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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LES BUTS DE LA VIE

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Les buts que nous pouvons poursuivre dans la vie sont certainement nombreux, et par habitude nous les considérons comme différents, séparés les uns des autres; ce sont -disons-nous- des buts dans la vie et voilà tout. Mais si nous regardions l’existence dans son ensemble, nous verrions qu’il n’y a qu’un seul but, aussi bien pour l’être individualisé que pour la vie toute entière, et c’est d’arriver au plein éveil de la conscience et d’y arriver en manifestant la beauté et en gardant l’équilibre.

 

La vie est un éveil. Et comme un être qui s’éveille désire s’éveiller entièrement, de même en est-il de la vie dans son ensemble. Et comme dans la première phase de son éveil, une personne commence par être très peu consciente, ainsi la vie entière est-elle très peu consciente à son début, ce début où elle existe sous la forme minérale. On pourrait s’étonner que le roc soit conscient; cependant il l’est, mais à peine. Puis, par degrés et par étapes, la vie devient de plus en plus consciente en s’élevant à travers le règne végétal et ensuite à travers le règne animal.

 

Il en est de même pour l’individu. Quand il arrive à cette vie sur la terre, il est très peu conscient des choses qui l’entourent, et il cherche à le devenir davantage.

 

Dans ce développement, il y a d’abord une première phase où l’individu n’est conscient que dans une sphère limitée, où il commence par limiter les choses pour mieux les distinguer les unes des autres. Ainsi distingue-t-il sa propre personne; il la distingue comme différente de tous les êtres qui l’entourent, comme différente de tout ce qui existe. Il se distingue à la fois comme un être humain et comme un être différent de tous les autres humains, et naturellement, différent de tous les objets et de toutes les existences qui sont autour de lui sur la terre. Dans cette phase il dit que Dieu est loin, qu’Il est au Ciel, qu’Il vit d’une vie absolue, qu’Il est parfait en Lui-Même, qu’Il ne participe pas aux changements et aux accidents de la vie terrestre. Dieu est loin, absolu, unique, et lui, l’être humain, est un être très distinctement défini qui a son champ d’action, son champ de perception limités.

 

Il distingue ainsi tout ce qui l’entoure et il établit des distinctions très tranchées. Il distingue entre le bon et le mauvais, entre ce qui est juste et ce qui est injuste, il sépare ce qui est beau, ce qui est laid, ce qui est bas et ce qui est élevé. Il en arrive ainsi à des conceptions très nettes, très décidées sur toutes choses. Et plus ses idées sont nettes, plus sa conscience devient claire et vivante, plus il sent qu’il a bien compris les choses. Ses opinions sont alors très raisonnées et il va chercher à les exercer, à les éprouver. Selon son tempérament, il voudra les éprouver soit en les faisant partager par tout le monde, soit en rencontrant des gens d’opinion contraire ou différente de la sienne afin de combattre ou d’abattre ces opinions.

 

Et puis, s’il s’éveille davantage, un moment vient où le monde semble changer pour lui, où les choses qui étaient si différentes les unes des autres, si tranchées, si opposées, ne le semblent plus autant. Il voit dans chaque chose bonne un côté qui ne l’est pas, dans chaque chose et dans chaque être qu’il juge mauvais, il y a pourtant un aspect qui est bon. Il comprend que ce qui lui semble beau ne l’est pas si entièrement qu’il avait voulu le croire et que ce qui lui semble laid peut paraître beau, vu sous un autre jour, ou bien pour d’autres personnes qui le regardent. Il voit que ce qu’il avait estimé comme juste ne l’est pas toujours à un moment différent ou dans d’autres circonstances, et que ce dont il avait pensé: "C’est une action, c’est une pensée injuste", sous un autre jour devient une pensée juste ou une action juste. En d’autres termes, il voit que la lumière contient quelqu’ombre, et que l’ombre elle aussi, n’est qu’une lumière moins vive.

 

Ce n’est pas que sa conception de la bonté, de la beauté, de l’élévation, de la lumière et de la justice ait changé ou se soit amoindrie ou effacée en lui. Au contraire, sa conception est plus claire qu’elle ne l’était auparavant. Mais ce qu’il a maintenant devant les yeux ne correspond plus tout à fait aux idées qu’il s’était formées. Les deux pôles opposés semblent se rapprocher et c’est le moment où il passe de la distinction tranchée entre les choses et les êtres à une distinction plus nuancée, plus graduée. Il passe de la connaissance par catégories à une connaissance plus subtile, où il commence à percevoir en chaque chose l’esprit de son opposé, où il voit dans chaque être une nature qui est contraire à la nature qu’il avait montrée à ses yeux; c’est-à-dire qu’il passe de la vision de la dualité à un commencement de perception de l’unité. Cette dualité qui divisait le monde en bon et mauvais, en lumière et ombre, semble s’atténuer et il voit que tout paraît se fondre en une seule existence. Ce moment représente un tournant dans sa vie et arrivé à ce tournant, il est arrivé au commencement de la sagesse. A ce moment aussi, il se rend compte que Dieu n’est pas seulement dans le Ciel, très loin de lui, dans le calme, la paix, la vie absolue, mais il voit que l’action de Dieu s’étend aussi à ce qui se passe sur la terre et il voit que ce qui est sur la terre s’élève par moments à l’existence divine. Il commence à reconnaître une immanence divine dans les êtres qui sont sur cette terre et ce Dieu que d’abord il avait placé très loin de l’homme, qu’il avait séparé de toutes choses, de tous les hommes et de tous les êtres comme étant un Dieu Parfait dans le Ciel, est aussi un homme très imparfait et condamné à être pécheur sur la terre.

 

Ainsi ses conceptions changent. Il voit que Dieu agit à travers les hommes. Et si à cette phase il arrête sa pensée sur l’idée de l’unité, cette unité se manifeste à lui de plus en plus et il commence à voir en toutes choses un principe d’unité. Ainsi, il voit qu’il y a un esprit de sagesse qui se manifeste en toutes sortes d’actes et de pensées; un esprit de beauté se manifestant en tout ce qui lui semble beau; il reconnaît l’esprit de justice qui apparaît en tous les actes, en toutes les attitudes et en tous les sentiments justes. Ce n’est pas que ce soit pour lui une chose abstraite, une conception seulement intellectuelle. Il n’en est pas ainsi: il voit cet esprit à l’œuvre derrière les actes divers et il le voit dans les différentes vies, les différents êtres et les différentes entités. Et il parvient à la conscience que cet esprit de justice, cet esprit de beauté, cet esprit de bonté ont existé avant leur manifestation sur la terre. Et dans cette nouvelle compréhension, il s’élève à une conception plus une, plus totale.

 

Il se rend compte ensuite que la vie, dans ses impulsions, peut emprunter des aspects divers, c’est-à-dire qu’une même impulsion, un même sentiment, peut se manifester comme beauté ou comme son contraire. A ce moment, il arrive à une conception de Dieu plus vaste. Il voit que parce qu’une vie unique peut se manifester sous différents aspects et que ces différents aspects à leur tour se manifestent en différents êtres et à différents moments, l’Être de Dieu aussi se manifeste par ce que nous nommons l’esprit de différentes choses et de différents êtres. C’est la vie unique qui se manifeste de différentes façons. A partir de sa première conception d’un Dieu qui exclut tout et de sa conception de lui-même comme une entité nettement déterminée excluant tout ce qui n’appartient pas à sa propre existence, il arrive à une conception plus vaste qui embrasse tout, il est sur le chemin du développement d’une conscience plus vaste. A ce moment, il ne juge plus les choses, les événements et les êtres comme lors de la première phase de son existence. A cette première phase il jugeait beaucoup, tout était pour lui bon ou mauvais, il savait très bien dire à chaque moment si une action qui s’était passée sous ses yeux était bonne ou mauvaise, si elle était juste ou injuste. Il avait des idées très nettes. Maintenant il ne juge plus; ce n’est pas parce qu’il ne comprend pas, mais c’est parce qu’il comprend davantage, parce qu’il voit plus profondément dans les choses et les êtres. Il voit aussi que la différence entre le bon et le mauvais, le méchant et l’être qui est sage et bon n’est pas si grande qu’elle lui paraissait auparavant. Il voit que la différence entre l’homme et Dieu n’est pas un abîme qui les sépare ni une ligne bien tracée qui divise une partie de l’existence de l’autre , mais que tout est uni dans une même existence. Et comme il arrive que chacun dans ce monde, quand il voit qu’un autre ne semble pas observer ce que lui-même a remarqué, pense: "Il n’a pas été capable de voir cela, il n’a pas été capable de remarquer ce que j’ai remarqué", ainsi à cette phase il y a beaucoup de gens qui lui disent: "Ne voyez-vous pas, ne comprenez-vous pas? Il faut que je vous fasse voir, il faut que je vous ouvre les yeux". Ces personnes ne se rendent pas compte qu’il en a déjà été à ce point, mais que son point de vue s’est déplacé, qu’il est allé plus loin. Si ces personnes voient qu’un autre ne se tient pas à la place où elles se tiennent, elles supposent que cet autre n’y est pas encore arrivé; elles ne penseront pas que l’autre a dépassé ce point, qu’il est ailleurs. De sorte qu’à mesure qu’un être avance dans ce développement, il trouvera moins de compréhension chez les autres, mais ceux-ci penseront que ses idées sont très vagues, qu’il ne définit rien, qu’il ne se prononce pas. Il ne leur viendra pas à l’esprit que cette manière de ne pas se prononcer, de ne pas trancher les questions, est un développement de la sagesse. Mais s’il ne veut pas se prononcer ni juger les êtres et les choses, c’est qu’il les comprend d’autant mieux. Vous verrez toujours que si deux personnes parlent d’une action ou d’un être, celle qui connaît cette action ou cet être moins bien que l’autre sera plus prompte à exprimer son avis, tandis que l’autre, qui a pénétré l’essence de la situation ou des mobiles ayant amené cette action, ou ayant compris la nature de l’être dont il est question, ne pourra pas juger. Elle saura ce qu’il en est et comprendra, mais elle ne jugera pas. Seulement, par son attitude et par son action, elle fera valoir cette sagesse qu’elle aura acquise.

 

De cette façon, celui qui réalise la vie dans sa profondeur, qui est arrivé à une conscience complète, ce qui est le but de chacun d’entre nous et le but de la vie du monde entier, commence à ne plus parler beaucoup, parce qu’on ne peut pas parler beaucoup. On parle quand on n’a pas compris les choses, on parle pour se les rendre claires à soi-même, pour se les expliquer à soi-même et pour les exposer devant d’autres personnes. Quand on a compris, on ne parle plus. C’est pourquoi les âmes parfaites se voilent et disparaissent de devant les regards des hommes, tout comme la lune une fois qu’elle est pleine commence à disparaître.

 

Pour cette réalisation d’une conscience complète, il y a une condition essentielle. C’est que dès le début de la vie, une idée de perfection, une idée de vie complète, soit placée devant l’esprit de l’être qui débute dans son existence sur cette terre. Et cette idée est présentée en termes religieux comme l’idée de Dieu, comme l’idée de perfection absolue, de la vie unique. Ceux à qui l’on n’a pas donné cette idée dans leur petite enfance ont grand peine à se façonner cette idée plus tard, parce que c’est une condition première, c’est une impression qui est à la racine de toutes les idées et de toute la compréhension que l’on peut avoir de l’existence entière. Si cette partie a été omise, on y arrive difficilement ensuite, tandis que si elle est constamment devant les yeux de l’esprit, et ceci dès le commencement de la vie, l’être tend tout naturellement vers cette conception. Telle est l’importance de la religion dans la vie de l’individu. Ce n’est pas que la sanction de la religion soit absolument indispensable pour la morale comme on le dit parfois, cependant une morale qui s’appuie sur la religion possède sûrement une base beaucoup plus solide que celle que l’on donne au nom de quelque chose de pratique, au nom d’une vie mieux ordonnée, ou du bien général de l’humanité. Mais c’est pour amener l’être humain vers la perfection que cette idée est si nécessaire. Sinon c’est en vain que l’on cherche en quoi l’on pourrait trouver une perfection: est-ce sur la terre, dans la vie présente des hommes, dans un développement, une évolution sans bornes de la race humaine? Il y a des gens qui le croient, qui voudraient le croire, mais l’être humain ne peut jamais être parfait tant qu’il se conçoit comme un être individuel. C’est quand il perd son individualité qu’il devient parfait, par le fait même qu’il n’est qu’une parcelle de vie. Par conséquent, cette conception qui n’est d’abord qu’une idée, cette conception d’une Essence Parfaite, d’un Être Parfait, d’une Vie Parfaite qui est Dieu, est nécessaire à l’esprit humain pour le mener vers sa destinée. Ce n’est d’abord qu’une conception vague ou bien très personnelle. Mais si l’on vit toujours en présence de cette conception et si l’on s’absorbe en elle, alors elle prend vie et elle se manifeste, comme nous le lisons dans le Gayan:

"Faites de Dieu une réalité et Dieu fera de vous la Vérité".

 

C’est ainsi que les buts de la vie s’accomplissent, non seulement à travers l’individu, mais aussi à travers le monde entier, à travers la vie entière.

 

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Le Sentier Spirituel

  La perfection

 

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