On raconte que, quand Mohammed était au Mont Hira, quelque chose s'abattit sur lui, et il vit que l'ange Gabriel était venu et l'avait brisé en morceaux. Quand des gens formés dans une université commentent cet épisode, ils disent que ce fut une imagination, un rêve, car comment un ange pouvait-il le briser en pièces et comment, après avoir été réduit en morceaux, pouvait-il être encore en vie? Les traditionalistes disent que c'était l'ange Gabriel, mais en réalité c'était le ravissement, l'extase qui s'empara de lui. Mohammed se sentit comme fracturé, brisé. Lorsque la conscience peut se libérer du corps, le corps n'est plus soutenu et retombe. Cela signifie que l'âme quitta le corps. C'était une étrange expérience. Mohammed n'avait pas de murshid qui pût lui dire: "Mon enfant, ce n'est pas cela", et c'était la première fois que cela lui arrivait. C'était arrivé quand il était seul dans le désert et qu'il n'avait devant lui rien d'artificiel, rien de faux, aucune fausse voix du monde pour lui dire: "Je suis ta femme, je suis ton frère, je suis ton ami, je t'aime." Tout cela est faux. Un prophète aurait pu transmettre son expérience à un autre, mais le dernier prophète était mort bien longtemps avant que le suivant ne fût né. Un murshid peut transmettre son expérience de mystique à son mourîd, mais ici c'est Dieu qui devait instruire directement et sans intermédiaire Son élu, celui qu'Il avait choisi.

Cette extase, que les soufis appellent wajad, grandit de plus en plus. Parfois, lorsqu'il était dans la montagne, Mohammed était tenté de se jeter du haut du sommet. Alors une voix se faisait entendre: "Garde l'équilibre, ne saute pas!" Deux choses lui étaient donc enseignées: l'extase et l'équilibre. Mohammed n'était pas un ascète pour devenir pierre parmi les pierres. Il était un homme de ce monde. Il avait sa femme dont il devait prendre soin, il avait une famille dont il avait la charge, il avait une communauté dont il devait s'occuper, et il avait le message de Dieu à donner. Il ne pouvait pas se consacrer à son seul développement personnel.

La puissance de l'injonction divine, le pouvoir de la pensée de l'Esprit Universel, la présence irrésistible de Dieu n'avaient pas seulement de l'effet sur l'âme et l'esprit de Mohammed, mais son corps se sentait comme garrotté, écrasé, brisé, ce qui le rendait comme ensorcelé. C'était comme si une personne se voyait elle-même du sommet d'une haute tour en même temps que tout le paysage alentour et répugnait à regarder en bas. Telle était la condition du cœur innocent de Mohammed se voyant lui-même face à toute l'humanité déployée sous ses yeux. A ce moment, il eût aimé se cacher lui-même à sa propre vue.

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