alors son nom est différent, ce n'est pas la même.

Question : Est-ce que l'oubli d'une chose signifie qu'il n'y avait plus rien à en apprendre?

Réponse : Il y a la manière d'oublier. Parfois, une personne oublie quelque chose, mais elle l'a emmagasinée dans son subconscient. Elle dit: "Je l'ai oubliée"; mais quand elle essaie de se rappeler, un jour cela ressurgit dans sa mémoire et elle dit: "Oh! je me souviens." Ainsi, ce n'était pas assimilé, c'était oublié. C'est une forme légère d'assimilation, mais l'assimilation réelle est d'oublier complètement une chose. Ce n'est pas si facile qu'on pourrait le penser. Nous disons facilement: "Oubliez cela!", mais, en réalité, oublier quelque chose est très difficile, spécialement quand vous voulez l'oublier; ce sera justement cette chose que vous ne pourrez pas oublier.

 Un jour, quelqu'un vint me voir et me dit: "J'ai seulement une question à poser". Je l'ai bien regardé avant qu'il ne me pose sa question. Il demanda: "Est-ce que nous rencontrerons réellement ceux que nous avons aimés et que  nous avons perdus?» J'ai répondu: "Certainement, nous rencontrerons ceux que nous avons aimés et ceux que nous avons détestés." Cet homme fut très surpris. Il voulait bien rencontrer ceux qu'il avait aimés, mais il n'était pas prêt à voir ceux qu'il avait détestés. Nous nous souvenons de ceux dont nous aimons nous souvenir et de ceux que nous aimerions oublier. Ces deux sortes de personnes sont celles dont nous nous souvenons.

Question : Pourriez-vous nous en dire davantage sur le triple et en même temps double aspect des choses?

Réponse : Le double aspect est manifeste pour notre vue quand nous voyons le soleil et la lune dans la nature, quand nous voyons l'aspect mâle et l'aspect femelle dans la nature, quand nous voyons la droite et la gauche et quand nous voyons le bien et le non-bien. Quand nous éprouvons la joie et la peine, quand nous savons qu'il y a la naissance et la mort, nous savons ce qu'il y a à savoir de l'aspect double de la nature.

 Mais l'aspect triple de la nature est la condition de tout ce qui survient; il doit y avoir cet aspect triple afin d'amener une condition donnée. Par exemple, l'action de voir est accomplie par trois choses différentes: la première est la personne qui voit, l'autre est la vue qui lui permet de voir, et la troisième est l'objet qu'elle voit. S'il n'y avait pas cet objet, elle ne pourrait pas le voir, si elle n'avait pas la vue, elle ne pourrait pas voir, et si les deux yeux étaient là mais pas la personne, les yeux ne pourraient pas voir.

Question : Est-ce que le principe de variété se maintient dans le temps comme le principe du renouvellement perpétuel?

Réponse : Aucun principe, que ce soit un principe de variété ou un principe de renouvellement perpétuel, ne continue toujours à lutter contre le temps.