SHAQQ-e-SADR |
Une tradition rapporte que les anges vinrent, ouvrirent la poitrine de Mohammed et lui prirent le cœur. Ils enlevèrent quelque chose du coeur, le lavèrent avec de l'eau de Zemzem sur un plateau en or et le remirent en place, après quoi Mohammed fut guéri et bien portant. La sourate du Coran à propos de Shaqq-e-sadr est celle-ci:
"N'avons-Nous
pas ouvert pour toi ta poitrine (Sourate XCIV)
Mais, à la vue du Soufi, le sens de cette sourate est très différent de l'explication littérale du mythe. Pour le Soufi, chaque être humain est tout l'univers et chaque âme contient à des degrés divers tout le bien et tout le mal contenu dans l'univers. De même qu'il y a dans le corps de chaque créature une poche de substance amère - celle que nous retirons du poisson, de l'oiseau, de l'animal avant de consommer sa chair -, ainsi il y a dans le coeur de tout homme un attribut empoisonné, non pas un morceau de chair mais l'esprit par-delà l'existence physique. Le produit en est l'aigreur que les hommes éprouvent les uns envers les autres qui se traduit par un millier de tendances destructrices telles que la colère, la vengeance, la tyrannie, la duperie. Ce poison est la part de Satan dans l'homme. C'est cela qui rend l'homme rapidement versatile, désagréable pour lui-même et pour les autres, incapable de parler avec Dieu, honteux de lui, mal à l'aise, incapable même de se tenir devant Dieu.
La tradition rapporte que Shaqq-e-sadr se produisit trois fois et, du point de vue du Soufi, nous pouvons interpréter cela. La première fois où cette amertume que l'homme a naturellement contre l'homme fut retirée du coeur de Mohammed, c'était avant qu’aucune révélation ne vint. Pour Ses élus, Dieu veut avant toute chose laver cela de leur coeur. Il est tout à fait naturel qu'une âme venue au monde pour libérer l'humanité présente dès l'enfance une nature qui montre que la goutte de poison qui est en chacun a été enlevée de sa poitrine et que son cœur a été lavé de toute amertume. Point n'est besoin d'étudier ce phénomène comme le font les orthodoxes en cherchant à démontrer qu'il peut se produire de façon inhabituelle. Il suffit d'observer le phénomène à l’œuvre dans la vie même de Mohammed, un homme incomparable qui, tout au long d'une vie passée dans le monde, a conservé inaltérablement la douceur et le parfum de la personnalité angélique.
La seconde occasion où la tradition rapporte que Shaqq-e-sadr se produisit fut lorsque Mohammed reçut l'injonction divine d'annoncer le Message. Cette ouverture de la poitrine représente le courage de proclamer la vérité. Beaucoup d'entre nous veulent dire, mais ne peuvent pas exprimer ce qu'ils voudraient réellement dire, soit parce qu'ils manquent de confiance en eux, se demandant si c'est la chose à dire ou non, soit parce qu'ils manquent de confiance dans les autres, se demandant comment les gens l'accepteront et quel en sera le résultat. Ils ont la gorge nouée par la peur. C'est cette pensée: "Comment parlerai-je à la face du monde alors que tous sont engagés sur une autre route?", cette pensée naturelle produite par l'intellect fut enlevée. La pensée: "A qui parler? Je ne vois partout que des idolâtres, des gens étroitement conservateurs, et parmi eux des amis, des parents. Toute l'Arabie sera contre moi. Comment pourrai-je parler contre tous?", cette peur lui fut enlevée. Tant que cette pensée n'a pas été enlevée, tant que le coeur n'a pas été ouvert à Dieu, on ne peut pas parler. Ensuite les mots arrivent et avec eux l'éloquence. Quand l'Arabie fut plongée dans les ténèbres, les mots de lumière que disait Mohammed avec le courage et le pouvoir de la vérité, sans craindre un instant les plus terribles menaces qui pesaient sur lui jour et nuit, ces mots étaient la preuve évidente de l'ouverture de la poitrine. Son coeur parlait, non son cerveau.
La troisième fois où l'on dit que l'ouverture de la poitrine se produisit, ce fut juste avant le Meraj. En réalité, c'est la passion de l'unification avec le divin Bien-aimé qui nous ouvre des voies à travers toute l'existence, du plan le plus bas au plan le plus élevé de l'être individuel. Les mystiques ont toujours dit que la purification interne du corps physique ouvre les veines et les canaux et les conduits de tous les sens pour permettre au souffle divin de faire du corps une flûte. La flûte de Krishna est le symbole de ceci. Le coeur purifié de toutes pensées et désirs sans bonté, les cordes du coeur accordées sur l'amour et le désir ardent font de lui une harpe que les anges tiennent et dont Dieu joue. Purifier l'âme de toutes ses impressions et de tous ses idéaux est comme briser les idoles de nombreux dieux. C'est ce sacrifice qui plaît au coeur jaloux du Bien-aimé céleste. Sa vanité est ainsi satisfaite.
En cela réside le secret de la perfection spirituelle dont la personne de Mohammed est l'exemple. Les anges qui lavèrent le coeur sont l'expression des rayons de la lumière divine. L'eau de Zemzem ne provenait pas du puits Zemzem de la Mecque, mais était le souffle de l'inspiration. Le plateau d'or représentait le monde révélé, l'or étant le symbole de la lumière. Shaqq-e-sadr, du point de vue mystique, n'était rien d'autre que la purification du corps et du coeur par l'inspiration divine.
On dit que les anges pesèrent Mohammed et le mirent en balance, d'abord avec deux personnes, ensuite avec dix, ensuite avec cent, et qu'il les surpassa toutes en poids. Les anges dirent: "S'il était mis en balance avec le monde entier, il ne lui manquerait pas de poids." Comprendre ceci au sens littéral serait aussi absurde que d'imaginer que Dieu est plus grand et plus gros qu'un éléphant. On dit d'une personne qu'elle a un grand poids dans la société. Ceci ne signifie pas qu'elle est plus lourde que ceux qui sont présents. Cette tradition signifie que la purification a permis à Mohammed de surpasser les cœurs égoïstes du monde et l'a rendu infiniment plus grand que l'homme moyen, que sa parole, sa présence avait plus de poids que celle de deux, de dix, de cent personnes, ce qui revient à dire: plus de poids que le monde entier. Si chaque homme était ainsi purifié, la religion ne serait plus nécessaire; chacun penserait et agirait avec droiture.
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