La révélation |
Après son mariage avec Khadidja, et grâce aux tendres soins de sa femme, Mohammed commença à avoir un peu de temps à consacrer au but pour lequel il était né. Il commença à aller au Mont Hira afin de trouver la solitude pour ses dévotions. Parfois il y restait deux ou trois nuits, parfois des jours d'affilée. Il n'y avait là que solitude; pas de querelles, pas de questions, pas de requêtes. Il n'y avait pas de fleurs, pas de fruits, pas d'arbres. C'était le désert. Et là il commença à entendre la voix de Dieu. En réalité la voix de Dieu parle à chacun de nous, mais nous sommes morts à Sa voix; tout d'abord parce que nous sommes absorbés par ce monde matériel et que nos oreilles sont fermées, ensuite à cause de la fausseté dans laquelle nous vivons - notre propre fausseté d'abord et ensuite celle des autres. Dieu n'a jamais cessé de parler, mais nos oreilles sont sourdes et donc nous n'entendons pas Sa voix.
Mohammed commença d'entendre la voix de Dieu plus fortement que tout au monde. La voix disait: "Ikra!" La première fois il n'y fut pas attentif parce qu'il désirait la solitude, la deuxième fois il n'y fut pas attentif parce qu'il était silencieux, mais la troisième fois la voix parla plus fort et il commença à chanter "Allah! Allah!" Et la voix poursuivait: "Ikra! Proclame, récite, chante!" Ceci est important pour les Soufis parce que cela signifie: que tu restes assis à méditer les yeux fermés ne suffit pas, chante Ma gloire dans le dhikr, travaille par le son".
Un jour que Mohammed revenait du Mont Hira, il demanda un manteau, s'en recouvrit et tout pénétré à la fois de crainte, d'espoir et de confiance, il dit à sa femme: "J'ai fait une bien étrange expérience. Je ne sais si je suis fou ou si c'est une expérience qu'ont eu les Maîtres du passé. Je ne peux pas t'expliquer ce que j'ai éprouvé, cela dépasse l'entendement humain". Khadidja dit: "Je ne sais pas pourquoi tu ne serais pas choisi. Pourquoi craindre une mauvaise influence? Je sais et je peux en témoigner, tu es bon, indulgent, patient, doux. Tu es bon pour moi, tu es bon pour tes amis, tu es indulgent pour tes ennemis. Tu es un conciliateur, tu es en sympathie avec les animaux, avec les oiseaux, avec les insectes". Lorsque la conscience lui revint des profondeurs de son esprit, il dit à Khadidja qui le veillait avec inquiétude: "O Khadidja, qui aurait pu penser que je serais, moi, devenu un devin ou un obsédé?" (par un esprit) Khadidja lui répondit: "O mon mari, Dieu me protège. Il ne permettra sûrement pas qu'une telle chose t'arrive, parce que tu dis la vérité, tu ne rends pas le mal pour le mal, tu es de confiance et tu mènes une vie droite. Tu n'es pas de ceux qui palabrent sur les marchés. Que t'est-il arrivé? As-tu vu quelque chose de terrible?"
"Oui", dit Mohammed, et il lui expliqua tout ce qu'il avait vécu au Mont Hira. Après avoir écouté son récit, elle parla, pleine de courage et le visage riant, et dit: "Réjouis-toi, cher mari, et prends courage. Celui qui tient la vie de Khadidja dans sa main m'est témoin que tu seras le prophète de ce peuple". Pour en avoir confirmation elle se leva peu après et se rendit chez son cousin Waraqa, un sage vieillard qui faisait autorité en matière d'Écritures saintes juives et chrétiennes. Aussitôt que Khadidja lui eût tout expliqué de la merveilleuse expérience de son mari pendant sa retraite au Mont Hira, les mots des Écritures sacrées: "Je prierai le Père et il vous donnera un autre consolateur afin qu'il demeure éternellement avec vous: l'esprit de Vérité que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point" (Saint Jean XIV, 16) apparurent devant les yeux de Waraqa en même temps que son cœur était empli de confiance. Il dit alors: "Saint! Saint! En vérité, ceci est la parole de Dieu. Mohammed sera le prophète de ce peuple. Dis-le-lui et prie-le d'avoir du courage. Ne crains pas de mauvaise influence. Je pense que ceci est la même expérience que celle qui fut donnée à Moïse: la communication avec Dieu. Et je pense que si cela continue toute sa communauté sera contre lui. Ils le chasseront, car les gens n'aiment pas ce qui est nouveau. Ils aiment l'ancien qu'ils croient être leur propriété. Si je n'étais pas aussi âgé, je me tiendrais à ses côtés. Ceci prendra quelques années avant de se manifester, mais garde courage, mon enfant, il sera un guide de l'humanité".
L'attente était partout, dans les déserts comme dans les terres peuplées, de l'Est à l'Ouest et du Nord au Sud - l'attente du message de Dieu qui allait arriver. Il fallait qu'un phare soit allumé pour montrer aux navires égarés le droit chemin du port. Le même éclair traversa le cœur de Waraqa. Lorsqu'il rencontra Mohammed par hasard dans la rue, cet homme instruit des Écritures lui dit ardemment: "Par Celui qui tient ma vie dans Sa main, je te dis: Dieu t'a choisi pour être le prophète de ce peuple, la parole de Dieu est venue jusqu'à toi. Réjouis-toi, la communication est établie. Ils te traiteront de menteur, ils te persécuteront, ils te banniront, ils te combattront. Ah! Si je pouvais vivre jusque là, je me battrais pour toi". Et il embrassa Mohammed sur le front. Ces paroles d'espoir et de confiance apportèrent consolation à l'âme innocente de Mohammed pendant le temps de son enfance dans la lumière de Dieu. La communication était établie, Mohammed entendait cette voix véritable, la voix de Dieu. Il ne voyait pas d'images, pas de symboles, il voyait la véritable face de Dieu dans le soleil levant, dans le soleil couchant, dans la nature.
Parce qu'il souhaitait entendre l'être intérieur, parce qu'il s'était détourné de l'être extérieur, de ses amis, de tous, parce qu'il avait foi, il lui fut possible d'entendre l'être intérieur. Une fois la communication établie, vint alors le commandement: "Sois Notre agent, développe la graine semée par le Christ. Fais autour d'elle un corps que le monde puisse voir; sans corps elle ne peut être vue". C'était comme quand nous correspondons une première fois avec un ami; plus tard, une fois la correspondance établie, nous disons: "Fais ceci ou cela pour moi". Alors vint une première sourate et ensuite d'autres sourates:
"En vérité, Nous l'avons
révélé pendant la Nuit du Pouvoir. (Sourate 97)
"Chante au nom de ton
Seigneur (Sourate 96)
La différence entre le sens verbal et l'interprétation mystique du Qur'an est aussi vaste que la distance entre les cieux et la terre. Le mot "nuit" dans la sourate ci-dessus désigne la condition de l'âme lorsqu'elle ne voit pas d'objets terrestres, qu'elle n'a pas de pensées ou d'impressions, comme la tombée de la nuit voile à notre vue tous les objets qui nous entourent. Ceci est la seule condition qui permette à l'âme d'avoir la révélation divine: pendant qu'elle est dans l'étreinte du Tout-Puissant, attirée par Lui qui est son propre élément, durant le temps de sa réceptivité absolue. C'est cela la Nuit du Pouvoir. Ce moment de splendeur est une extase plus grande que l'ensemble des ombres d'extases que l'âme pourrait récolter pendant plusieurs années de sa veille sur le plan physique de l'existence. Dans cet état d'exaltation, apparaissent aux yeux du voyant, les anges, les officiants célestes, et la lumière qui illumine les modalités de la vie. Une paix absolue envahit l'âme jusqu'à ce qu'elle émerge et arrive dans les sphères terrestres, ce qui est l'apparition de l'aube.
Chaque son a une forme et chaque mot a un visage; chaque pensée a une image que les yeux de l'esprit peuvent voir. Tandis que les mots tombaient dans les oreilles de son cœur, la forme de celui qui parlait apparut devant les yeux de son cœur, et Mohammed vit Gabriel, l'officiant céleste, qui venait lui donner confiance dans la véracité des mots.
Tandis que son âme était concentrée sur la lumière divine du dedans, tout autour de lui le soleil, la lune, les planètes, les étoiles, la terre avec toutes ses beautés, la nature avec toutes ses variétés commencèrent à scintiller devant ses yeux comme un manuscrit céleste écrit en lettres d'or. Celui qui parlait au-dedans murmura alors doucement la sourate dont l'interprétation est celle-ci: "Ainsi lis-tu ce manuscrit de la nature qui est devant toi et vois-tu comment à partir d'un état de conception insignifiante (Le sens réel du terme arabe très souvent traduit par "caillot de sang" est "sperme") est apparu le beau visage d'un être vivant dans toute sa perfection. Tel est le phénomène de la plume de Notre nature, qui a écrit Nos signes sur tous les plans de l'existence et a appris à l'homme comment les lire. Alors proclame la gloire de Celui qui enseigne par la plume". Qu'est-ce que «la plume»? Ceci fut interprété comme étant "celui qui enseigna par l'écriture", et cette interprétation lui a fait perdre son grand sens mystique. L'écriture est une si petite chose! Aujourd'hui tout le monde écrit. Lire et écrire sont si peu de choses. Un banquier peur écrire pendant toute sa vie. Que sait-il en fin de compte? Quelqu'un peut écrire une grammaire et devenir un grand spécialiste de sa langue. Que sait-il? Comment peut-on dire de Dieu qu'il écrit? La plume est le souffle. Quand le souffle a disparu, la personne est morte. Aussi longtemps qu'il respire, l'homme projette. Il projette des maisons, des palais; il fait de la poésie, de la musique. Si le souffle de l'homme a tant de pouvoir, quel n'est pas alors le pouvoir collectif du Tout, de Dieu? Il a fait tout cet univers.
Il est dit: "Le soleil, la lune et les étoiles montrent Sa gloire. Glorifiez-Le dans Ses oeuvres". La gloire du chanteur est dans son chant, la gloire du poète est dans ses poèmes. Vous ne ferez pas l'éloge d'un chanteur si vous ne l'avez pas entendu chanter. Vous ne ferez pas l'éloge d'un poète si vous n'avez pas lu sa poésie. Louez Dieu en contemplant la beauté de Sa nature.
La vie sur la terre aux yeux du Soufi est un apprentissage où chaque objet et chaque être, si grand ou si petit soit-il, est une lettre écrite sur la page de l'univers. La Volonté Suprême l'a écrite avec la plume de Son activité et seul peut le lire correctement celui qui est illuminé par l'Esprit au-dedans, car c'est à cette fin que l'homme fut créé.
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