L'ego Chapitre 11 Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan |
Quand nous pensons à ce sens et à ce sentiment, ou à cette inclination qui nous fait affirmer le mot "je", il est difficile de désigner ce que c'est, quel est son caractère, car c'est une chose qui est au-delà de la compréhension humaine. C'est pourquoi, quand quelqu'un veut expliquer, même s'expliquer à lui-même, ce que c'est, il désigne l'objet qui en est le plus proche, et déclare: "C'est celui-ci que j'appelle ‘je’». Par conséquent, chaque âme qui s'est, pour ainsi dire identifiée avec tout, s'est identifiée au corps - son propre corps; parce que c'est l'objet le plus immédiatement proche qu'elle puisse sentir et comprendre, qui soit intelligible comme son propre être. De sorte que ce qu'une personne connaît d'elle-même est son corps; c'est le premier objet; et elle s'appelle elle-même son corps, elle s'identifie avec son corps. Par exemple, si on demande à un enfant: "Où est le petit garçon?", il montrera son corps; c'est ce qu'il peut voir de lui-même, ou peut imaginer de lui-même.
Cela forme une conception à l'intérieur de l'âme. L'âme conçoit cela dans sa profondeur; de telle sorte qu'après cette conception, tous les autres objets, personnes ou êtres, couleurs ou lignes, sont nommés de différents noms, et l'âme ne les a pas conçus comme étant elle-même, puisque l'âme a déjà une conception d'elle-même, qui est ce corps qu'elle a dès l'abord connu ou imaginé comme étant elle-même. Tout ce qu'elle voit d'autre, elle le voit à travers ce véhicule qui est le corps, et dit que c'est en dehors d'elle, quelque chose de séparé, quelque chose de différent. De cette manière, est produite la dualité dans la nature; de là provient le "moi" et le "toi". Mais comme "je" est la conception première de l'âme, elle est pleinement engagée en cette conception, et en tout le reste elle est engagée partiellement. Tout le reste de ce qui existe en dehors de ce corps qu'elle a reconnu comme étant son propre être, elle le nomme selon la relation que cela a avec lui. Et cette relation s'établit en appelant cela "mien", ce qui est intermédiaire entre "je" et "toi": "Tu es mon frère, ou ma sœur, ou mon ami". Cela établit une relation, et, selon une telle relation, l'autre objet ou personne se tient plus près ou plus éloigné de l'âme. Toutes les autres expériences qu'a l'âme dans le monde physique, dans les sphères mentales, tout cela devient une sorte de monde autour d'elle. L'âme vit au milieu de cela; pourtant l'âme ne sent jamais un instant concernant quoi que ce soit que c'est "moi". Ce "moi", elle l'a réservé et rendu captif dans une seule chose, et c'est son corps. De tout autre objet, l'âme pense que c'est quelque chose d'autre, que c'est quelque chose de différent: "C'est près de moi, cela m'est cher parce que c'est apparenté, c'est très près de moi; mais ce n'est pas moi». "Moi, Je" demeure comme une entité séparée, possédant, amassant tout ce qu'on a eu, et qui fait son propre monde.
A mesure que l'on devient plus réfléchi dans la vie, cette conception de "je" devient plus riche. Elle devient plus riche en ceci que l'on voit aussi: "Ce n'est pas seulement le corps, c'est aussi la pensée que je pense être ma pensée; l'imagination est mon imagination; mes sentiments sont aussi une part de mon être; par conséquent, je ne suis pas seulement le corps, je suis aussi mon mental". A l'étape suivante que l'âme fait dans le chemin de la compréhension, elle commence à se rendre compte que: "Je ne suis pas seulement un corps physique, mais aussi un mental". Cette réalisation dans sa plénitude fait que quelqu'un déclare: "Je suis un esprit", ce qui veut dire: "Le corps, le mental et le sentiment, tous ensemble, avec lesquels je m'identifie, c'est cela qui est l'ego".
Quand elle va plus loin dans la voie de la connaissance, elle commence à percevoir: "Oui, il y a quelque chose qui se sent être lui-même, ou qui a l'inclination de s'appeler soi-même: "Je" - ce sentiment du "je". Cependant, tout ce avec quoi il s'identifie lui-même n'est pas lui-même". Et, du jour où cette idée jaillit dans le coeur de l'homme, il a commencé son voyage dans le chemin de la Vérité. Puis l'analyse commence, et il se rend compte que: "Ceci est ma table, et ceci est ma chaise. Tout ce que je peux dire "mien", m'appartenant, n'est pas réellement moi". Puis il commence aussi à voir: "Je m'identifie avec ce corps, mais ce n'est pas ‘mon’ corps, c'est tout juste comme quand je dis ‘ma table’ ou ‘ma chaise’». Ainsi l'être qui dit: "Je" est en réalité séparé; c'est quelque chose qui a pris même ce corps pour son usage; ce corps est seulement un instrument. Et il pense: "Ce n'est pas ce corps que je puis appeler "moi", alors qu'est-ce que c'est? Est-ce mon imagination avec laquelle je pourrais m'identifier?" Mais on appelle même cela: "mon imagination", "ma pensée", "mon sentiment"? Par conséquent, même la pensée, le sentiment et l'imagination ne sont pas le "Je" réel. Ce qui affirme "je" demeure le même après, même après avoir découvert la fausse identité.
Vous lirez dans les «Dix Pensées Soufies» que la perfection est atteinte par l'annihilation du faux ego. Le faux ego est ce qui n'appartient pas à cet ego et ce que l'ego avait faussement conçu comme étant son propre être. Quand cela a été séparé grâce à une meilleure compréhension de la vie, le faux ego est annihilé. Quelqu'un n'a nul besoin de se développer pour cela. Afin d'annihiler ce corps ou afin d'annihiler le mental, quelqu'un doit s'analyser lui-même et voir: "Où est-ce que j'existe? Est-ce que j'existe comme un être éloigné, exclusif? Si c'est un être éloigné et exclusif, alors on doit le trouver".
Puis la question est comment le trouver. Une fois que cela est réalisé, le travail du sentier spirituel est accompli. De même que pour faire que les yeux se voient eux-mêmes, on doit prendre un miroir pour voir la réflexion de ceux-ci, ainsi pour rendre cet être réel manifeste, l'être entier: ce corps et ce mental ont été faits à la façon d'un miroir, afin que, dans ce miroir, cet être réel puisse se voir et réalise son être indépendant. Ce à quoi nous devons arriver par le chemin de l'initiation, par la voie de la méditation, par la connaissance spirituelle, c'est de réaliser cela en faisant de nous un parfait miroir.
Pour expliquer cette idée, les fakirs et les derviches ont raconté une histoire. Un lion qui errait dans la forêt tomba sur un lionceau en train de jouer avec les moutons. Il se trouvait que le lionceau avait été élevé avec les moutons, de sorte qu'il n'avait jamais eu la chance ou l'occasion de se rendre compte qui il était. Le lion fut grandement surpris de voir ce jeune lionceau se sauver dans la même terreur du lion que les moutons. Le lion bondit au milieu du troupeau et rugit: "Halte, halte!" Mais les moutons se sauvèrent et le petit lion en fit autant. Le lion poursuivit seulement le lionceau, abandonnant les moutons, et dit: "Attends, je voudrais te parler". Le petit répondit: "Je tremble, j'ai peur, je ne peux pas rester avec vous" - "Pourquoi t'enfuis-tu avec les moutons? - dit le lion - Tu es toi-même un petit lion" - "Non - dit le petit - Je suis un mouton, je tremble, j'ai peur de vous; laissez-moi partir avec les moutons" - "Viens - dit le lion - viens avec moi. Je te prendrai avec moi et je te montrerai ce que tu es avant de te laisser partir". Tremblant mais sans défense, le petit lion suivit le lion jusqu'à une étendue d'eau. Là, le lion lui dit: "Regarde-moi et regarde-toi. Ne sommes-nous pas apparentés, ne sommes-nous pas proches? Tu n'es pas comme les moutons, tu es comme moi".
A travers le processus spirituel entier, ce que nous apprenons est d'ôter l'illusion de ce faux ego. L'annihilation de ce faux ego est l'enlèvement de cette illusion. Une fois que l'illusion a disparu, alors le véritable ego reconnaît son propre mérite. C'est par cette réalisation que l'âme entre dans le Royaume de Dieu; c'est dans cette réalisation que l'âme naît de nouveau - une naissance qui ouvre les portes du Ciel.
Afin de prendre conscience d'elle-même, l'âme a besoin du mental et du corps; l'âme n'a pas besoin du mental et du corps pour son existence; elle ne dépend pas du mental et du corps pour son existence, car elle est la vie; tout comme les yeux ne dépendent pas du miroir pour exister: ils dépendent seulement du miroir pour se voir reflétés. Sans lui, les yeux verront toutes choses, mais ils ne se verront jamais eux-mêmes. Un exemple en est l'intelligence. L'intelligence ne peut pas se connaître elle-même à moins qu'elle ne puisse détenir quelque chose d'intelligible; alors l'intelligence se réalise elle-même. Une personne possédant le don poétique, qui est née poète, ne se rend elle-même jamais compte qu'elle l'est avant qu'elle n'ait mis son idée sur le papier et que ses vers n'aient fait résonner une corde dans son coeur. C'est à ce moment qu'elle pense: "Je suis poète". Jusque-là, le don de la poésie était en elle, mais elle ne le savait pas. Les yeux ne deviennent pas puissants en regardant dans le miroir; mais les yeux se rendent compte à quoi ils ressemblent quand ils voient leur réflexion. Le plaisir réside dans la réalisation de ses propres mérites, de ses dons, de ce que l'on possède; c'est dans la réalisation que réside le mérite. Mais ce serait certainement grand dommage que les yeux pensent: "Nous sommes aussi morts que ce miroir", ou bien qu'en regardant le miroir, ils pensent: "Nous n'existons que dans le miroir". Ainsi le faux ego est la plus grande des limitations.
Bien que l'âme se sente séparée des différents êtres, est-ce qu'elle ne se sent pas une avec Dieu? Pas même avec Dieu. Comment pourrait-elle l'être? L'âme qui est captive d'une conception fausse, qui ne peut pas voir enlevée la barrière entre elle et son voisin - comment cette âme peut-elle enlever sa barrière la séparant de Dieu, qu'elle ne connaît pas encore? Car toute croyance en Dieu est après tout une conception; parce qu'elle est enseignée par un prêtre, parce qu'elle est écrite dans un Livre Saint, parce que les parents ont dit qu'il y avait un Dieu; c'est tout. L'âme sait qu'il y a quelque part un Dieu, et elle est toujours sujette à changer sa croyance; et, malheureusement, plus elle avance intellectuellement, plus elle s'éloigne de cette croyance. Une croyance que la pure intelligence ne peut conserver toujours n'accompagnera pas toujours quelqu'un. C'est par la compréhension de cette croyance que le but de la vie est accompli. Il y a un dicton dans le Gayan: "La découverte de l'âme est la découverte de Dieu".
Il n'est pas facile pour l'âme de renvoyer le mental et le corps à la mort quand quelqu'une peut renvoyer dans la vie ses pensées de dépression de tristesse et de déception: Les impressions de bonheur et de peines du passé que l'on conserve dans son cœur, les préjugés et les haines, l'amour et la dévotion, tout ce qui est entré profondément en soi-même. Si l'ego maintient sa prison autour de lui, il emmène sa prison avec lui. Et il n'y a qu'une manière d'en être délivré, et c'est par la connaissance de soi.
L'ego lui-même n'est jamais détruit. C'est l'unique chose qui vit, et c'est le signe de la vie éternelle. Dans la connaissance de l'ego, il y a le secret de l'immortalité. Quand vous lisez dans le Gayan: " La mort meurt, et la vie vit ", c'est l'ego qui est la vie, c'est cette condition fausse qui est la mort. Le faux doit tomber un jour, le vrai doit toujours être. Et tel est le cas de la vie, le véritable être vivant est l'ego. Il vit. Tout le reste, qu'il a emprunté de divers plans et sphères, tout cela est enlevé. Ne voyons-nous pas cela dans notre propre être? Les choses qui ne lui appartiennent pas n'y restent pas. Dans le sang, dans les veines, partout, le corps ne les gardera pas, il les rejettera. Il en est ainsi dans chaque sphère: elle ne prend pas ce qui ne lui appartient pas. Tout ce qui appartient au dehors, elle le laisse au dehors. Ce qui appartient à la terre est gardé sur la terre: l'âme le rejette. Et la destruction de l'ego n'est qu'un mot : ce n'est pas destruction, c'est découverte.
Bien souvent les gens sont effrayés lorsqu'ils lisent des livres bouddhiques, où l'interprétation du Nirvana est donnée comme étant "l'annihilation". Personne ne veut être annihilé, et les gens sont très effrayés quand ils lisent "annihilation". Mais c'est seulement une question de mots. Le même mot en sanscrit est un très beau mot : Mukti. Les Soufis l'appellent Fana. Si nous le traduisons en anglais, c'est annihilation; mais quand nous comprenons son sens véritable, cela donne "aller au travers", ou "passer au travers". Et passer au travers de quoi? Passer au travers de la fausse conception, qui est d'abord une nécessité, et arriver à la vraie réalisation.
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