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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE DROIT ET LE DEVOIR
DU POINT DE VUE SOUFI

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Il y a deux questions qui se posent à nous à différents moments de notre vie; l’une est: "Ai-je le droit de faire ce que je désire faire?", et l’autre: "Est-il de mon devoir de faire telle ou telle chose?". Souvent ces questions demeurent devant nous sans réponse et nous sommes bien perplexes pour en trouver la solution.

 

Aucun Soufi n’a donné un code de morale à qui que ce soit pour résoudre ces questions dans le détail. Le Soufi n’est pas législateur en morale, il ne fournit pas de principes; il ne dit pas que tous les moralistes nous ont enjoint de faire telle ou telle chose ou de nous abstenir de tel ou tel acte, ni que Dieu nous commande de faire ceci et de ne pas faire cela, mais il dit que pour vivre heureux, chacun doit trouver en lui-même la solution de ces questions.

 

C’est dans le même esprit qu’il est dit dans le VADAN:

Un jour je rencontrai le Seigneur face-à-face, et, sur mes genoux, j'ai prié:
"Dis-moi O Roi de Compassion,
est-ce Toi qui punis le pécheur et donne récompense au vertueux?"
"Non - dit-Il en souriant
Le pécheur attire sa punition; le vertueux gagne sa récompense".

 

Alors, comment reconnaître notre chemin parmi les circonstances diverses que la vie nous présente? Comment, grâce à quelle lumière, pouvons-nous choisir? De quelque façon que les Soufis aient éclairé la vie, ce fut toujours grâce à cette lumière qui est la manifestation de l’Esprit-Guide, la Lumière Qui Éclaire, de cet Esprit dont il est parlé dans la prière SALAT, une prière qui s’adresse d’abord à un Être puis à tous les êtres en disant dès les premières paroles que cet Esprit est dans tout être, en nommant ensuite tour à tour les Êtres Illuminés de l’histoire du monde, les grands Prophètes. Qui est cet Esprit-Guide? Comme le dit Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan: "Tout comme un fermier qui fait sa ronde au coucher du soleil allume au crépuscule une lanterne pour guider ses pas, ainsi la Lumière de l’Être Divin, au cours de sa manifestation, est manifestée". Ces Êtres qui manifestent la lumière éclairent la vie par leurs paroles, par l’exemple de leur vie, par chacune de leurs actions, par leur présence même qui est lumière et qui est illuminatrice par elle-même, sans aucun intermédiaire.

 

Mais lorsque l’on en vient à la majorité des gens, quel individu peut voir clair dans les questions obscures de la vie, lequel peut comprendre la vraie nature des êtres humains? Est-ce celui qui est très occupé de lui-même et qui projette son reflet sur tout ce qu’il voit? Est-ce celui qui est inquiet, anxieux des choses extérieures? Tout cela empêche de voir clair dans la situation où l’on se trouve comme dans les êtres avec lesquels l’on a affaire. Mais celui qui ne pense pas beaucoup à lui-même, qui est d’esprit tranquille, optimiste, qui est prêt à comprendre et à suivre le courant de la vie et à s’abandonner à la volonté de Dieu, celui-là verra clair.

 

Il y a un autre empêchement à la clarté de vision: l’égo qui toujours veut imposer sa volonté même en dépit des circonstances. Pourtant, si l’on en est trop conscient, si l’on en est trop anxieux, si l’on se dit: "Je dois forcer mon égo à se mettre de côté, à ne pas désirer telle ou telle solution", l’on se trouble et l’on peut prendre une décision contraire à celle qui conviendrait.

 

Et puis, lorsque l’on désire faire une chose l’on peut se demander: "Ai-je le droit de la faire, d’agir ainsi, de suivre cette direction?". C’est notre propre sentiment qui doit nous montrer ce qu’il en est. Nous sentons bien au fond de nous-mêmes si nous faisons quelque chose malgré nous; nous avons un sentiment intérieur qui nous donne une sorte d’horreur pour cette action et nous dit qu’elle ne peut convenir à notre vie. Les arguments, la pensée suivront mais c’est le sentiment qui est en nous, qui nous fait dire "oui" ou "non"; c’est sur ce "oui" ou sur ce "non" que nous pouvons nous baser. Et ce sentiment est comme une musique: si nous y sommes attentifs nous pouvons laisser cette musique se développer, devenir de plus en plus claire et forte, mais nous pouvons aussi changer ses phrases qui deviennent alors dissonantes d’avec sa note fondamentale. Ensuite vient le raisonnement qui nous fait nous demander, si pour atteindre le but que nous voulons atteindre, cette musique du sentiment profond est en accord et peut nous aider, ou si elle a un effet contraire.

 

Et puis nous sommes souvent en butte à la tentation. Toute action qui nous détourne de notre but est une tentation, même une action anodine en apparence. Il peut être intéressant, par exemple, d’aller à un concert, d’entendre de la musique, mais quelqu’un qui se prépare à un examen doit penser que c’est une tentation; la chose la plus intéressante qui l’empêche de s’y préparer est une tentation.

 

Puis aussi l’on peut se dire: "J’ai un certain idéal; il se compose de telles qualités, de tels sentiments, de telles manières d’agir; je puis être attiré par autre chose, mais je sens que ce n’est pas en accord avec mon idéal". Telle action pourra sembler non mauvaise mais si elle n’est pas en accord avec notre idéal elle ternira notre esprit, elle jettera une ombre sur notre cœur qui ne peut se réjouir que de ce qui est conforme à son but. Faut-il alors être très scrupuleux? Il ne faut pas l’être trop. L’on peut s’enfermer dans une voie trop étroite et c’est l’écueil d’une nature vertueuse qui est peut-être elle-même un peu étroite et manque de souplesse. Il faut prendre un principe comme fondement mais c’est le but qu’il est important d’atteindre; le principe n’est qu’une route, un moyen pour l’atteindre. Si l’on garde devant soi le but auquel on veut arriver, on ne tombera pas sur l’écueil d’écarter trop de choses de sa vie. Tout ce qui sera fait pour nous approcher de ce but sans heurter notre sentiment sera acceptable. Mais tout ce qui est contraire à notre idée, tout ce qui nous écarte de notre voie, nous ne devons pas le faire, il faut à tout prix nous en abstenir. Cela fait les grands caractères de savoir se refuser ce qu’ils aiment, d’avoir suivi une ligne droite, suivi leur volonté; leur âme s’en est développée et agrandie. Ne pas s’écarter de la ligne que l’on s’est tracée, cela fait un caractère droit, élevé, une vie utile et heureuse pour nous-mêmes et pour ceux qui sont près de nous.

 

Maintenant il est une autre question qui souvent se pose: "Est-il de mon devoir de faire telle chose que l’on m’engage à faire?". Cette question est quelquefois plus difficile à résoudre que la précédente parce qu’il est très difficile de prévoir les résultats d’une action. Si l’on agit d’une certaine façon, l’effet en sera-t-il heureux? Il est difficile de le savoir. Tant de choses concourent à l’aboutissement de l’effet heureux ou malheureux! Personne ne peut dire: "Certainement cette action est bienfaisante, certainement entrer dans cette voie nous apportera le succès dans la vie, non pas un succès superficiel, éphémère mais un succès durable". En cela aussi nous pouvons écouter ce qui vient de notre âme. Si notre âme semble nous pousser vers cette action, si elle tend vers la voie où nous voudrions nous engager, cela prouve que l’impulsion est partie du plus profond de notre être. Si au contraire à l’idée qui occupe notre esprit nous restons indifférents, si nous sentons que c’est une chose à laquelle nous pourrons difficilement nous associer, cela prouve que l’impulsion ne vient pas d’un plan profond de notre être.

 

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan dit que le mystique suit son impulsion. S’il pense qu’il doit aller au Nord, il ira et verra ce qu’il aura à y faire ensuite. Mais il dit aussi qu’il faut savoir distinguer une impulsion profonde d’une idée qui traverse notre esprit. Quelqu’un dira par exemple: "Je veux aller me promener dans le parc". Il mettra son chapeau et partira; ce pourra être une idée superficielle, mais s’il sent: "Je dois aller dans ce sens", il verra une fois arrivé la raison de cette impulsion profonde. En ce cas aussi les raisonnements ne valent pas grand-chose: Il y a autant d’arguments pour et autant d’arguments contre. Si l’on prend le parti d’attendre que la solution apparaisse clairement, l’on risque d’attendre toute sa vie et ainsi l’on se sera trompé. Ou bien l’on se dira que l’on va s’embarquer dans une entreprise, que l’on va donner l’impulsion et que Dieu accordera bien ce que l’on veut obtenir. Cela ne peut être vrai. Dieu n’obéit pas à l’homme, l’homme obéit à Dieu. Si l’homme se dit que Dieu accordera ce qu’il désire, le résultat ne sera jamais certain. Il peut penser aussi que Dieu lui donnera ce qu’il doit avoir à condition qu’il ait la bonne attitude et se conduise bien. Si Dieu lui accorde ce qu’il espère, c’est une récompense ou bien, si ce qu’il entreprend réussit, il est dans la bonne voie. Sinon, cela vient -pense-t-il- du fait qu’il a commis une faute maintenant ou dans une vie antérieure. Ni l’une ni l’autre de ces choses ne sont vraies; Dieu ne mesure pas. Le bonheur est parfois caché sous un malheur apparent, comme un bonheur peut devenir un malheur si l’on ne comprend pas comment l’accepter.

 

Tout est là dans la pensée: Dieu me donnera ce que je dois avoir. Si l’on s’accorde à la volonté de Dieu, c’est le seul moyen d’être heureux sur cette terre. Cependant si l’on dit: "Les choses ne réussissent pas selon mon désir, cela prouve que je dois passer par une certaine expérience", c’est être fataliste. La vie n’est pas tracée de telle façon que connaître un chagrin, lutter contre des difficultés, tout cela doive améliorer un être. D’abord il n’est pas sûr que le malheur l’améliorera, il peut aussi bien l’aigrir. Et puis on peut se demander si chacun, à chaque moment, a le droit de désirer pour lui-même ce qu’il y a de meilleur. Dieu Lui-Même désire pour chacun ce qu’il y a de meilleur. La difficulté est de comprendre et de faire arriver ce qui, pour chacun, est le meilleur. Là aussi, l’on peut considérer quel est le but vers lequel on tend, si l’action que l’on pourrait faire aidera à l’accomplissement de cette intention. Si elle entrave notre progrès vers le but que nous nous proposons, cette action est contraire à la réussite de notre vie.

 

Du côté du raisonnement c’est tout ce que l’on peut dire à ce sujet, mais du côté de la connaissance de soi-même, tout ce que l’on peut faire est d’écouter ce qui vient de l’âme, quelle note elle entonne et mettre le cœur et l’esprit en accord avec cette note qui est la raison de ce qui se passe en nous.

 

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