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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


RYTHME
Mysticisme du son
Chapitre 6
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

Le mouvement est la conséquence de la vie et la loi du mouvement est rythme. Le rythme est la vie manifestée sous l'apparence des mouvements et sous chacune de ces apparences il semble attirer l'attention de l'homme: l'enfant est heureux du mouvement de son hochet et calmé par le balancement de son berceau, comme l'adulte jouit de chaque jeu, sport ou distraction; qu'ils soient tennis, cricket, golf, lutte ou boxe, ils sont rythme travesti sous une forme ou l'autre. Il en est de même des distractions intellectuelles; l'essence de l'esprit et de la vie, de la poésie et de la musique vocale ou instrumentale est le rythme. Un dicton Sanscrit nous dit que le ton est la mère de la nature, tandis que le rythme en est le père. Bien que n'ayant aucune idée du temps, un enfant habitué à prendre ses repas à des heures régulières, les réclame à ces mêmes heures. Cela s'explique par le fait que la nature même de la vie est rythme. L'enfant commence sa vie sur terre en agitant bras et jambes, montrant ainsi le rythme de sa nature et illustrant l'enseignement de cette philosophie que le rythme est le signe de la vie. La tendance à danser qui se fait sentir en tout être humain, présente aussi l'évidence de cette nature innée de beauté qui choisit le rythme comme mode d'expression.

 

Le rythme produit une extase inexplicable et qui n'est comparable à aucune autre source d'ivresse. C'est pourquoi la danse a été le passe-temps le plus fascinant de tous les peuples, tant civilisés que sauvages, ravissant aussi bien le saint que le pécheur. Les races qui ont tendance à un rythme fortement accentué doivent être de nature vigoureuse. Le Ragtime, si populaire à notre époque vient de la race noire; la syncope est le secret de son charme et l'expression naturelle du rythme de cette race.

 

Le rythme du Jazz éveille une sorte de vie chez ceux qui le pratiquent aussi bien que chez ceux qui l'écoutent, et c'est l'amour de cette vie qui a donné au Jazz-band une telle popularité. Chez maintes tribus sauvages des différentes parties du monde, les danses présentent un rythme très prononcé; c'est la preuve que le rythme n'est pas dû à une culture, mais qu'il est naturel. Parmi les Européens, les Espagnols, les Polonais, les Hongrois, et les Russes sont particulièrement attirés vers le rythme. Le secret du succès des Ballets Russes et des danses espagnoles réside dans leur rythme exquis. Chez les races asiatiques la musique mongole est principalement basée sur le rythme qui y est plus prononcé que la mélodie. Il est également accentué dans la musique turque et Persane et chez les Arabes la variété des rythmes est immense. En Inde cependant, la culture du rythme est parvenue à la perfection. Là, un musicien consommé improvise une mélodie en conservant la même mesure à travers toute l'improvisation. Pour devenir un musicien expert en Inde, on doit être complètement maître non seulement du raga et de la gamme, mais aussi de Tala, le rythme. De par leur race, les Hindous sont naturellement enclins au rythme; leur danse Tandeva Nrütya, la danse du Sud, est une expression du rythme dans le mouvement.

 

La science musicale Hindoue comporte cinq rythmes différents qui proviennent généralement de l'étude de la nature:

I° Chatura, le rythme à quatre temps qui fut inventé par les Devas ou hommes divins.
II° Tisra, le rythme à trois temps, inventé par les Rishis, ou Saints.
III° Khanda, le rythme à cinq temps inventé par les Rakshasas.
IV° Mistra, le rythme à sept temps inventé par le peuple.
V° Sankrian, le rythme à neuf temps inventé par la classe commerciale.

 

Mahadeva, le grand Seigneur des Yogis, fut le danseur du Tandeva Nrütya et sa compagne Parvati dansait le Lassia Nrütya.

 

Les traditions Hindoues relatent comme des plus sacrée la légende mystique de leur Seigneur Shri Krishna dansant avec les Gôpis. L'histoire raconte comment Krishna, le charmant jeune Seigneur des Hindous, parcourant les demeures des bergers, attira toutes les filles par son charme et sa beauté; chacune lui demandant de danser avec elle, il le leur promit: chacune danserait avec lui à la pleine lune. Cette nuit de la pleine lune venue, seize cents Gôpis se rassemblèrent et le miracle de Krishna s'accomplit. Il apparut à chaque Gôpi comme un Krishna individuel et toutes, au même moment, dansèrent avec leur Seigneur bien-aimé.

 

L'islam possède une tradition suivant laquelle la musique, la danse, tous les amusements et les occupations frivoles sont strictement prohibés. A l'occasion d'un jour de fête, le Prophète fit venir sa femme Ayasha pour écouter la musique de quelques musiciens de la rue et regarder danser. Son grand Khalife survint et fut scandalisé de voir que le Prophète, auteur des prohibitions, tolérait qu'on fît de la musique devant sa maison. Il fit interrompre la musique, montrant du doigt aux musiciens que là se trouvait la demeure du Prophète. Mais Mahomet les pria de continuer, disant que c'était un jour de fête et qu'il n'existait pas de cœur qui ne fût ému par le mouvement du rythme.

 

Dans la tradition des Soufis, Rakhs, la danse sacrée de l'extase spirituelle qui subsiste encore de nos jours parmi les Soufis d'Orient, date de l'époque où la contemplation du Créateur imprima si profondément la merveilleuse réalité de sa vision dans le cœur de Djalal-ud-Din-Roumi que celui-ci s'absorba entièrement dans la seule et complète immanence de la nature. Il tourna rythmiquement au point que les pans de ses vêtements formèrent un cercle et les mouvements de ses mains et de son cou en formèrent un autre; c'est en mémoire de ce moment de vision qu'est célébrée la danse des Derviches.

 

Dans la création inférieure même, les bêtes et les oiseaux expriment toujours leur joie par leurs danses: le paon, lorsqu'il est conscient de sa beauté, de la beauté de la forêt qui l'entoure, exprime sa joie en dansant. La joie suscite la passion et l'émotion chez toutes les créatures vivantes.

 

En Orient et spécialement en Inde, depuis des siècles, la vie des gens a été basée sur des principes psychologiques. Aussi, dans les processions royales ou aux Durbars, on se sert des roulements de tambour pour impressionner l'esprit des foules par la grandeur royale; ces mêmes roulements de tambour ont lieu dans les cérémonies de mariages et les services des Temples.

 

Les Soufis, dans le but d'éveiller cette nature émotive, généralement endormie dans l'homme, possèdent une pratique rythmique qui établit le rythme dans tout le mécanisme du corps et de l'esprit.

 

Consciemment ou inconsciemment, chez tous les êtres il existe une tendance au rythme. Chez les nations européennes, l'expression du plaisir se manifeste par les applaudissements; un signe d'adieu se fait en agitant la main, ce qui forme un rythme.

 

De façon ou d'autre, tout labeur, toute peine, si difficiles et pénibles soient-ils deviennent plus aisés par le pouvoir du rythme; cette idée ouvre au penseur une marge plus profonde encore pour étudier la vie.

 

Qu'on le nomme jeu, amusement, poésie, musique ou danse, sous tous ses aspects le rythme est la véritable nature de toute la constitution de l'homme. Quand tout le mécanisme de son corps travaille dans son rythme, le battement du pouls, du cœur, de la tête, la circulation du sang, la faim et la soif, tout dénote le rythme et c'est la rupture du rythme qu'on appelle maladie. Lorsque l'enfant pleure et que la mère ignore la cause de son mal, elle le prend dans ses bras, le couche sur le ventre et lui tapote le dos. Cela rétablit le rythme de la circulation du sang, des pulsations et de tout le mécanisme du corps; autrement dit, remet le corps en ordre et calme l'enfant. Le petit poème "Pat a cake" qu'on récite sous une forme ou l'autre dans les nursery du monde entier, guérit l'enfant de son agitation en établissant le rythme dans tout son être.

 

Pour découvrir la véritable nature de la maladie les médecins se rapportent plus à l'examen du pouls qu'à toute autre chose en y joignant l'examen des battements du cœur et le mouvement des poumons dans la poitrine et le dos. Le rythme joue un rôle des plus importants non seulement dans le corps, mais aussi dans l'esprit; le changement de la joie à la tristesse, la façon dont les pensées s'élèvent et retombent, et tout le travail de l'esprit manifestent le rythme; toute confusion et désespoir semblent s'expliquer par le manque de rythme dans l'esprit.

 

En Orient, et surtout en Inde, les guérisseurs des temps passés avaient la coutume suivante: pour guérir un mal d'origine psychologique (reconnu comme obsession ou effet de magie) ils excitaient la nature émotive du malade par un rythme accentué de leur tambour et de leur chant et faisaient en même temps remuer la tête de leur patient de haut en bas en suivant la mesure. Ce procédé éveillait ses émotions et l'incitait à dire le secret de son mal, dissimulé jusqu'alors sous le voile de la crainte, des conventions et du formalisme. Sous l'influence du charme produit par le rythme, le malade confessait tout au guérisseur et celui-ci pouvait ainsi découvrir la source de la maladie.

 

Les mots "réfléchi" et "irréfléchi" signifient un état d'esprit rythmique ou arythmique; l'équilibre qui est le seul support dans la vie, se maintient par le rythme. Qu'on soit éveillé ou endormi, la respiration qui conserve le contact entre l'esprit et le corps et relie l'esprit à l'âme a pour but de conserver le rythme à tout moment: les mouvements d'aspiration et d'expiration sont comparables à ceux des oscillations du balancier d'une horloge. Comme la respiration maintient toute la force et l'énergie, qu'elle est le signe de la vie et que sa nature est de se répandre alternativement sur la droite et la gauche, c'est la preuve que le rythme est de la plus grande importance dans la vie.

 

Comme le rythme est inné chez l'homme et maintient sa santé, toutes ses affaires dans la vie en dépendent aussi: son succès, son échec, ses actions justes ou mauvaises, tout d'une façon ou de l'autre, n'est dû qu'au changement du rythme. L'instinct de voler chez les oiseaux est un mouvement rythmique des ailes; c'est la même tendance à la contraction rythmique qui permet au poisson de nager, au serpent de ramper.

 

Une observation profonde montre que tout l'univers n'est qu'un seul mécanisme fonctionnant par la loi du rythme. La montée et la chute des vagues, le flux et le reflux des marées, la croissance et la décroissance de la lune, le lever et le coucher du soleil, le changement des saisons, le mouvement de la terre et des planètes, tout le système cosmique et la constitution de l'univers entier fonctionnent sous la loi du rythme. Les cycles de rythmes comprenant des cycles majeurs et des cycles secondaires s'interpénétrant, soutiennent dans leur balancement la totalité de la création. C'est ce qui démontre l'origine de la manifestation: ce mouvement a jailli de la vie immobile et chaque mouvement doit nécessairement résulter en un double aspect. Dès que vous agitez un bâton, son simple mouvement forme deux points: celui d'où il part et celui où il aboutit, l'un fort et l'autre faible, sur lesquels un chef d'orchestre comptera: "un, deux", "un, deux"; un accent prononcé et un accent faible; un mouvement possédant deux effets distincts et différents l'un de l'autre. C'est ce mystère qui se cache sous l'aspect dualiste de toute phase et forme de la vie. La raison, la cause et la signification de toute vie se trouveront dans le rythme.

 

On peut expliquer de la façon suivante la conception psychologique des rythmes employés en poésie ou en musique: chaque rythme possède un certain effet, non seulement sur les corps physique et mental du poète ou sur celui pour qui le poème est écrit, sur le musicien ou celui pour qui la mélodie est chantée, mais même sur les affaires de leur -vie. Ce qui vient de la croyance que la poésie ou la musique peuvent apporter bonne ou mauvaise chance au poète, au musicien et à celui qui les écoute, c'est que le rythme se cache sous la racine de toute activité constructive ou destructive, de sorte que le destin d'une affaire dépend du rythme de toute activité. Les expressions qu'on emploie journellement comme: "il était trop tard" ou "ce fut fait trop tôt", tout montre l'influence du rythme sur l'événement. Des exemples comme le naufrage du Titanic et les changements surprenants survenus pendant la dernière guerre, si on les étudiait avec soin, pourraient s'expliquer par l'influence du rythme agissant à la fois dans les sphères mentale et physique.

 

Chez les Indiens on trouve une superstition disant que lorsqu'une personne bâille dans une assemblée, quelqu'un d'autre doit claquer des doigts ou frapper des mains. Le sens caché de cette coutume est qu'un bâillement signifie un ralentissement du rythme et que le fait de claquer les doigts ou frapper les mains est censé ramener le rythme à son état primitif. Quand un enfant Musulman lit le Coran, il remue la tête en avant et en arrière. Le populaire suppose que c'est là un salut respectueux aux mots sacrés qu'il lit; mais psychologiquement parlant, cela l'aide à se rappeler le Coran en régularisant la circulation et faisant du cerveau un véhicule récepteur; de même que pour emplir un sac on le secoue parfois dans le but de faire plus de place. On peut le voir également quand une personne hoche la tête en acceptant une idée ou la secoue quand elle ne peut l'admettre.

 

Le mécanisme de toute espèce de machine travaillant par elle-même est organisé et maintenu par la loi du rythme; et c'est une autre preuve du fait que tout le mécanisme de l'univers est basé sur la loi du rythme.

 

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