La vie silencieuse fait
son expérience à la surface par l'activité; elle paraît morte en
comparaison de la vie active de la surface. Pour le sage seulement, la
vie éternelle paraît préférable à la vie mortelle impermanente et
peu durable. La vie en surface semble être la vie réelle car c'est en
cette vie que se fait l'expérience de toute joie.
Dans la vie silencieuse
il n'y a pas de joie, mais paix seulement. L'être originel de l'âme
est paix et sa nature est joie, l'un s'opposant à l'autre; et c'est la
cause cachée de toute la tragédie de la vie. Originellement l'âme est
dépourvue de toute expérience; elle expérimente tout en ouvrant les
yeux au plan extérieur, son regard ne portant que sur la vie en surface
et s'y complaisant jusqu'à pleine satisfaction. Puis l'âme ferme les
yeux au plan extérieur et recherche constamment la paix, l'état
originel de son être.
La partie intérieure et
essentielle de chaque être est composée de vibrations subtiles et sa
partie extérieure de vibrations grossières. Nous appelons esprit la
partie la plus subtile et matière la plus grossière; le premier étant
moins sujet au changement et à la destruction que la seconde. Tout ce
qui vit est esprit, tout ce qui meurt est matière; tout ce qui, dans
l'esprit, meurt est matière et tout ce qui vit dans la matière est
esprit. Tout ce qui est visible et perceptible paraît être vivant,
bien que sujet à la mort et la décomposition, se transformant sans
cesse en son élément le plus fin. C'est l'esprit qui vit réellement,
voilé sous la matière; mais la vision de l'homme est si abusée par
l'attention qu'il attache au monde apparent, que son être véritable
est caché. C'est l'activité croissante qui cause la matérialisation
des vibrations et c'est la décroissance graduelle qui, à nouveau, les
transforme en esprit. Comme on l'a déjà dit, les vibrations traversent
cinq phases distinctes durant leur changement de l'état subtil à l'état
grossier, et les éléments de l'éther, l'air, le feu, l'eau et la
terre ont chacun une saveur, une couleur et une forme qui leur sont
particuliers. Cette rotation des éléments les amène tous à la
surface en temps voulu. A chaque degré de leur activité, ils varient
et deviennent distincts l'un de l'autre. C'est le groupement de ces
vibrations qui produit la variété dans le monde objectif et l'homme
appelle destruction la loi qui les force à se disperser.
Les vibrations se
transforment en atomes et les atomes engendrent ce que nous appelons
vie. Il arrive ainsi que leur groupement, par le pouvoir d'affinité de
la nature, forme une entité vivante et lorsque le souffle se manifeste
dans la forme, le corps devient conscient. Bien des êtres ténus et
subtils se cachent dans un individu: dans son sang, les cellules de son
cerveau, sa peau, dans tous les plans de son existence. Dans l'existence
physique d'un individu, beaucoup de petits germes naissent et se
nourrissent qui n'en sont pas moins des êtres vivants; de même dans
son plan mental vivent bien des êtres nommés Mawakals, ou élémentaux.
Ce sont des entités encore plus délicates nées des propres pensées
de l'homme; et de même que les germes vivent dans son corps physique
ainsi les élémentaux habitent sa sphère mentale. L'homme imagine
souvent que les pensées n'ont pas de vie; il ne voit pas qu'elles sont
plus vivantes que les germes physiques, qu'elles ont une naissance, une
enfance, une vieillesse et une mort. Suivant leur nature, elles
travaillent pour le bien de l'homme ou à son détriment. Le Soufi les
crée, les façonne et les contrôle. Il les exerce et les dirige à
travers sa vie; elles forment son armée et accomplissent ses désirs.
Comme les germes constituent l'être physique de l'homme et les élémentaux
sa vie mentale, ainsi les anges constituent son existence spirituelle.
On les nomme «Farishtas».
En principe les
vibrations ont longueur aussi bien que largeur; elles peuvent durer
moins de la fraction d'un instant ou la plus grande partie de l'âge de
l'univers. Elles créent différentes formes, figures et couleurs à
mesure qu'elles se manifestent, une vibration engendrant une autre;
ainsi des myriades émanent d'une seule. Par là il se forme des cercles
englobés sous des cercles et des cercles englobant d'autres cercles et
dont la totalité forme l'univers. Chaque vibration une fois manifestée
se fond à nouveau dans sa source originelle. L'extension des vibrations
est en rapport avec la subtilité du plan de leur point de départ. Pour
parler plus clairement, le mot prononcé par les lèvres ne peut
atteindre que les oreilles de celui qui écoute; mais la pensée procédant
de l'esprit, s'élançant de l'esprit à l'esprit, possède une grande
portée. Les vibrations de l'esprit sont beaucoup plus puissantes que
celles des mots. Les sentiments sincères d'un cœur peuvent pénétrer
le cœur d'un autre, ils parlent en silence, s'épandent dans la sphère
au point que l'atmosphère même qui se dégage d'une personne proclame
ses pensées et ses émotions. Les vibrations de l'âme sont les plus
puissantes et celles qui s'étendent le plus loin; tel un courant électrique,
elles courent d'âme à âme.
Toutes choses et tous êtres
dans l'univers sont reliés les uns aux autres et dans tous les plans
d'existence, visiblement ou invisiblement, et c'est au moyen des
vibrations qu'il s'établit entre eux une communication. Il en existe un
exemple courant: lorsqu'un individu tousse ou baille dans une réunion,
beaucoup d'autres commencent à l'imiter; ce qui se présente aussi dans
les cas du rire, l'excitation et la dépression. C'est la preuve que les
vibrations transportent des états d'être d'une personne à une autre.
Celui dont la vue est pénétrante connaît donc le présent, le passé,
le futur et perçoit les conditions de tous les plans d'existence.
Les vibrations agissent
au moyen du lien de sympathie qui se crée entre un homme et son
entourage; elles révèlent les conditions passées, présentes et
futures; et c'est l'explication des hurlements du chien annonçant la
mort et des hennissements du cheval à l'approche du danger. C'est le
fait non seulement des animaux, mais les plantes même se meurent dans
les temps de douleur et les fleurs se fanent, alors que durant les époques
de bonheur elles poussent et fleurissent. La raison pour laquelle les
plantes et les animaux peuvent percevoir les vibrations et connaître la
venue des événements, alors que l'homme en est ignorant, vient de ce
que ce dernier s'est aveuglé par son égotisme. L'influence des
vibrations reste sur la chaise où l'on s'est assis, le lit où l'on a
dormi, la maison où l'on vit, les vêtements qu'on porte, la nourriture
qu'on mange et même la rue où l'on marche.
Toute émotion surgit de
l'intensité de l'activité des vibrations qui, agissant en différentes
directions, produisent des émotions différentes, la principale cause
de toute émotion étant seulement l'activité. Chaque vibration en état
d'activité amène la conscience à la surface extérieure et le
brouillard causé par cette activité assemble les nuages que nous
nommons émotions. Les nuages de l'émotion obscurcissent la clarté de
la vue de l'âme. C'est ce qui fait dire de la passion qu'elle est
aveugle. L'excès d'activité des vibrations n'aveugle pas seulement,
mais affaiblit la volonté et une volonté faible affaiblira l'esprit et
le corps.
C'est l'état de
vibrations auquel l'homme est accordé qui détermine la note de son âme.
Les différents échelons de ces notes forment une variété de
diapasons que le mystique divise en trois degrés différents: le
premier, qui produit pouvoir et intelligence, peut se comparer à une
mer calme; le second, dont l'activité est modérée, conserve tout en
mouvement, constitue un équilibre entre le pouvoir et la faiblesse, est
comparable à la mer en mouvement. Le troisième degré d'activité,
intense, qui détruit tout, est cause de toutes les faiblesses et les
aveuglements et peut se comparer à la mer déchaînée.
Celui dont la vue pénètre
dans l'activité de toute chose et de tous les êtres en reconnaît le
diapason, comme le musicien connaît la clé dans laquelle est écrite
n'importe quelle œuvre musicale. L'atmosphère qui se dégage de
l'homme indique le degré d'activité de ses vibrations.
Si l'activité
vibratoire est convenablement contrôlée, l'homme peut expérimenter
toutes les joies de la vie sans en devenir l'esclave. Il est extrêmement
difficile de contrôler l'activité une fois qu'elle est en route et en
voie d'accroissement. Autant essayer d'arrêter un cheval emballé. Mais
cependant, dans le contrôle réside l'ensemble de ce qui est appelé «Maîtrise».
Les Saints et les Sages
répandent leur paix non seulement à l'endroit où ils se trouvent
assis, mais encore dans le voisinage de leur demeure; la ville ou le
pays où ils vivent est en paix, conformément à la force des
vibrations émanant de leur âme. C'est la raison pour laquelle
l'association avec les bons ou les mauvais, avec les classes élevées
ou inférieures, a une grande influence sur la vie et le caractère de
l'homme. Les vibrations de pensée, de sentiment, créent, procurent et
préparent d'elles-mêmes tous les moyens nécessaires à leur
manifestation en surface.
Quelqu'un, par exemple,
peut désirer manger du poisson, et au lieu de le commander, peut y
penser avec force; les vibrations de sa pensée, parlant alors aux
oreilles mentales du cuisinier, lui donnent le même désir; peut-être
même cette impression puissante attirera-t-elle un marchand de poisson
à la maison. Les pensées des Sages accomplissent leur destinée de
cette façon, suivant la force, le pouvoir et la pureté de leur esprit.
Il faut un certain degré de pouvoir de pensée pour amener le résultat
voulu; de même qu'il faut une certaine quantité de dynamite pour faire
sauter un simple rocher et une quantité bien supérieure pour percer un
tunnel à travers une montagne.
La durée pendant
laquelle on maintient sa pensée est également importante pour sa réalisation,
car les vibrations de la pensée doivent conserver leur activité durant
un certain temps pour aboutir au résultat désiré. Il faut un temps
donné pour cuire un gâteau; si on le fait à la hâte, il sera mal
cuit; si la chaleur est trop forte, il brûlera. Si celui qui émet des
vibrations mentales perd patience, même à mi-chemin du résultat ou
plus près encore du succès, le pouvoir de sa pensée sera gaspillé.
Si l'on donne à l'accomplissement de certaines choses un pouvoir de
pensée trop considérable, on les détruit en les préparant.
Pour refléter pensée
et sentiment sur un autre, l'homme doit observer la même règle que
pour la voix et la parole. Plus quelqu'un parle haut dans une assemblée,
plus il attire l'attention de ceux qui sont présents, les forçant à
écouter. De la même façon, si un Soufi émet des vibrations de sa
pensée et de ses sentiments, elles frappent naturellement avec grande
force et puissance tout esprit sur lequel elles tombent. Comme la
douceur de la voix possède un pouvoir attrayant, il en va de même de
la douceur de pensée et de sentiment. Les vibrations de pensée
auxquelles s'ajoute la parole voient leur force doublée; si l'on y
ajoute un effort physique, cette puissance est triplée.
La raison est semblable
au feu, elle éclaire la pensée; mais une pensée surchauffée perd son
pouvoir comme la chaleur peut affaiblir le corps physique. La raison
donne naissance au doute qui détruit le pouvoir de la pensée avant d'être
capable d'accomplir sa destinée.
La force du pouvoir de
la pensée consiste en confiance ou foi. La raison apporte de la
confusion dans les vagues de vibrations de la pensée et le doute les éparpille;
le manque de cette force qui les retient les laisse aller dans des
directions différentes.
On ne devrait jamais
penser ou parler contre son propre désir; on affaiblit ainsi les
vibrations de la pensée et souvent, par là, on aboutit à des résultats
opposés. Des pensées différentes surgissent au même moment,
affaiblissant naturellement le pouvoir de l'esprit, car aucune d'elles
n'a chance d'arriver à maturité; de même que deux jumeaux sont généralement
imparfaits et que trois vivent rarement. Le manque d'harmonie entre un
être et son idéal cause toujours un grand trouble dans sa vie, car ils
agissent constamment l'un contre l'autre. Le fait qu'une personne parle,
pense d'une autre ou ressente envers elle des sentiments mauvais ou
bienveillants, touche consciemment ou inconsciemment l'esprit de cette
dernière par le pouvoir de vibration. S'il nous arrive d'être fâchés
contre quelqu'un sans le faire paraître en paroles ou actions, nous ne
pouvons pourtant le cacher, car les vibrations de notre sentiment
atteindront directement la personne en question et, si éloignée
qu'elle soit, elle commencera à ressentir notre mécontentement. Il en
est de même de notre amour et de notre plaisir; quoique nous fassions
pour les dissimuler dans nos paroles ou nos actions, nous ne pouvons les
cacher. C'est l'explication du vieux proverbe «les murs ont des
oreilles». Il signifie qu'en réalité les murs eux-mêmes ne sont pas
imperméables aux vibrations de la pensée.
Les soufis apportent une
attention spéciale aux vœux, bons ou mauvais, des gens. Ils
s’efforcent toujours d’attirer autant que possible les bons vœux
des autres, qu’ils les estiment ou non. L’intensité de l’activité
produit des vibrations puissantes nommées «Jelal» en terminologie
soufie; la douceur de l'activité produit de douces vibrations appelées
«Jemal». La première activité travaille comme force et pouvoir, la
seconde comme beauté et grâce. Le conflit de ces deux forces se nomme
«Kemal», et ne produit que destruction.
Le jugement de ce qui
est juste ou faux, la conception du bien et du mal, l'idée de péché
et de vertu sont compris différemment par les gens de races, de nations
et de religions différentes; il est donc difficile de discerner la loi
qui gouverne ces oppositions. Cependant, la compréhension de la loi des
vibrations le rend clair. A la surface de l'existence toutes choses et
tous les êtres paraissent séparés les uns des autres, mais dans
chaque plan au-dessous de la surface ils se rapprochent mutuellement
pour ne plus former qu'un dans le plan intérieur. Donc toute
perturbation dirigée contre la paix de la moindre partie de la
manifestation en surface affecte intérieurement le tout. Par suite,
toute pensée, parole ou action qui trouble la paix est mauvaise, néfaste
et péché; si elles apportent la paix, elles deviennent justes, bonnes
et vertueuses.
La vie étant comme un
dôme, sa nature ressemble également à un dôme. La perturbation de la
plus infime partie de la vie trouble le tout et revient comme une
malédiction sur celui qui en a été la cause; toute paix produite à la
surface harmonise le tout et revient sous forme de paix à celui qui l'a
créée. De là cette philosophie de la récompense des bonnes actions et du
châtiment des mauvaises, donnée par les puissances d'en haut.
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