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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE BIEN ET LE MAL

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

 

Nous lisons dans le Gayan:

«Dieu créa l’homme et l’homme créa le bien et le mal».

Quel est le rêve de l’homme? Son rêve est celui-ci: qu’il y ait un lieu où il n’y ait que du bien et des êtres chez lesquels on ne trouve que ce qui est beau et bon, et qu’il y ait un autre lieu où l’on puisse mettre tout le mal et tous les méchants. Et constamment dans sa vie, il cherche à voir se réaliser ce rêve devant ses yeux. S’il aime un être humain, si un entourage lui plaît, il voudrait que tout dans cet être, dans cet entourage, fût beau, fût bon et il admet difficilement qu’il s’y trouve quelque défaut. Il a besoin d’un brin de sagesse pour l’admettre. Si au contraire les gens lui déplaisent, si le milieu est antipathique, il considérerait volontiers que tous sont mauvais. Et il poursuit constamment ce rêve au long de sa vie.

 

En réalité, le bien et le mal sont tellement mêlés que l’on ne peut pas les séparer l’un de l’autre. Mais on peut les distinguer nettement. Pour un esprit sincère et un cœur tranquille, il n’y a pas de possibilité d’erreur. Ce qui est bon est bon, ce qui est mauvais est mauvais. Mais les deux choses sont mêlées et on ne peut les séparer à aucun moment.

 

Qu’est-ce que le bien? Qu’est-ce que le mal? Le bien, c’est le beau; tout ce qui nous semble beau est bien. Et le mal? Nous lisons dans le Vadan:

«Il y a beaucoup de péchés, mais le plus grand péché est de reconnaître le péché».

Tout ce que nous reconnaissons comme péché, comme une chose méchante et mauvaise, est mauvais pour nous parce que nous le reconnaissons comme tel. Par conséquent, plus un être a en lui, consciemment ou non, des sentiments et des impressions que son propre cœur reconnaît comme mauvais, plus il en voit autour de lui; et, réciproquement, plus il en reconnaît autour de lui, plus il en rassemble dans son propre être. Et quand ce processus est arrivé au point culminant de son développement, tout pour lui est mauvais, repoussant, et il se trouve dans cet enfer dont il a rêvé et qui est sa propre création.

 

Celui qui a un cœur innocent, une âme pure, celui qui pense, qui dit et qui fait ce qui, à son propre sentiment, est beau et bien, verra la lumière de cette beauté projetée en lui et autour de lui. Il reconnaîtra ce qu’il y a de bien, de beau en toutes choses, et cette beauté se reflètera sur lui et en produira toujours davantage. C’est celui-là qui voit tout en beauté, qui est dans le paradis dont il a rêvé. Les ombres, bien qu’il les voie, sont pour lui négligeables ou plutôt ce ne sont pas des ombres, c’est un degré différent de lumière. Les couleurs ne sont pas ou bonnes ou mauvaises pour lui. Chaque couleur, il l’apprécie à sa place, combinée avec les autres pour former une harmonie.

 

Ainsi, en étudiant les êtres humains, nous pouvons constater que chacun semble être dans le même monde que tous les autres, mais qu’en réalité chacun vit dans un monde différent: l’un est sur la terre où le bien et le mal sont mêlés, un autre se trouve au purgatoire où le mal l’entoure et il cherche comment s’en débarrasser, un troisième est en enfer et un quatrième respire l’air du paradis. Et il dépend de nous-mêmes de nous placer dans le monde où nous souhaitons être. Il dépend de notre point de vue que nous voyions tout en beauté ou que nous voyions tout en laideur, que nous soyons heureux ou que nous soyons accablés et malheureux.

 

Évidemment, l’être humain n’a qu’un pouvoir limité, il n’a pas une puissance entière sur lui-même. Il souhaite le bien, il voudrait arriver à voir la beauté, mais tout ce qui est contraire à cette impression le frappe, l’impressionne fortement, le rend sur le moment incapable de voir la beauté et même l’en détourne; et il faut s’exercer constamment à éloigner les impressions indésirables, à maintenir au contraire les impressions désirables, à en créer, à en imaginer dans notre esprit, pour que nous arrivions à nous entourer de ce qui nous rend heureux et à chasser tout ce qui nous rend malheureux. C’est un travail qui mérite d’être fait. Il est certainement difficile, très difficile; c’est l’âme mûre, l’âme parfaite qui arrive à l’accomplir parfaitement. Mais cette âme est constamment bénie et elle apporte une bénédiction à tous ceux qui l’approchent. Chacun se sent plus heureux en sa présence, chacun est élevé par son influence.

 

Mais n’y a-t-il que les gens qui ont reçu l’impression du mal ou ceux qui ont le caractère méchant qui voient le mal dans le monde? Non pas. Les âmes évoluées peuvent certainement voir dans le monde entier l’immanence de la Beauté de Dieu comme sa Manifestation, mais (dans les écritures de l’Islam) il est aussi écrit: «Le jour viendra où ce monde qui a tant d’attrait pour vous changera de visage devant vous; il vous apparaîtra comme une hideuse sorcière qui vous épouvantera. C’est l’expérience de l’homme», et c’est certainement aussi l’expérience de l’âme évoluée.

 

Mais quel est l’effet de cette impression sur une âme élevée? Si elle advient à une âme ordinaire, cette impression peut signifier le dégoût de tout, l’abandon et le mépris de tous les êtres humains, la révolte contre tout ce qui est élevé. Mais les âmes mûres, au contraire, sentent que si la vie est très difficile à tolérer, elles peuvent cependant la rendre tolérable à elles-mêmes et la rendre tolérable aux autres, et elles ont à cœur de le faire, elles y mettent toutes leurs forces. Et ces êtres qui ont compris la vie et qui se montrent eux-mêmes tolérants et endurants la rendent tolérable par leur présence. Peut-être ne reflètent-ils qu’un rayon ou qu’une étincelle de l’Esprit Divin, mais ceux qui parmi eux reflètent une lumière resplendissante sont les grands Messagers de Dieu qui sont venus à diverses époques. Ils ont eu pour but non seulement d’élever l’humanité, mais aussi de rendre la vie tolérable pour les êtres humains. Et quand devient-elle tolérable? Elle devient tolérable quand elle reste belle et heureuse. Qu’est-ce qui la rend belle? Ce n’est pas ce que la plupart des hommes pensent, car ce ne sont ni les circonstances ni les événements, ni les expériences que l’on peut faire, ni les êtres que l’on rencontre, mais uniquement notre façon de voir la vie. Et comment peut-on voir la vie pour qu’elle soit tolérable? Ce n’est pas en exagérant le mal que l’on y voit en lui donnant de la force dans notre esprit, ni en le contemplant, ni en le gravant sur notre cœur et en répétant mille fois son impression. C’est en voyant le bien que la vie devient belle, et c’est en se résignant au mal que l’on ne peut éviter qu’elle devienne tolérable.

 

Mais si quelqu’un qui s’est révolté à cause du mal qu’il voit autour de lui s’écrie: «Je ne veux pas essayer de rendre beau un monde qui ne l’est pas, je veux le voir tel qu’il est, je veux même crier que tout est laid, que les hommes sont méchants, qu’il m’est arrivé telle ou telle chose désagréable», l’on arrive à se déchirer soi-même, à déchirer son esprit, à se remplir d’amertume, à flétrir son âme. Mais si, au contraire l’on dit: «Je me rapprocherai de ce que j’aime, je le mettrai toujours devant mes yeux, je le regarderai, et tout ce qui ne lui ressemble pas, j’en détournerai les yeux», l’on se rendra heureux par la contemplation de cet idéal de beauté qui est conforme à ce que le cœur désire, à ce dont l’âme a soif. Cependant, il n’y a pas pour tous un même objet que chacun puisse aimer, adorer. L’idéal de chaque âme est différent, mais par la contemplation de cet idéal, l’on s’en approche et la vie s’emplit au fur et à mesure de beauté.

 

Mais il y a un autre aspect à ce chemin: négliger le mal, oublier les choses qui déplaisent. Cela semble si facile en théorie mais cela n’est pas facile en réalité. C’est comme si l’on disait: «Mangez donc ce dessert assaisonné de poivre et de moutarde, mais oubliez le goût du poivre et de la moutarde en le mangeant». Le mal, la méchanceté, irritent le cœur et l’esprit, et il faut beaucoup de douceur pour pouvoir amoindrir cette irritation et, avec le temps, pour l’oublier. Mais il est possible de l’oublier. Il ne faut pas croire que l’être humain soit incapable de le faire. C’est un entraînement, une attitude à prendre dans toutes les circonstances de la vie. Oublier ne signifie pas essayer de prétendre que ce que l’on sent comme mauvais est bon, non pas! Mais oublier veut dire ne pas y penser, et ne pas y penser est aussi ne pas en souffrir. Il faut au contraire penser que les fautes et les défauts que l’on constate dans la vie ne sont pas intéressants; en dehors de nos propres fautes, de nos propres défauts qu’il s’agit de reconnaître et d’éliminer de notre propre nature par une action vigilante. Et l’on y sera aidé dans la mesure où l’on se rendra compte que si l’on peut créer en soi-même et répandre autour de soi une petite lumière, une étincelle de bonté et de beauté, c’est cela qui vaut d’être fait dans la vie.

 

C’est ainsi que peu à peu l’âme se trouvera dans le paradis. Et qu’arrive-t-il quand elle est entrée au paradis? Elle reconnaît ce monde terrestre comme n’étant ni enfer ni paradis, mais un lieu où le bien et le mal sont mêlés et ne peuvent être séparés. Et cependant elle reconnaît aussi que chaque chose, chaque être est à sa place dans la vie. Si le plus petit atome, si la moindre substance, si l’être le plus insignifiant, si la qualité la plus négligeable faisait défaut, le monde serait incomplet.

 

Ainsi, à ce point de son évolution, une âme arrive à se réconcilier avec le monde, et elle parvient à cette tranquillité d'esprit, à cette paix qui sont l'indice certain d'une âme qui a atteint sa pleine évolution.

 

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