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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LA DÉMOCRATIE SPIRITUELLE

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Le mot "démocratie" est très populaire à notre époque. Il semble signifier pour les gens conscience, liberté, possibilités de toutes sortes. Et il semble aussi donner une réponse affirmative à une question qui se pose à chaque esprit lorsqu’il voit quelqu’un jouir de quelque chose de très beau, de très intéressant, occuper une situation élevée, à qui l’on témoigne spontanément beaucoup d’amitié; cette question qui se pose naturellement est: "Pourquoi pas moi?". Et le mot "démocratie" semble dire: "Oui, c’est pour toi aussi, et c’est pour tous".

 

Mais cette question: "Pourquoi pas moi, pourquoi pas pour moi?" a un côté qui est vrai et un côté qui est faux; un côté qui appartient à la conscience de notre existence limitée et un côté qui appartient à la conscience de la vie unique, limitée en rien, qui est tout. C’est cette conscience là qui se manifeste en premier parce qu’elle est toujours éveillée en nous, bien que chacun ne le réalise pas. L’autre côté qui est faux, appartient à cette conscience qui est en nous limitée parce que nous l’attribuons à notre être limité qui toujours réclame et exige pour lui-même.

 

Et il arrive qu’un être dise: "Pourquoi ne suis-je pas dans telle situation? Pourquoi ces deux personnes ont-elles de l’amitié l’une pour l’autre alors que j’en suis exclu?". C’est là la racine de toute envie, jalousie, cupidité.

 

De même la conception de la démocratie a un côté vrai et un côté par lequel on l’applique mal. Le côté vrai, spirituel, est qu’il n’y a pas de différence foncière entre les êtres, qu’ils sont tous la manifestation d’une conscience unique, tous sont les rayons d’un même soleil et par conséquent il n’y a pas seulement égalité mais identité de toutes les âmes entre elles. Et le côté faux apparaît si l’on dit que tous, quels qu’ils soient et tels qu’ils existent, sont égaux entre eux, qu’ils ont les mêmes droits, qu’ils doivent posséder tous les mêmes biens, les mêmes sphères d’action, que l’un ne s’élève pas au-dessus des autres.

 

C’est une conception qui a cours maintenant et qui cause des troubles et des désordres parce que l’on veut que chacun soit pareil à tous, mais il n’y a rien de tel dans la nature, où même les brins d’herbe sont différents les uns des autres, où les êtres humains aussi diffèrent les uns des autres. En outre, ce qui pèche dans cette conception, c’est qu’elle aboutit à trop négliger les possibilités de progrès et le désir d’atteindre à de grandes choses. C’est devenu une attitude très générale; la vie s’exerce dans le sentiment: "Je ne dois pas aspirer trop haut, telle chose n’est pas pour moi". Et même, beaucoup de gens de bonne volonté pensent que c’est faire preuve d’humilité que d’avoir conscience de la petitesse de son être. Mais si l’on connaissait mieux cet être, on saurait que la limitation ne lui appartient pas et que ce qui est à l’extérieur est toujours plus limité que lui.

 

Quant à ceux qui admirent l’idée de l’aristocratie, ils se disent à eux-mêmes et prétendent entre eux que certains individus qui occupent telle situation, tel rang, doivent seuls avoir ce privilège; que les autres ne peuvent être semblables à eux, ne peuvent faire ce qu’ils font, ne pourront jamais accéder à quelque chose d’aussi élevé. Ce qui est une conception de l’aristocratie tout aussi limitée que l’autre, concernant la démocratie, l’était.

 

Hazrat Inayat donne une définition de l’aristocratie et de la démocratie que l’on voudrait bien voir plus généralement comprise et assimilée, parce que si cette conception était comprise et assimilée, les conditions de la vie sociale et politique seraient établies sur une base vraie, alors qu’elles ne le sont pas. Il dit qu’admirer quelque chose de beau, de grand chez un autre est aristocratie et avoir la conviction qu’on peut l’atteindre soi-même est démocratie. Beaucoup pensent au contraire que puisque certains individus sont destinés à être ce que quelques-uns ne seront jamais, il faut leur dire: "Abaissez-vous!", ou bien: "Dénigrons, tirons les autres en bas, mettons-nous à leur place"; et cela parce que jamais on ne pense que la démocratie est dans la possibilité de progresser et que l’âme vient au monde pour accomplir ses souhaits, que tout ce qu’elle souhaite vraiment au fond d’elle-même, elle est destinée à l’avoir, et que si elle ne l’atteint pas, c’est une erreur. Vous pouvez vous rendre compte de ce fait par une observation attentive de la vie. Voyez différentes personnes à qui l’on montre quelque chose d’admirable: un poème, un livre, une oeuvre d’art, une découverte scientifique, ou bien une belle personnalité, un beau caractère. Les uns le négligeront absolument, ne reconnaîtront rien, les autres seront remplis de joie et d’admiration. Cette beauté, c’est le droit de celui qui l’apprécie de la refléter, de la reproduire. Mais pour les autres, vouloir leur donner cela à admirer, vouloir les y forcer, c’est comme obliger à manger des plats très fins, préparés avec beaucoup d’art, quelqu’un qui n’aime que les oignons cuits dans la graisse. Il ne sera pas capable d’apprécier cela, il faut lui donner une nourriture qui satisfasse son goût.

 

Charles de Montesquieu (dans son ouvrage: "Considérations sur les Causes de la Grandeur des Romains et de leur Décadence") a écrit qu’il y a trois phases chez les hommes de tous les "états" ("L’État" ou Classe, celle des gens d’Église, celle des Nobles, celle des gens qui n’étaient ni l’un ni l’autre, ou "Tiers État"). D’abord la phase du mérite où celui qui est méritant se hisse au premier rang, une deuxième phase, celle des prérogatives, des privilèges, où ceux qui sont haut placés disent: "Tel droit est notre droit" sans égard pour les devoirs qui y sont attachés, et une troisième phase de développement naturel: celle des exigences de l’égo qui repousse ses frères afin d’exiger pour soi tout ce qu’il y a de mieux, comme s’il était supérieur à tous. Mais personne n’a le droit d’agir ainsi pour la raison que tout égo, même chez la personne la plus exercée et la plus morale, est sujet à toutes les limitations, ce que toutes les grandes âmes ont été les premières à reconnaître. Chaque âme, si fruste qu’elle puisse paraître, est la même que celle des êtres les plus évolués. Mépriser cette âme revient à méconnaître ce qui est le plus précieux en soi. Celui qui accepte autrui s’accepte lui-même, celui qui le blâme se décrie lui-même.

 

Il est donc très rare de rencontrer un être ayant reconnu que la vie sur cette terre est destinée à l’atteinte d’un certain but. C’est ici que nous pouvons accomplir nos souhaits si notre aspiration est suffisante, si nous pouvons former un idéal et ensuite le maintenir devant nous. Or, tant que l’idéal de l’humanité ne consistera que dans un accroissement des richesses, des jouissances, on n’atteindra que des buts matériels, on multipliera les objets. Mais quant à développer une intelligence plus profonde, plus vaste, plus divine, on n’y parviendra pas.

 

C’est par le développement de l’idéal que l’humanité s’élève d’abord dans les individus puis dans les masses. C’est celui qui généralement est le plus obnubilé par la fausse conception de la démocratie qui dit: "Pas de supériorité et le même idéal pour tous". Si seulement l’opinion se répandait que la supériorité fait la valeur de la vie, que cela n’est pas réservé à quelques-uns mais que c’est une promesse pour chacun, surtout pour celui qui sait reconnaître et priser cette supériorité! Car même s’il n’a pas l’idée de la refléter à son tour, il la reproduira inconsciemment.

 

C’est l’idéal de la personnalité humaine qui est à la fois la vraie aristocratie et la vraie démocratie et c’est cet idéal qui seul peut élever les individus et les collectivités et qui seul amènera de meilleures conditions.

 

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Question: Quel est le meilleur des idéals?

Réponse: Le meilleur est l’idéal de la perfection, l’idéal de Dieu que chacun peut construire en soi-même. Mais de même que si chacun est à peu près capable de chanter une mélodie et que certains peuvent devenir de grands chanteurs, il n’en reste pas moins qu’il faut un compositeur pour écrire la musique; de même il faut un génie spirituel pour apporter un idéal que chacun n’est pas capable, livré à lui-même, de concevoir.

Tous n’ont pas au même degré la faculté de se représenter un ami parfait. L’un dira: c’est quelqu’un qui me laissera faire tout ce que je voudrai, qui cédera à tous mes désirs, qui sera très serviable. Un autre dira: c’est celui qui sera très sensible , qui comprendra tout ce qui se passe en moi, qui aura la plus grande sympathie pour moi. Mais il y a aussi celui qui verra dans l’ami parfait un idéal duquel il pourra s’approcher, qu’il pourra refléter. Et c’est ainsi que les Soufis ont souvent donné le nom de "Ami" à Dieu.

 

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