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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


MUSIQUE
Mysticisme du son
Chapitre 7
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

Quand nous portons attention à la musique de la nature, nous trouvons que tout sur la terre contribue à son harmonie. Les arbres agitent joyeusement leurs branches au rythme du vent; le bruit de la mer, le murmure de la brise, le sifflement du vent à travers les rochers, les collines et les montagnes; l'éclair de la foudre et le grondement du tonnerre, l'harmonie du soleil et de la lune, le mouvement des étoiles et des planètes, l'épanouissement de la fleur, la flétrissure de la feuille, l'alternance régulière du matin, du soir, du zénith et de la nuit, tout révèle la musique de la nature à l'esprit pénétrant.

 

Les insectes ont leurs concerts et leurs ballets, et les chœurs des oiseaux chantent à l'unisson leurs hymnes de glorification. Les chiens et les chats ont leurs bacchanales, les renards et les loups leurs soirées musicales dans la forêt, tandis que les tigres et les lions ont leurs opéras dans le désert. La musique est le seul moyen de se comprendre entre bêtes et oiseaux; on peut le constater par les modulations de leur timbre et l'ampleur de leur son, leur mode d'harmonie, le nombre des répétitions et la durée de leurs notes variées qui sont un appel à leurs semblables pour rejoindre la horde; ou l'avertissement d'un danger proche, la déclaration de guerre, le sentiment d'amour et le sens de sympathie, mécontentement, passion, colère, crainte ou jalousie; tout cela formant en soi-même un langage.

 

Chez l'homme, la respiration est un ton constant et le battement du cœur, du pouls et de la tête, conserve continuellement le rythme. L'enfant répond à la musique avant d'avoir appris à parler; il bouge les mains et les pieds en mesure et il exprime son plaisir et sa peine dans des tons différents.

 

Au début de la création humaine, il n'existait pas de langage comparable à ceux que nous employons aujourd'hui; il n'y avait que la musique. L'homme exprima d'abord ses pensées et ses sentiments par des sons hauts et bas, courts et prolongés. La profondeur de son ton exprimait sa force et son pouvoir, et l'élévation de son timbre, l'amour et la sagesse. Il exprimait sa sincérité, son manque de sincérité, son penchant ou sa répulsion, son plaisir ou son mécontentement, par la variété de ses expressions musicales.

 

La langue touchant différents points dans la bouche, et les différentes manières d'ouvrir et de fermer les lèvres, produisaient la variété des sons. Le groupement des sons formait des mots exprimant des sens différents par leurs modes d'expression variés. C'est ce qui transforma graduellement la musique en langage, mais le langage ne put jamais se libérer de la musique.

 

Un mot prononcé dans un certain ton exprime la dépendance, tandis que dans un ton différent, le même mot exprime le commandement; un mot dit avec une certaine élévation de voix montre l'amabilité, alors qu'il exprime la froideur dans un ton différent. Prononcés dans un certain rythme, des mots montrent la bonne volonté quand les mêmes, émis avec une certaine rapidité, prouvent le mauvais vouloir. Jusqu'à nos jours, les anciennes langues, Sanscrit, Arabe, Hébreux, ne peuvent être maîtrisées par la simple étude des mots, de la prononciation et de la grammaire, parce qu'un rythme particulier, comme une expression tonale, sont nécessaires. Le mot en lui-même est fréquemment insuffisant pour exprimer clairement le sens de ce qui a voulu être dit. Celui qui étudie profondément la langue peut seul le découvrir. Les langues modernes elles-mêmes ne sont qu'une simplification de la musique. Nul mot d'aucune langue ne peut être prononcé d'une seule et même façon sans distinction de ton, de hauteur de voix, de rythme, accent, pause et arrêt. Un langage, si simple soit-il, ne peut exister sans avoir en lui la musique; la musique lui donne une expression concrète. C'est pour cette raison qu'une langue étrangère est rarement bien parlée; on en connaît les mots, mais on n'en a pas maîtrisé la musique.

 

On peut dire du langage que c'est une simplification de la musique; elle est cachée en lui comme l'âme est cachée dans le corps; à chaque étape vers la simplification, le langage a perdu une partie de sa musique. Une étude des traditions anciennes nous révèle que les premiers Messages divins furent donnés sous forme de chants. Tels furent les Psaumes de David, les Chants de Salomon, les Gathas de Zoroastre et le Gîta de Krishna. Quand le langage devint plus complexe, il ferma pour ainsi dire une aile: le sens du ton, conservant l'autre déployée: le sens du rythme. C'est ce qui fit de la poésie un sujet distinct et séparé de la musique. Les religions, philosophies, sciences et arts des temps anciens, furent exprimés en poésie. Les Védas, les Puranas, le Ramâyana, le Mahabarata, le Zendavesta, la Kabala et la Bible, se trouvent sous forme de vers comme le sont différents arts et sciences des langues antiques. Parmi les Écritures, la seule œuvre en prose est le Coran qui, lui-même, n'est pas dépourvu de poésie. En Orient, même récemment, non seulement les manuscrits de science, art et littérature, étaient écrits sous forme de poésie, mais les savants même s'entretenaient en vers. Au stade suivant, l'homme libéra le langage des liens du rythme, et de la poésie fit la prose. Bien que l'homme ait essayé d'affranchir la langue de l'entrave du ton et du rythme, en dépit de tout, l'esprit de la musique subsiste encore. L'homme préfère entendre la poésie récitée et la prose bien lue, ce qui prouve en soi que l'âme est à la recherche de la musique, même dans le son des mots.

 

Le chant berceur de la mère calme l'enfant et l'endort, la musique animée le porte à danser. C'est la musique qui double le courage et la force d'un soldat marchant vers le champ de bataille. En Orient, quand les caravanes vont en pèlerinage, voyageant d'un endroit à l'autre, elles chantent en avançant. En Inde, les coolies chantent en travaillant, et le rythme de la musique facilite pour eux le labeur le plus pénible.

 

Une légende ancienne raconte comment les anges chantèrent sur l'ordre de Dieu afin de persuader l'âme récalcitrante d'entrer dans le corps d'Adam. L'âme grisée par le chant des anges entra dans le corps qu'elle regardait comme une prison.

 

Tous les spirites qui ont réellement sondé les profondeurs du spiritisme se sont rendus compte qu'il n'y a pas de meilleur moyen que la musique pour attirer les esprits de leur plan de liberté au plan extérieur. Ils se servent de différents instruments qui en appellent à certains esprits, et chantent des chants qui ont un effet spécial sur l'esprit particulier avec lequel ils désirent communiquer. Il n'y a rien de plus magique que la musique pour produire un effet sur l'âme humaine.

 

Le goût de la musique est un instinct inné chez l'homme, et il se fait jour dès l'enfance. Depuis son berceau, l'enfant connaît la musique, mais à mesure qu'il grandit dans ce monde d'illusions, son esprit devient absorbé par tant d'objets divers qu'il perd l'aptitude à la musique, possession de son âme. En grandissant, il jouit de la musique et l'apprécie suivant son degré d'évolution et la nature du milieu dans lequel il est né et où il a grandi: l'homme du désert chante son chant sauvage, et celui de la ville ses chants populaires. Plus l'homme devient raffiné, plus il jouit de la musique subtile. L'influence du caractère crée en chacun une tendance pour la musique dont il est proche; en d'autres termes, l'homme gai aimera la musique légère tandis que l'esprit sérieux préférera le classique, et le niais sera satisfait de son tambour.

 

L'art de la musique comprend cinq aspects différents: le populaire qui incite aux mouvements du corps, le technique qui satisfait l'intellect, l'artistique qui possède grâce et beauté, l'émouvant qui pénètre le cœur, le sublime par lequel l'âme est accordée avec l'infini.

 

L'effet de la musique dépend non seulement du talent, mais aussi de l'évolution de l'exécutant. Son effet sur l'auditeur est en rapport avec sa connaissance et son évolution. C'est pour cela que la valeur de la musique diffère suivant chaque individu. Pour celui qui est satisfait de lui-même, il n'y a aucune chance de progrès, parce qu'il se cramponne avec contentement à son goût, accordé à sa connaissance et selon son état d’évolution, refusant d'avancer à un degré plus élevé que son niveau présent. Celui qui, graduellement, progresse dans la voie de la musique, atteint finalement à sa plus haute perfection. Aucun autre art ne peut, comme la musique, inspirer et adoucir la personnalité; celui qui aime la musique atteint tôt ou tard le champ de pensée le plus sublime.

 

L'Inde a conservé le mysticisme du son et son diapason découverts par les anciens; sa musique en est l'expression.

 

La musique indienne est basée sur le principe du Raga, prouvant par là qu'elle est proche de la nature. Elle s'est évadée des limitations de la technique en adoptant une méthode purement "inspirationnelle".

 

Les Ragas dérivent de cinq sources différentes: la loi mathématique de variété; l'inspiration des mystiques; l'imagination des musiciens; les chants naturels particuliers aux gens résidant dans les différentes parties du pays; l'idéalisation des poètes qui firent un monde de ragas nommant l'un "rag", le mâle, un autre "ragini" la femelle, et d'autres "putra", fils et "bharja", belles-filles.

 

On appelle "raga" le thème mâle à cause de sa nature créatrice et positive; "ragini" le thème femelle en raison de sa qualité réceptive et subtile. Les putras sont ces sortes de thèmes dérivés du mélange des ragas et des raginis; l'on peut y trouver des ressemblances avec les ragas et les raginis d'où ils découlent. Bharja est le thème qui répond au putra. Il y a six ragas, trente-six raginis (six appartenant à chacun des ragas), quarante-huit putras et quarante-huit bharjas qui constituent cette famille.

 

Chaque raga possède une structure qui lui est propre, comprenant un chef, Mukhya, la tonique; un roi, Wadi, la note principale; Samwadi, un ministre, la note secondaire; Anuwadi, un serviteur, une note assonante; Vivadi, un ennemi, une note dissonante. Cela donne à celui qui étudie le raga une conception claire de son usage. Chaque raga a son image propre, distincte des autres, et représente la plus haute portée de l'imagination.

 

Les poètes ont dépeint les images des ragas exactement comme la représentation de chaque aspect de la vie est claire à l'imagination d'un être intelligent. Les dieux et les déesses des temps passés n'étaient simplement que les représentations des différents aspects de la vie; pour enseigner le culte de l'immanence de Dieu dans la nature, on plaça ces différentes images dans les temples afin que Dieu put être adoré en chacun de Ses aspects de manifestation. Cette même idée fut réalisée dans les images des ragas qui créent, avec une imagination subtile, les type, forme, figure, action, expression et effet de l'idée. Chaque heure du jour et de la nuit, chaque jour, semaine, mois, saison, possède son influence sur la condition physique et mentale de l'homme. Ainsi chaque raga a pouvoir sur l'atmosphère aussi bien que sur la santé et l'esprit de l'homme; le même effet que celui montré dans les différents temps de la vie, assujettis à la loi cosmique . En connaissant les deux, le temps et le raga, le sage les a unis pour se convenir mutuellement.

 

Il y en a des exemples dans la tradition du passé quand la flûte de Krishna charma les oiseaux et les animaux, que les rocs furent attendris par le chant d'Orphée, et que le Dipack Raga chanté par Tansen alluma toutes les torches alors qu'il fut lui-même brûlé par le feu intérieur produit par son chant. Même de nos jours, en Inde, les serpents sont charmés par le Pungi (sorte de flûte) des charmeurs de serpents. Tout cela nous indique combien les anciens ont dû plonger dans le plus mystérieux océan de musique.

 

Le secret de la composition repose dans le ton, solidement soutenu, aussi longtemps que possible, à travers tous ses différents degrés; une rupture détruit sa vie, sa grâce, son pouvoir et son magnétisme, exactement comme la respiration retient la vie et possède toute grâce, pouvoir et magnétisme. Certaines notes ont besoin d'une vie plus longue que d'autres, suivant leur caractère et leur but.

 

Dans une composition vraie, on voit la musique de la nature en miniature. Les effets du tonnerre, de la pluie, la tempête, les représentations des collines et des rivières, font de la musique un art réel. Bien que l'art soit une improvisation sur la nature, il n'est pourtant vraiment authentique qu'en s'en approchant. La musique qui exprime la nature et le caractère des individus, des nations et des races, est encore plus élevée; mais la forme de composition la plus haute, la plus idéale, est celle qui exprime la vie, le caractère, les émotions et les sentiments; car c'est le monde intérieur que seuls peuvent voir les yeux de l'esprit. Un génie se sert de la musique comme d'une langue pour exprimer pleinement, sans le secours des mots, tout ce qu'il peut désirer faire connaître; car la musique, langage parfait et universel, peut exprimer les sentiments plus clairement qu'aucune autre langue.

 

La musique perd sa liberté en s'assujettissant aux lois de la technique; mais, dans leur musique sacrée, les mystiques, indifférents aux éloges du monde, affranchissent à la fois leurs compositions et leurs improvisations des limitations de la technique.

 

En Orient, on nomme Kala l'art de la musique. Il possède trois aspects: vocal, instrumental et gestuel. On considère la musique vocale comme la plus élevée parce qu'elle est naturelle. L'effet produit par un instrument (qui n'est seulement et simplement qu'une machine) ne peut se comparer à celui produit par la voix humaine. Si parfaites que soient les cordes, elles ne peuvent faire sur l'auditeur la même impression que la voix. La voix vient directement de l'âme, comme souffle; elle est amenée à la surface par l'intermédiaire de l'esprit et des organes vocaux du corps. Lorsque l'âme désire s'exprimer dans la voix, elle cause d'abord une activité dans l'esprit, et l'esprit, au moyen de la pensée, projette des vibrations subtiles dans le plan mental; celles-ci, en temps voulu, se développent et circulent comme souffle dans les régions de l'abdomen, des poumons, de la gorge, de la bouche et des organes nasaux, faisant vibrer l'air à travers tous, jusqu'à ce qu’il se manifestent à la surface, en tant que voix. La voix exprime donc naturellement l'attitude de l'esprit, vraie ou fausse, sincère ou non.

 

La voix possède tout le magnétisme dont manque l'instrument, car la voix est l'instrument idéal de la nature qui servit de modèle à tous les autres instruments du monde.

 

L'effet produit en chantant dépend de la profondeur du sentiment du chanteur. La voix d'un chanteur sympathique est totalement différente de celle qui émane d'un chanteur dépourvu de cœur. Si cultivée artificiellement que puisse être une voix, elle sera toujours privée de sentiment, de grâce et de beauté, si le cœur lui-même n'est pas développé. Le chant possède une double source d'intérêt: la grâce de la musique et la beauté de la poésie. Plus l'artiste sent ce qu'il chante, plus il impressionne l'auditoire; son cœur, pour ainsi dire, accompagne le chant.

 

Bien que le son produit par un instrument ne puisse être créé par la voix, l'instrument, cependant, est totalement dépendant de l'homme. Cela explique clairement la façon dont l'âme fait usage de l'esprit et dont l'esprit gouverne le corps; il semble pourtant que le corps agisse, non l'esprit, et que l'âme soit en dehors. Lorsque l'homme entend le son d'un instrument, et voit le travail de la main de l'artiste, il ne voit pas l'esprit qui agit, ni le phénomène de l'âme.

 

A chaque pas, depuis l'être intérieur jusqu'à la surface, se produit un progrès apparent qui paraît être plus positif; cependant chaque pas vers la surface entraîne la limitation et la dépendance.

 

Il n'y a rien qui puisse servir de médium au son, bien que le ton se manifeste plus clairement à travers un corps sonore qu'à travers un corps solide: le premier étant ouvert aux vibrations tandis que le second leur est fermé. Toutes choses qui rendent un son clair font preuve de vie, tandis que les corps solides, engorgés par la substance, paraissent morts. La résonance est la retenue du son; en d'autres termes, c'est le rebondissement du son qui produit un écho. Tous les instruments sont construits sur ce principe, leur différence résidant dans l'ampleur et la qualité du timbre qui dépend de la construction de l'instrument. Les instruments à percussion comme le Tabla ou le tambour, conviennent pour la musique d'ordre pratique, et les instruments à cordes comme le Sitar, le violon ou la harpe, sont destinés à la musique artistique. Le Vîna est spécialement construit pour concentrer les vibrations, parce qu'il donne un son faible, que seul peut entendre le joueur; on s'en sert pour la méditation. L'effet de la musique instrumentale dépend aussi de l'évolution de l'homme qui, sur l'instrument, exprime son degré d'évolution avec le bout des doigts; autrement dit, son âme parle à travers l'instrument. On peut y lire l'état d'esprit d'un homme par son toucher sur n'importe quel instrument, car si grand, si habile puisse-t-il être, sans un sentiment développé au fond de lui-même, il ne peut produire, par son seul talent, la grâce et la beauté qui en appellent au cœur.

 

Les instruments à vent comme la flûte et l'Algosa expriment particulièrement les qualités du cœur, car on les joue avec le souffle qui est la vie même; ils allument donc le feu du cœur. Les instruments à cordes de boyaux ont un effet vivant parce qu'ils viennent d'une créature vivante qui, une fois, possédait un cœur; les instruments à cordes métalliques ont un effet électrisant, et les instruments à percussion comme le tambour, ont sur l'homme un effet stimulant et animateur.

 

Après la musique vocale et instrumentale, vient la musique en mouvement de la danse. Le mouvement est la nature de la vibration. Tout mouvement contient en lui-même une pensée et un sentiment. Cet art est inné chez l'homme; le premier plaisir de l'enfant dans la vie est de s'amuser avec le mouvement de ses pieds et de ses mains; un enfant qui entend la musique commence à bouger. Les bêtes mêmes, et les oiseaux, expriment leur joie en mouvement. Le paon orgueilleux, dans la vision de sa beauté, exhibe sa vanité en dansant; de même, le cobra déploie son chaperon et balance son corps lorsqu'il entend la musique du Pungi. Tout cela prouve que le mouvement est signe de vie, et quand il s'accompagne de musique, il crée le mouvement à la fois chez l'artiste et le spectateur.

 

Les mystiques ont toujours considéré l'art de mouvement comme un art sacré. Les Écritures hébraïques nous présentent David dansant devant le Seigneur; les dieux et déesses des Grecs, Égyptiens, Bouddhistes et Brahmanes, sont représentés en différentes attitudes qui, toutes, ont un certain sens, une certaine philosophie relative à la grande danse cosmique qui est évolution. Même de nos jours, parmi les Soufis d'Orient, la danse fait partie de leurs réunions sacrées appelées Suma, car la danse est la manifestation de la joie; au Suma, les derviches donnent libre cours à leur extase en Rakhs, - considéré avec grand respect et vénération par ceux qui sont présents - et qui est en lui-même une cérémonie sacrée.

 

L'art de la danse a grandement dégénéré en raison de son mauvais usage. La plupart des gens recherchent la danse. Poussés par le goût de l'amusement ou le besoin d'exercice, et de par leur frivolité, ils en abusent.

 

Le ton et le rythme portent vers la tendance à danser. En résumé, l'on peut dire que la danse est une gracieuse expression de la pensée et du sentiment sans le secours de la parole. On peut en faire usage aussi pour impressionner I'âme par le mouvement en produisant devant elle une image idéale. Lorsque la beauté du mouvement est prise comme la représentation de l'idéal divin, la danse devient alors sacrée. La musique de la vie présente sa mélodie et son harmonie dans nos expériences quotidiennes. Chaque mot prononcé est une note juste ou fausse suivant le degré de notre idéal. Le timbre de voix de l'un est dur comme une corne, tandis que celui d'un autre est aussi doux que les notes élevées de la flûte.

 

Le progrès graduel de toute la création, depuis l'évolution la plus basse jusqu'à la plus haute, son changement d'un aspect à un autre, est comme la transposition en musique, la clef d'une mélodie changée en une autre. L'amitié et l'inimitié parmi les hommes, leurs sympathies et leurs antipathies, sont comme les accords et les dissonances. L'harmonie de la nature humaine et la tendance humaine à l'attraction et la répulsion sont, comme en musique, l'effet des intervalles consonants et dissonants.

 

Dans la tendresse du cœur, le ton se transforme en demi-ton; et quand le cœur se brise, le ton se brise en micro-tons. Plus le cœur s'attendrit, plus le ton devient sonore; plus le cœur s'endurcit, plus morts sont les sons.

 

Chaque note, chaque gamme et chaque accord, expirent au temps voulu; à la fin de l'expérience de l'âme, vient le final; mais l'impression subsiste, comme un concert dans un rêve, devant la vision rayonnante de la conscience.

 

Avec la musique de l'Absolu, la basse, le son fondamental, persiste continuellement; mais à la surface, et sous les différentes clés de tous les instruments de la nature, le son fondamental est caché et adouci. Chaque être, avec la vie, vient à la surface, puis retourne d'où il vient, comme chaque note retourne à l'océan du son. Le son fondamental de cette existence est le plus bruyant et le plus doux, le plus élevé et le plus bas; il submerge tous les instruments d'harmonie douce ou bruyante, haute ou basse, jusqu'à ce que tous, graduellement, se fondent en lui; le son fondamental est toujours et sera toujours.

 

Le mystère du son est appelé mysticisme; l'harmonie de la vie est Religion. La connaissance des vibrations se nomme Métaphysique, et l'analyse des atomes, Science; leur groupement harmonieux est l'Art. Le rythme de la forme est poésie et le rythme du son, musique. Cela montre que la musique est l'art des arts et la science de toutes les sciences; elle contient en elle-même la fontaine de toute connaissance.

 

On dit de la musique que c'est un art divin ou céleste, non seulement à cause de son usage dans la religion et la dévotion, mais en raison de sa subtilité en comparaison de tous les autres arts et sciences. Toute écriture sacrée, toute image sainte ou parole émise, produit l'impression de son identité sur le miroir de l'âme; mais la musique se présente à l'âme sans lui procurer aucune impression de forme ou de nom de ce monde objectif; ainsi elle prépare l'âme à réaliser l'Infini. Le Soufi, en ayant pris conscience, nomme la musique Ghiza-i-ruh, la nourriture de l'âme, et s'en sert comme source de perfection spirituelle; car la musique avive le feu du cœur, et la flamme qui en jaillit illumine l'âme. Dans ses méditations, le Soufi tire un plus grand profit de la musique que de toute autre chose. Son attitude dévotionnelle et méditative le rend réceptif à la musique qui l'aide dans son développement spirituel. La conscience, à l'aide de la musique, s'affranchit d'abord du corps, ensuite, de l'esprit. Parvenu à cet accomplissement, il n'y a plus qu'un degré à franchir pour atteindre la perfection spirituelle.

 

A toutes les époques, en quelque pays qu'ils aient vécu, les Soufis ont porté un profond intérêt à la musique; Roumi particulièrement, adopta cet art en raison de sa grande dévotion. Il écoutait, chantés par les Qawwals, musiciens accompagnés par des flûtes, les vers des mystiques sur l'amour et la vérité.

 

Le Soufi visualise dans son esprit l'objet de sa dévotion qui se reflète sur le miroir de son âme. Chacun possède un cœur, facteur de sentiment, bien que ce cœur ne soit pas vivant en chacun. Le Soufi le rend vivant en donnant libre cours à ses sentiments intenses par les larmes et les soupirs. En agissant ainsi, les nuages de Jelal, le pouvoir qui s'unit à son développement psychique, tombe en larmes comme des gouttes de pluie, et le ciel de son cœur est clair, permettant à l'âme de briller. Les Soufis regardent cet état comme l'extase sacrée.

 

Depuis l'époque de Djalal-ud-Din-Roumi, la musique est devenue partie de la dévotion dans l'ordre Mevlavi des Soufis. Généralement, en raison de leurs points de vue orthodoxes étroits, les masses ont rejeté les Soufis et leur ont fait opposition à cause de leur liberté de pensée, ainsi elles ont faussement interprété les enseignements du Prophète qui prohibait l'abus de la musique, mais non la musique dans le sens réel du terme. Pour cette raison, les Soufis créèrent un langage musical afin que les initiés seuls puissent comprendre le sens des chants. Beaucoup en Orient entendent ces chants et les aiment, sans en comprendre le sens réel.

 

Une branche de cet Ordre vint autrefois en Inde, et y fut connue sous le nom d'École Chishtia des Soufis. Khwaja Moin-ud-Din-Chishti, l'un des plus grands mystiques connus du monde, l'éleva à une haute renommée. Il ne serait pas exagéré de dire qu'il vivait réellement de musique; même de nos jours, bien que son corps soit dans la tombe depuis des siècles, sur son tombeau cependant, on entend toujours de la musique donnée par les meilleurs chanteurs et musiciens du pays. Cela prouve la gloire d'un sage affligé de pauvreté comparée à la pauvreté d'un roi glorieux: durant sa vie, l'un possède tout et le perd en mourant, tandis que la gloire du sage va toujours s'accroissant. Actuellement, la musique prévaut à l'école des Chishtis qui tiennent des assemblées musicales de méditation appelées Suma ou Qawwali. Ils y méditent sur l'idéal de leur dévotion qui est en rapport avec leur degré d'évolution, et ils développent le feu de leur dévotion en écoutant la musique.

 

Wajad, l'extase sacrée que les Soufis expérimentent d'habitude durant le Suma, peut être appelée l'Union avec l'Être désiré. Il y a trois aspects de cette union dont les Soufis font l'expérience à leurs différents degrés d'évolution. Le premier est l'union avec l'Idéal révéré de ce plan terrestre, présent devant le dévot, rempli d'amour, d'admiration et de gratitude; il devient alors capable de visualiser la forme de son idéal de dévotion en écoutant la musique.

 

Le second degré de l'extase, et l'aspect plus élevé d'union, est l'union avec la beauté du caractère de l'idéal, indépendant de la forme. Le chant, dans la louange du caractère idéal, aide l'amour du dévot à jaillir et à déborder.

 

Le troisième degré de l'extase est l'union avec le divin Bien-aimé, l'idéal le plus haut, qui est au-delà des limitations de nom et de forme, de vertu ou de mérite, avec lequel l'âme a constamment cherché l'union, et qu'elle a finalement trouvée. Cette joie est inexprimable. Quand les paroles de ces âmes, qui déjà ont atteint l'union avec le divin Bien-Aimé, sont chantées devant celui qui suit le sentier du divin amour, il voit toutes les indications de la route décrite en ces vers, ce qui est pour lui d'un grand réconfort. La louange de Celui qui est idéalisé ainsi, tellement différent de l'idéal du monde en général, le remplit d'une joie inexprimable.

 

L'extase se manifeste sous des aspects différents: parfois un Soufi peut être en larmes; parfois elle se manifestera par un soupir; parfois elle s'exprimera en Rakhs ou mouvements. Tous ceux qui sont présents à l'assemblée du Suma considèrent ces manifestations avec respect et vénération, parce que l'extase est considérée comme une bénédiction divine. Le soupir du dévot dégage pour lui un chemin dans le monde invisible, et ses larmes lavent les péchés des siècles. Toute révélation suit l'extase; toute connaissance qu'un livre puisse jamais contenir, un langage exprimer ou un Maître enseigner, vient à lui d'elle-même.

 

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