L'Objectif de la
Vie |
Je voudrais vous parler du même sujet dont j'ai parlé le soir dernier. Cela pour la raison que, lorsqu'on traite un sujet devant un large public, on ne peut pas très bien en toucher les aspects profonds. Par conséquent, je vous demande votre indulgence pour les quelques remarques qui vont seulement concerner les détails du même sujet. J'ai dit qu'il y a cinq aspects dans lesquels se montre l'appétit de l'âme. Ces aspects sont le désir de vivre, le désir de connaître, le désir de pouvoir, le désir de bonheur et le désir de paix. Il y aura peut-être une personne qui montrera davantage un certain désir qu'une autre personne. Néanmoins, chaque personne possède tout de même ces cinq aspects de l'appétit de l'âme.
Si nous étudions profondément le désir de vivre, nous constaterons que nous ne pouvons pas avoir un désir qui n'appartienne pas à notre nature. S'il y a un désir, il y a pour lui une réponse. Le désir de vivre continuellement est le désir de la personne spirituelle aussi bien que de la personne matérielle. Une personne spirituelle espérera sans doute en la vie future et une personne matérielle se montrera pessimiste contre son propre désir, mais le désir est là de la même façon. Comment est-ce qu'on atteint cette continuité de la vie? Cela ne dépend pas seulement de la croyance, bien que sa croyance aide une personne à réaliser cette expérience. Quand il n'y a aucune croyance, la personne n'en trouve pas le chemin. Néanmoins, la continuité de la vie est logiquement possible parce que chaque être désire vivre. Il est naturel que personne ne désire ce qui n'est pas possible. Un désir naturel a sa possibilité déjà présente. S'il n'y avait aucune possibilité, on ne le désirerait pas. En disant cela, je ne parle pas d'une personne aliénée. Une telle personne peut désirer n'importe quoi. Mais une personne qui a sa raison ne désirera que ce qu'il est possible d'accomplir.
Le secret de cela, on peut le trouver en s'analysant soi-même. En étudiant le moi, on constatera que son corps n'est qu'un écran sur son moi réel. Mais, par une étude un peu plus profonde, on découvrira que même son mental est un écran sur son moi réel. Aussitôt qu'on trouvera cela, on deviendra indépendant du corps pour vivre, et on deviendra aussi indépendant du mental pour vivre. "Mais - pourrait-on demander - s'il n'y a pas de corps, alors qu'est-ce que la vie?" On demandera cela parce que l'homme s'est lui-même limité en faisant l'expérience de la vie à travers le corps et n'a pas essayé d'en faire l'expérience sans son aide. Quand l'homme n'est pas conscient de son corps, il est conscient de son mental. Quand il a les yeux ouverts, il regarde les objets devant lui. Quand ses yeux sont fermés, il réfléchit sur ce que son mental a acquis. Dans les deux cas, il dépend ou bien de son corps ou bien de son mental pour faire l'expérience de ce qu'il vit. Cette dépendance rend l'âme limitée. Non seulement elle la limite, mais elle la rend mortelle. Je ne veux pas dire par là que l'âme soit mortelle, mais que le fait même de croire en la mortalité est pour l'âme comme si elle était mortelle.
Maintenant vient la question du désir de pouvoir. L'homme désire le pouvoir parce qu'il est naturel pour lui de gagner. Quelque part, le pouvoir est caché en lui, il n'y peut rien. L'homme est impuissant, en dépit de ce pouvoir qui est caché en lui. L'impuissance, l'expérience d'être sans pouvoir vient de son ignorance du pouvoir qui est en lui. Pour en ouvrir les portes, pour voir le pouvoir qu'il a en réserve, il est nécessaire de chercher le royaume de Dieu, comme il est dit dans la Bible. Parce qu'alors il trouvera son héritage divin qui est tout pouvoir.
Ensuite, vient le désir de connaître. Afin d'acquérir cette connaissance qu'on ne peut acquérir par l'étude, on doit essayer de méditer et de plonger dans la mer de connaissance. C'est en plongeant profondément dans cette eau que l'on obtient cette connaissance que l'étude ne peut enseigner. De cette manière, on trace une division entre deux aspects de connaissance, un aspect est l'intellect, l'autre est la sagesse. Par conséquent, un homme sage n'est pas un homme habile, ni un homme habile, un homme sage.
Pour en venir à l'explication du bonheur, le bonheur vient en creusant profondément dans notre propre coeur. C'est une grande erreur de chercher le bonheur dans le monde du dehors. Le bonheur vrai est notre propre être, notre moi le plus profond. Plus nous devenons conscients de notre vrai moi, plus le vrai bonheur en résulte.
Quant au désir pour la paix, ce qui arrive c'est que pour obtenir la paix, nous accusons toujours l'autre personne qui nous tape sur les nerfs. Mais la paix véritable ne peut venir qu'en se tenant si ferme contre toutes les influences qui nous entourent que rien ne puisse nous troubler.
Question : Croyez-vous à l'immortalité de l'âme? Réponse: Hé bien, toute ma conférence était sur ce sujet.
Question : Sur quelle base se fonde votre croyance en l'immortalité de l'âme? Réponse : Il ne peut pas y avoir une meilleure base que la réalisation que l'on en a soi-même.
Question : Je crois, mais j'ai besoin d'être fortifié dans mes idées. J'aimerais avoir une raison en faveur de l'immortalité de l'âme. Réponse : Toutes les religions du monde soutiennent cette idée. Par conséquent, pour un croyant il y a tout ce qu'il faut pour la soutenir.
Question : Y a-t-il quelqu'instruction dans le Soufisme qui puisse fortifier cette croyance? Réponse : Oui, notre instruction toute entière consiste à la réaliser, et pas seulement à la fortifier. Notre travail, le travail de la philosophie soufie, n'est pas seulement de fortifier la croyance de quelqu'un mais de faire de sa croyance une conviction. Par conséquent, nous n'enseignons aux gens aucune croyance.
Question : Murshid, comment proposez-vous de réaliser la connaissance de soi? Réponse : Il y a quatre chemins grâce auxquels on arrive à réaliser la connaissance de soi. Le chemin de la connaissance, le chemin de l'action bonne, le chemin de la méditation et le chemin de la dévotion. Quand une de ces quatre voies est proche de votre nature, empruntez-la, et à la fin vous trouverez la réponse de votre âme.
Question : La méditation est la principale, je pense; les trois autres sont intéressantes, mais voudriez-vous donner une explication de la quatrième? Réponse : La dévotion est la nature originelle de l'homme. Comme le dit la Bible: "Dieu est amour", ainsi dans la personne où il y a l'amour, il y a Dieu.
Question : Si un athée a de la dévotion, de l'amour, comment peut-on concilier cela avec son athéisme? Réponse : Il ne peut plus être athée quand il a de la dévotion ou de l'amour, parce que ce principe d'amour dans son développement le fera croire, sinon en Dieu, du moins en la personne qu'il aime. Si quelqu'un aime vraiment une personne, il doit à la fin aimer toutes les personnes. Quand quelqu'un dit: "J'aime une personne mais je déteste une autre personne", il ne sait pas encore ce que signifie l'amour. Car l'amour n'est pas limité, il est divin et illimité. En ouvrant la porte à l'élément d'amour en soi, l'on ouvre la porte à un élément divin. Quand la fontaine divine commence à s'élever dans le coeur, toutes les réalisations qui sont divines doivent s'élever comme une fontaine. Les grands saints, qui éprouvaient de l'amour même pour le plus petit insecte et créature vivante, avaient la réalisation divine sans grande étude ou méditation. Leur seul amour la leur enseignait.
Question : Comment peut-on concevoir cet élément divin? Réponse : L'amour est divin depuis son commencement et sous tous ses aspects. Le grand poète de la Perse, Roumi, dit: "Que vous ayez aimé une personne ou que vous ayez aimé Dieu, si vous voyagez jusqu'au bout sur le chemin de l'amour, à la fin vous arriverez dans la présence du Souverain de l'amour."
Question : Est-ce que la réalisation de la connaissance de soi est la réalisation de l'esprit ou de l'âme? Réponse : Le soi est l'âme. Par conséquent, c'est la réalisation de l'âme aussi bien que du corps et du mental, de l'être entier. Même dans la réalisation du soi, la réalisation de Dieu arrive.
Question : Chacun dans la vie doit avoir un objectif, chacun doit trouver sa voie et en trouvant sa voie on doit y mettre toute son intelligence. Est-ce qu'il y a un moyen de trouver sa voie dans la vie? Réponse : Oui, si on mène une vie droite, une vie naturelle, on trouve intuitivement la voie droite pour avancer. En outre, quand quelqu'un a trouvé son objectif, celui qui est pour lui, alors il se sent lui-même, il se sent chez lui. Alors, il constate que toutes choses l'aident, il se sent plein d'espoir et de courage.
Question : Y a-t-il un moyen de trouver l'objectif? Je n'ai pas encore trouvé d'objectif dans la vie. Réponse : Il faut développer l'intuition.
Question : Comment développer l'intuition chez quelqu'un qui ne la possède pas? Réponse : La confiance en soi. On doit être prêt à faire des erreurs parce qu'on ne peut pas toujours avoir la bonne intuition; si l’on se méfie de l'intuition, alors on n'en aura pas du tout.
Question : Alors c'est un grand risque? Réponse : Rien n'est atteint sans risque. Quand les gens disent qu'en quelque chose il y a un risque, je leur dis souvent que ne pas prendre un risque est un risque encore plus grand.
Question : Est-ce que l'intuition est supérieure à l'intelligence? Réponse : La supériorité et l'infériorité sont des termes relatifs. Bien sûr, l'intuition vient quelquefois d'une source plus profonde que l'intellect. Par intelligence, on entend la capacité de connaissance et par intellect, ce qu'on connaît. L'intelligence est la capacité, l'intellect, la connaissance. L'intelligence est une substance pure, quelque chose de très pur. Par conséquent l'intelligence est la substance divine que l'on peut reconnaître en soi. S'il y a quelque signe de l'âme dans une personne, c'est l'intelligence. Par conséquent, plus intelligente est une personne, plus cette personne a une âme brillante. Mais je ne veux pas dire qu'une personne intellectuelle n'ait pas d'intelligence.
Question : Est-ce que la volonté n'est pas plus près de la divinité? Réponse : Oui. Si je devais donner une définition de la volonté, je l'appellerais amour. "Je veux le faire" signifie: "J'aime à le faire", c'est la manière poétique de le dire.
Question : Mais j'ai fait beaucoup de choses que je n'ai pas aimé faire. Réponse : Dans ce cas, une personne ne "veut" pas les faire. Alors, elle est une machine, la volonté n'est pas là. Quand une personne veut faire, alors elle aime faire. Pour moi, le pouvoir de la volonté et le pouvoir de l'amour sont une seule chose.
Question : Est-ce que faire ce qu'on n'aime pas faire est cependant un moyen de développer sa volonté? Réponse : Oui, nous développons notre pouvoir en le faisant. Nous développons notre pouvoir sur une partie de nous-mêmes qui ne veut pas. Cela veut seulement dire qu'une partie de nous-mêmes n'aime pas faire quelque chose qu'une autre part du moi aime faire. Et, par conséquent, nous appelons la partie qui conquiert: la volonté.
Question : Si je rends le bien pour le mal, la première impulsion est de ne pas le faire. Réponse : J'appellerais cela l'amour, l'amour sous forme de pardon, de tolérance. Si vous ne voulez pas le faire, c'est autre chose. J'aimerais mieux avoir une homme qui ne pratique pas une certaine vertu que celui qui la pratique sans amour. La pratiquer à contrecœur n'est pas bon. Par exemple, quelqu'un vous rend visite et, en partant, demande à emprunter votre imperméable. Vous dites: "Très bien", mais il se trouve que vous ayez aussi à sortir. Si, alors, vous dites: "Quel sale type! Il a pris mon imperméable", j'aimerais mieux que vous ne l'ayez pas donné mais que vous ayez dit: "Je suis désolé, je ne peux pas vous le donner, monsieur!" Toute bonne action n'a sa vertu que si elle vient de votre amour. Sinon, c'est une action morte, elle ne vit pas.
Question : Est-ce que la philosophie soufie dans son essence croit à la réincarnation. Réponse : La philosophie des Soufis ne donne aucune croyance et ne s'oppose à aucune croyance. Elle interprète de son mieux chaque croyance aussi favorablement que le font ceux qui la suivent. Par exemple, si quelqu'un pose au Soufi une question sur le Bouddhisme, le Brahmanisme ou la religion chrétienne, le Soufi aura envers cette personne l'attitude de l'avocat qui se tiendrait au tribunal, donnant sa version devant la loi. Mais le soufisme ne donne aucune croyance comme étant la sienne propre. C'est sans doute pourquoi un Soufi croit en une certaine doctrine et un autre ne la comprend pas à ce moment-là. Pour devenir soufi, il n'est pas nécessaire d'avoir telle ou telle croyance, telle ou telle doctrine. Le Soufi aide seulement quelqu'un à s'élever au-dessus des choses et à regarder la vie d'un point de vue plus élevé. Le soufisme suit exactement l'idée écrite dans la Bible: "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par surcroît." Au lieu de se tracasser au sujet des croyances, le Soufi va droit à cette idée centrale, et, quand il se tient là, il voit la vérité de toutes choses. C'est le mystère de la vie que, chaque fois qu'il prend en mains la lanterne divine, toutes choses deviennent claires. Le Soufisme donne la liberté à chaque adepte de trouver par lui-même.
Maintenant je désire dire un mot et c'est que la plus grande nécessité de notre vie est Dieu. A notre grand désappointement, nous constatons que cet idéal est perdu. Qu'il s'agisse de gain spirituel ou de gain matériel, toute inspiration et pouvoir est dans l'amour de Dieu, dans la connaissance de Dieu et dans la réalisation de soi et de Dieu.
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