Si l'on demande à un
Soufi quel est le but de cette création, il répondra que le Connaissant,
l'unique Connaissant, voulait Se connaître. Il n'y avait qu'une
possibilité pour Se connaître, et c'était de Se rendre Lui-Même
intelligible à Son propre Etre, car l'Intelligence en elle-même est un
être, mais l'Intelligence n'est pas connue d'elle-même. L'intelligence
devient connue d'elle-même quand il y a quelque chose d'intelligible.
Par conséquent, le Connaissant devait Se manifester, devenant ainsi un
objet de connaissance; et grâce à cette connaissance, le Connaissant
arrive à la perfection. Cela ne signifie pas que le Connaissant manquait
de perfection, car toute perfection appartenait au Connaissant,
seulement Il devint conscient de Sa perfection. Par conséquent, c'est
dans la conscience de la perfection que réside le but de la
manifestation entière.
Les Soufis disent: «Dieu est Amour». Cela est vrai, mais l'amour n'était
pas suffisant. L'amour devait produire quelque chose à aimer afin de
voir sa propre nature, de faire l'expérience de son propre caractère, de
sonder son propre mystère, de trouver sa propre joie. Par exemple, la
graine a en elle la feuille et la fleur et le fruit, mais
l'accomplissement du but de cette graine est d'être placée dans le sol,
d'être arrosée, de sortir comme une plantule et d'être élevée par le
soleil, de produire ses fleurs et ses fruits; tel est l'accomplissement
de cette graine qui contenait déjà en elle-même le fruit et la fleur.
Quelqu'un qui ne voit pas la raison de tout cela est dans l'état de la
graine. Son esprit est dans l'état d'une graine qui n'a pas encore
germé, qui n'a pas éclos, qui n'a pas encore eu l'expérience de sortir
comme plante.
Aussitôt que l'âme commence à s'épanouir et à faire l'expérience dans la
vie du but qui est caché en elle-même, elle commence à en éprouver la
joie. Elle commence à se rendre compte du privilège de vivre, elle
commence à apprécier chaque chose, elle commence à s'émerveiller de
tout, car en toute expérience, bonne ou mauvaise, elle éprouve une
certaine joie, et cette joie est dans l'accomplissement du but de la
vie. Cette joie ne s'éprouve pas seulement dans le plaisir mais même
dans la souffrance, pas seulement dans le succès mais aussi dans
l'échec. Ce n'est pas seulement dans la gaieté du cœur, mais même dans
le cœur brisé, qu'il y a une certaine joie cachée, car il n'y a aucune
expérience qui ne soit sans valeur. Et spécialement pour cette âme qui
commence à réaliser ce but, il n'y a aucun moment gaspillé dans la vie,
car dans toutes les circonstances et dans toutes les expériences, cette
âme fait l'expérience du but de la vie.
Venons-en à présent à la première question: le Connaissant qui Se
manifeste en tant qu'homme afin de Se connaître Lui-Même. De la part de
l'homme, que peut faire celui-ci pour aider le Connaissant à atteindre
ce but?. Chercher sans cesse une réponse à la question qui s'élève de
son cœur. Naturellement il y a divers types de mentalités. Il y en a une
qui fait que l'on se creuse sans cesse la tête à propos d'une question
et que l'on se tourmente de quelque chose qui n'est rien, et que l'on
sort par la même porte par où l'on est entré. Une telle personne se
tourmentera et se démolira l'esprit et ne trouvera jamais satisfaction.
Il n'y a aucune question qui n'ait sa réponse quelque part. La réponse
n'est rien qu'un écho à la question, un écho dans sa plénitude. Par
conséquent, l'on doit s'élever au-dessus de cet état mental confus qui
vous empêche d'obtenir la réponse du dedans ou du dehors à chaque
question qui s'élève de votre cœur. Pour devenir spirituel, on n'a pas
besoin d'accomplir des miracles. A partir du moment où l'oreille peut
entendre la réponse à chaque question qui s'élève du cœur, l'on est déjà
sur le chemin. En outre, la chose que l'on doit connaître en premier est
celle que l'on rejette à la fin, et celle que l'on doit connaître au
dernier moment, c'est celle qu'une personne veut connaître en premier.
C'est cela qui cause la confusion dans la vie de bien des êtres.
Les paroles du Christ: "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu, et toutes
ces choses vous seront données par surcroît" viennent appuyer cet
argument. C'est la chose même que l'on ne veut pas chercher; l'on veut
trouver n'importe quoi sauf cela. Et où doit-on le trouver? Non pas dans
la connaissance d'une autre personne. Dans la connaissance de soi-même.
Si un individu passe toute sa vie à juger très astucieusement les
autres, il pourra continuer, mais il se trouvera plus bête à chaque pas
qu'il fera; à la fin, il atteindra la plénitude de la stupidité. Mais
celui qui essaie, éprouve, étudie et observe son propre être, sa propre
attitude dans la vie, ses propres perspectives dans la vie, sa pensée,
sa parole et son action, qui les mesure et les pèse, qui les contrôle et
s'enseigne à lui-même une telle discipline, c'est celui-là qui est
capable de mieux comprendre un autre. Comme il est rare de voir un être
qui se préoccupe de lui-même dans la vie afin de savoir! Presque chaque
personne semble être très occupée de la vie des autres. Et que
savent-elles à la fin? Rien. Si l'on doit trouver quelque part le
Royaume de Dieu, c'est en dedans de soi-même.
C'est par conséquent dans la connaissance de soi que réside
l'accomplissement de la vie. La connaissance de soi signifie la
connaissance de son corps, la connaissance de son mental, la
connaissance de son esprit, la connaissance de la relation de l'esprit
avec le corps et du corps avec l'esprit, la connaissance de ses désirs
et de ses besoins, la connaissance de ses vertus et de ses fautes; il
faut aussi savoir ce que nous désirons et comment l'atteindre, ce qu'il
faut poursuivre et à quoi renoncer. Et quand elle plonge à fond dans
cette connaissance, une personne trouve devant elle un monde de
connaissance qui ne finit jamais. C'est cette connaissance qui lui donne
la perspicacité concernant la nature humaine, et lui apporte la
connaissance de la création entière. L'on arrive à la fin à la
connaissance de l'Etre divin.
Et puis vient la question de Dieu qui est Amour. Si Dieu est Amour,
l'amour est trop sacré, et prononcer ce mot sans raison est "une vaine
répétition". Une personne pour laquelle cela veut dire quelque chose a
les lèvres closes, elle ne peut dire que peu, car l'amour est une
révélation en lui-même. Aucune étude n'est nécessaire, aucune méditation
n'est requise, aucune piété n'est demandée. Si l'amour est pur, si
l'étincelle de l'amour a commencé à scintiller, alors un être n'a besoin
d'aller nulle part pour trouver la spiritualité. Alors la spiritualité
est en lui-même.
Mais ce qui se passe est qu'aujourd'hui l'amour est devenu un mot de
dictionnaire, un mot qui est utilisé mille fois par jour, qui ne
signifie rien. Pour celui qui sait ce que l'amour veut dire, l'amour
veut dire toute chose. L'amour veut dire patience, l'amour veut dire
endurance, l'amour veut dire tolérance, l'amour veut dire pardon,
l'amour veut dire sacrifice, l'amour veut dire service. Des choses comme
l'amabilité, l'humilité, la modestie, la bienveillance, la bonté, sont
toutes des manifestations diverses de l'amour. C'est la même chose de
dire: "Dieu est tout et tout est Dieu" et de dire: "l'amour est tout et
tout est amour". Et c'est de le trouver, de le ressentir, d'éprouver sa
chaleur et de voir le monde dans la lumière de l'amour, de garder vivant
son rayonnement et de tenir haut la flamme de l'amour comme une torche
sacrée pour se guider dans le voyage de la vie, c'est en cela que le but
de la vie est accompli.
Selon les normes communes de l'existence, un homme doué de sens commun
est considéré comme un individu valable, un individu bien équipé, mais
selon le critère mystique, seule cette personne commence à être valable
qui en vient à ressentir de la sympathie pour son prochain. Car grâce à
l'étude de la philosophie et du mysticisme, grâce aux pratiques de
concentration et de méditation, à quoi atteignons-nous? A une capacité
de mieux servir notre prochain.
Question:
Il a été dit que nous devrions devenir conscients, mais aussi que nous
devrions être inconscients de notre progrès.
Réponse: Oui, nous devons devenir conscients et aussi
inconscients. Personne ne peut être conscient de lui-même et d'un objet
sur lequel s'établit sa contemplation. Si Beethoven avait été conscient
de lui-même, il n'aurait pas pu écrire une musique aussi belle. Plus il
se perdait lui-même de vue, meilleure était la musique qu'il écrivait.
Ceux qui ont fait de grandes choses dans le monde ont été ceux qui ont
perdu conscience des difficultés de leur propre vie et se sont donnés à
l'objectif qu'ils avaient devant eux. Et ainsi, en étant moins conscient
de soi-même, l'on devient plus conscient de Dieu.
Mais peut-être la personne qui a posé la question désire-t-elle savoir
ce qu'il en est alors de la connaissance de soi? L'on ne peut pas vivre
inconsciemment dans le monde, l'on doit être conscient. L'on peut
méditer à certains moments et l'on peut s'engager mentalement à certains
autres, mais il y a des moments où l'on est conscient de soi-même, parce
que le moi est plus près de soi que n'importe quoi d'autre. Par
conséquent, il y a toujours le moi qui attend notre attention, et il n'y
a pas besoin d'être ignorant de sa nature et de son caractère. Il est
naturel que nous devions connaître ce quelque chose que j'ai appelé
"moi"; ce qu'il est, quelle est sa nature, quel est son mystère. Et dans
cette connaissance, il y a le mystère de la connaissance divine.
Question: Quand l'étincelle de l'amour vacille, comment
peut-on lui donner une nouvelle impulsion?
Réponse: On doit continuer à souffler jusqu'à ce qu'elle
devienne un feu perpétuel. Les anciens adorateurs du feu n'adoraient pas
un feu qui s'éteignait, ils adoraient une flamme perpétuelle. Où peut-on
trouver cette flamme perpétuelle? Dans son propre cœur. L'étincelle que
l'on trouve rougeoyante à un moment et puis qui s'obscurcit, cela
n'appartient pas au ciel, car dans le ciel toutes choses sont durables.
Cela doit appartenir à quelqu'autre endroit.
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