MERAJ |
"Pureté à Celui qui transporta de nuit Son serviteur. (Coran Sourate XVII, 11)
"Par l'étoile à son
coucher, votre compagnon ne
s'est point égaré ni n'a été induit en
erreur et il ne parle pas sous
l'effet de la passion. (Sourate LIII, 1-18)
"Nous t'avons accordé la vision que Nous t'avons montrée." (Sourate XVII, 62)
Tradition rapportée par Katadah et Sabit:
"Après quoi un animal me fut apporté pour en faire ma monture. Il était blanc, d'une taille entre la mule et l'âne, et s'appelait Bouraq. Il s'allongeait aussi loin que la vue peut porter."
Tradition rapportée par Anas:
"Un jour que j'étais seul assis, Gabriel vint et me toucha l'épaule. Je me levai et - surprise! - il y avait là deux nids dans l'arbre. J'étais assis dans l'un et Gabriel dans l'autre, et les portes du premier ciel s'ouvrirent à notre arrivée. Derrière un rideau, je vis une grande lumière et une fenêtre de rubis et de perles. Et Dieu me révéla ce qu’il Lui plut de me révéler."
Le récit de Meraj est donc relaté dans le Coran et complété par des Hadiths et d'autres récits qu'il est loisible aux orthodoxes de croire. Pour un mystique, ce mystère est aussi clair que le secret de Shaqq-e-sadr. En fait, Meraj n'était pas une simple vision, comme beaucoup l'ont compris; c'était une bien plus grande réalisation qu'un rêve même exceptionnel. C'était la réalisation par le Prophète de son voyage vers le but éternel. Est maître celui qui tient en main le flambeau de la sagesse et avance grâce à la roue de l'amour. Lorsqu’il va vers l'extérieur, l'univers entier se révèle à lui; lorsqu’il progresse vers l'intérieur, il atteint à la plus haute révélation spirituelle. Ce fut le voyage du Prophète vers le but éternel que l'on appela Meraj. Pour l'orthodoxe, Meraj est un événement qui se produisit une seule fois dans la vie de Mohammed, mais, pour le Soufi, c'est une leçon unique dont l'accomplissement remplit toute la vie du mystique. Meraj était un état de réalisation fréquent chez Mohammed qui le rendait parfois intensément conscient des réalités spirituelles. Il fut donné au monde comme un événement unique, comme un exemple pour l'humanité de ce que sont les niveaux mystérieux de l'être intérieur.
"Pureté à Celui qui transporta Son serviteur de nuit."
Cette sourate indique que la pureté qui permit à Mohammed d'entreprendre le voyage intérieur était celle de son Dieu, car nul être terrestre n'a accès là-haut. Ceci révèle surtout un secret: la partie immortelle de l'être de Mohammed était en fait l'héritage de l'Etre Eternel. Nous voyons que la balle de caoutchouc peut s'élever bien plus haut que la brique, parce que la balle de caoutchouc est creuse et contient en elle un espace, ce qui lui donne accès plus haut dans l'espace. La brique ne contient pas d'espace et est immédiatement attirée par la terre. Mais même la balle ne peut rester indéfiniment dans l'espace parce que le caoutchouc est une matière étrangère qui la fait revenir sur terre. Meraj peut être appelé la naissance de l'âme, comme le dit la Bible: "A moins qu’il ne naisse de l'eau et de l'esprit, l'homme n'entrera pas dans le royaume de Dieu." Autrement dit: à moins qu'il ne renaisse de l'esprit - ce qui veut dire que l'âme, la mère sainte, doit enfanter cette connaissance capable de reconnaître le Père Eternel. Le voyage de nuit de cette sourate fait penser à cet état de conscience que connut Mohammed dans sa contemplation de Dieu, lorsque autour et à l'alentour de lui tout était semblable à l'obscurité de la nuit.
"Gloire à celui qui
transporta de nuit Son serviteur
Ce récit raconte que pendant la nuit de Meraj, Mohammed, absorbé dans ses dévotions à Allah, fut transporté de la mosquée de la Mecque à la mosquée de Jérusalem, où il vit les signes de son Seigneur qu'il était appelé à voir. En réalité, la mosquée de la Mecque d'où partit le Prophète était le corps physique de l'homme, qui fut créé pour la glorification de Dieu et que Mohammed utilisa à cet effet. Pour le Soufi, le corps physique de celui qui vit dans la conscience de Dieu est le temple sacré de la Mecque, la Ka'ba, le sanctuaire. Ceci est le symbolisme du takbir de namaz (Le nom persan des prières effectuées avec des gestes): les deux mains levées au niveau de la tête font de la tête le dôme de la mosquée et les deux bras levés en font les minarets. A partir de cette mosquée, l'existence physique, Mohammed fut transporté, autrement dit attiré, par le pouvoir d'attraction de son Seigneur. Sa progression spirituelle se poursuivit jusqu'au moment où il en vint à réaliser cet état où il se vit lui-même, non pas comme le temple du corps physique, mais comme le temple le plus lointain de la paix éternelle, Jérusalem, Dar-e-salam, la porte de la paix. Il ne s'agissait pas de Jérusalem, la grande cité des Juifs, mais de Masjidi Aqsa, l'existence la plus profonde, vide de noms et de formes, où règnent à jamais un calme qui n'est pas de ce monde et une paix éternelle. Si le voyage du Prophète de la Ka'ba à la mosquée de Jérusalem avait été fait en rêve, quelle aurait été l'importance particulière de Meraj et de la bénédiction reçue? Meraj dont il est question dans le Coran doit avoir plus d'importance qu'un simple rêve ou une simple vision.
On rapporte que pendant son voyage Mohammed rencontra Adam et qu'Adam le salua en lui disant: "Digne fils et maître." Adam était assis au centre d'un groupe d'hommes qui se tenaient à sa droite et à sa gauche. Il se tourna d'un côté et sourit de joie, il se tourna de l'autre et pleura tristement. Les anges expliquèrent le sens de ceci à Mohammed et lui dirent: "Ces apparitions sont les esprits de ses enfants sous la forme humaine. A sa droite se tiennent ceux du paradis, à sa gauche ceux des enfers. Adam sourit joyeusement en regardant à droite, mais pleure en regardant à gauche." La beauté de ce mythe réside dans la vision idéale du voyant. Nous voyons par exemple la liberté représentée par des statues ou des affiches. Il n'existe personne du nom de Liberté, mais la statue n'est pas seulement une image de la liberté, elle dit ce que signifie la liberté, parce que l'image personnifie l'idéal de la liberté. Ceci est le côté idéaliste de la vision intelligente qui voit chaque idéal sous la forme d'une certaine image, et chaque image est représentative du sens qu'elle contient.
L'idéal d'Adam, le père de l'humanité dont le bonheur est son but, dont la bonté est sa fierté, dont le mal est son déshonneur, apparut aux yeux du voyant qu'était Mohammed, satisfait de l'humanité vertueuse et attristé par l'humanité égarée. La prise de conscience de cet idéal était en réalité la torche éclairante qui devait guider Mohammed et illuminer son voyage vers le but. Ensuite, Mohammed fut, dit-on, présenté au chef des cieux et au gardien des mondes infernaux. Ceci ne signifie pas le ciel sous l'aspect de hur et malayak dans un environnement luxuriant, ni l'enfer sous l'aspect d'un brasier incandescent, mais il eut en fait la vision profonde de la joie et de la bénédiction pour lui-même et pour les autres qui découlent des bonnes actions, et de la souffrance causée par le mal. S'il ne lui avait pas été donné de contempler cela, il n'y aurait pas eu de possibilité de réalisations plus avancées sur les plans supérieurs de l'existence. C'était la leçon nécessaire qui devait permettre à Mohammed d'annoncer la loi divine définitive: connaître parfaitement la part de récompense attachée à chaque vertu et le degré de souffrance attaché à chaque péché.
Ensuite, le monde de l'esprit fut dévoilé au maître, les différents plans qui étaient l'autre monde, le monde d'avant et qui était à présent sa demeure. Les maîtres du passé dont Mohammed connaissait les noms se tenaient maintenant en face de lui. Il y avait parmi eux Enoch, Jean-Baptiste, Jésus, Joseph, Moïse, Abraham et beaucoup d'autres. Cette vision peut se comprendre comme étant la résurrection du monde intérieur qui est manifesté clairement aux élus de Dieu. Il est normal que si un pêcheur était enlevé dans le monde de l'esprit, il verrait autour de lui la rivière, la mer, les filets, les poissons, des pêcheurs et des marchands de poisson. Un berger dans le monde de l'esprit se verrait dans un pâturage avec un troupeau et des volailles parmi des paysans. Que pouvait donc voir un prophète dans le monde de l'esprit, si ce n'est la chaîne des prophètes à laquelle il était relié, qui étaient en réalité lui-même sous des noms et des formes différentes apparues à des époques successives? Il se trouvait face à face, pourrait-on dire, avec les différents idéaux de Nuri Muhammad dans le passé et il pouvait étudier tour à tour la vie et l’œuvre de chacun d'eux. Un musicien accompli est celui qui a étudié les compositeurs du passé, un poète accompli est celui qui a parcouru les oeuvres des poètes du passé. Tout ceci était un exercice avant la bataille, une répétition avant la représentation. Mais le projet était encore différent; le but que Mohammed avait à atteindre était encore devant lui.
"Ensuite, Il s'approcha
du Prophète à la distance de deux portées d'arc, ou même plus près
Cette sourate nous dit que ce voyage du dévoilement spirituel rapprocha Mohammed, autrement dit le soi mortel, de l'Etre Immortel tout en le maintenant à la distance de deux portées d'arc: une portée entre le corps et l'esprit, l'autre entre l'esprit et l'âme. Mais, ensuite, il s'éleva même au-delà de cette limite.
On apporta, dit-on, un Bouraq à Mohammed pour qu'il en fit sa monture durant son voyage, un coursier céleste qui avait la forme d'un cheval, des ailes et un beau visage humain. Ceci est simplement l'explication symbolique de la route mystique du voyage intérieur. Bouraq est le nom symbolique du souffle de l'homme, qui dans le Vedânta, est appelé prana, la vie même. Le souffle circule à travers le corps animal et la pensée de l'homme, deux aspects appelés dans le Vedânta karmkand et gnyankand, le véhicule de l'action et le véhicule de la connaissance. Ainsi le visage de Bouraq est représentatif de la pensée, son corps figure l'action et ses ailes signifient le pouvoir qui permet au souffle de voler dans les sphères supérieures, le souffle étant le seul véhicule qui permette à l'homme de s'élever du plan terrestre le plus bas jusqu’au plus haut sommet des cieux. Lorsque l'homme, par le contrôle des passions animales, est ainsi devenu un être humain, sa pensée alors se déploie comme des ailes pour l'élever de la terre et le mener vers le ciel, qui est sa véritable destination, son séjour éternel. L'image même de Bouraq exprime cela. Il est certain que ce n'est pas le cas pour tous. Seul celui qui a saisi les rênes du souffle peut devenir le cavalier de Bouraq, peut être son maître.
L'idée de cet oiseau que les Hindous appellent Garuda, du sphinx des Egyptiens de l'Antiquité et de Pégase, le coursier qui conduit au bonheur céleste, exprime ce même secret. Ceux qui ont pénétré le symbolisme des rêves et des visions peuvent voir en ceci une plus grande réalité que celui qui considère le monde objectif comme la seule réalité. Car chaque âme voit le passé, le présent et l'avenir qui concernent elle-même et ce qui l'entoure sous une forme très différente de ce qu'elle réalisera plus tard, lorsque ses effets se manifesteront sur le plan physique. Pour la vision d'artiste, du voyant, cette image est une révélation, mais pour l'esprit aveugle, elle ne signifie rien; c'est une page blanche.
L'histoire se poursuit et dit que, quand Bouraq fut amené à Mohammed, l'ange Gabriel le voyant rétif - il se cabrait et ruait - lui dit: "Ne sais-tu donc pas quel est ton privilège aujourd'hui? Tu devrais être fier d'être monté par l'orgueil de la création." Alors, dit-on, Bouraq ne refusa plus et s'envola fièrement vers les cieux, conscient de la bénédiction reçue. Le Soufi appelle ceci l'indocilité du souffle qui tout d'abord résiste à son maître, le cavalier, jusqu'à ce que Gabriel, le guide intérieur, l'inspire et lui conseille d'être fier du maître qui voyage de la mortalité vers le monde immortel, de la servitude à la royauté.
L'histoire raconte encore que Mohammed partit avec Gabriel. Ils étaient assis dans deux nids perchés dans un arbre, Gabriel dans l'un, Mohammed dans l'autre. Les portes du ciel furent ouvertes, et Mohammed vit derrière un rideau une grande lumière et une fenêtre de rubis et de perles, et Dieu lui révéla ce qu'il Lui plut de lui révéler. L'interprétation de ce symbole peut être, immédiatement et sans la moindre hésitation, aperçue par le mystique, le voyageur dans cette voie. L'arbre dont il est question dans ce récit est celui qui est situé dans le corps humain, dont la racine est dans le centre et dont le sommet atteint la couronne de la tête. Les Yogis appellent le tronc kundalini et le sommet brahmand, la demeure de Brahma. Parmi les Soufis, on les appelle arsh et kursi. Les deux nids posés sur cet arbre de vie sont les vecteurs des deux sens importants que sont sami et basir, l'ouïe et la vue. "Afin que Nous puissions lui montrer Nos signes - car en vérité Il est Celui qui voit et Celui qui entend." Lorsque Mohammed, sous l'égide de son ange-guide, eût contrôlé et arrêté ces deux sens en les fermant au monde extérieur, alors le voile qui cache l'esprit à la matière, le Ciel à la terre, fut levé. La lumière se montra ainsi que les gemmes et les joyaux célestes qui se reflètent dans les signes cosmiques tels que le soleil, la lune, l'étoile, la planète, et tous les autres joyaux tels que diamants, rubis et perles. C'est le plan abstrait qui était ainsi révélé à Mohammed. Il ne vit pas seulement les signes magnifiques tels que gemmes, rubis et perles et la lumière divine, mais c'était comme si une fenêtre s'était ouverte pour permettre de jeter un coup d’œil, de passer au travers d'elle afin d'entrer dans les cieux, le monde intérieur.
"Et Dieu lui révéla ce
qu’il Lui plut de révéler.
En d'autres termes, il vit là les signes qui sont la cause des causes, l'origine des origines qui se forment d'abord au sein de ces plans intérieurs et se manifestent ensuite extérieurement, alors que l'homme qui ne comprend pas le secret de la vie dit: "Ceci est ce qui a créé cela, ceci est ce qui a détruit cela", et ne sait pas que c'est autre chose qui avait créé ceci, que c'est autre chose qui détruisit cela.
"L'air, la terre, l'eau
et le feu sont les serviteurs de Dieu. (Djalal-ud-Din-Roumi)
On rapporte que Mohammed poursuivit alors sa route vers le monde angélique et que les anges l'accueillirent et le félicitèrent de cet honneur. C'est l'accueil et les félicitations du plan spirituel à l'âme partie depuis longtemps, prisonnière du monde physique, lorsqu’elle est capable de s'en échapper à volonté et qu'elle visite sa véritable demeure. Alors s'élève le chant de bienvenue des hôtes de ce plan. On dit que les anges saluèrent Mohammed par ces mots: "Entre, O Maître, O frère!" Ceci fait penser à la parabole d'Attar dans laquelle il parle d'un perroquet qui vivait au palais d'un roi dans une cage en or, qui pourtant ne lui plaisait aucunement. Un jour, il parvint à s'échapper de la cage et retourna dans la jungle, son pays d'origine où vivaient ses frères. Ils le saluèrent par ces mots: "Bravo frère pour ta maîtrise et ton courage! Bravo d'être parvenu à sortir de la prison où beaucoup d'entre nous sont entrés et se sont perdus depuis des siècles."
Ensuite, il est dit que l'on proposa à Mohammed un bol de lait et une coupe de vin pour célébrer la fête. Mohammed choisit le lait et remercia celui qui le lui offrait. Dans cette image, le lait représente la sagesse, tandis que le vin symbolise l'extase. Ce sont les deux aspects de la plus haute félicité qui ne s'atteint que sur le plan spirituel. Si Mohammed avait préféré l'extase, comment aurait-il pu aider l'humanité par la sagesse divine - ce qui était l'objet de sa mission particulière?
Poursuivant son voyage plus loin encore que découvrit-il? Bait-ul mamoor ou Masjidi aqsa: il réalisa la Conscience indivise, celle qui n'est jamais obscurcie par les illusions des mondes de variété. Là Mohammed invoqua le grand nom de son Seigneur: "Il n'y a de Dieu que Toi, O Seul Etre." La réponse arriva de cette Conscience Eternelle, répétée en écho dans sa propre conscience: "Vrai! Vrai!" A ce moment, la vanité de l'Unique, Celui qui seul est digne de toutes louanges, fut satisfaite et ces mots lui parvinrent: "Si ce n'était pour te créer, Mohammed, Je n'aurais pas créé tout l'univers." Les mêmes mots viendraient aux lèvres d'une bien-aimée à qui son amant dirait: "Gloire à nulle autre que toi. Pour moi tu es l'unique, ce qu'il y a de meilleur, le monde entier." L'aimée alors répondrait: "Mais si toi, mon adorateur, tu n'existais pas, le monde entier ne serait rien pour moi."
On raconte encore que Gabriel ne put conduire Bouraq plus loin, et Mohammed l'attacha à la même pierre que celle où l'avaient attaché tous les maîtres du passé. Pour le point de vue du Soufi, le secret de ceci réside dans l'incapacité, même pour la lumière-guide, d'opérer sur le plan le plus élevé, là où même Bouraq, le souffle, n'a pas le pouvoir de s'élever.
"Ceci n'est autre qu'une
révélation qui lui fut révélée.
Il apparut dans l'ultime sommet de l'être intérieur. Ceci était, comme le dit la Bible, l'unification, là où ni Gabriel, la lumière-guide, ni Bouraq, le souffle, n'avaient accès, là où rien ne leur restait à faire. Ceci était le lieu de la paix absolue, le Bait-ul mamoor, Masjidi aqsa, le but éternel. Là, dit-on, soixante mille anges entrent chaque jour et aucun n'en sort. Cela signifie que des milliers d'âmes purifiées, venues de l'être extérieur, pénètrent dans ce but éternel et y fusionnent comme une goutte perdue dans l'eau se confond à jamais avec elle. C'était une expérience telle qu'aucun langage ne peut l'exprimer. Même si l'âme avait une langue pour en parler, les oreilles mortelles ne pourraient l'écouter.
"Nous avons accordé la vision que Nous t'avons montrée."
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