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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


L’ASPIRATION

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Ce qui fait la valeur d’un être c’est son aspiration. Une vie sans aspiration est plate et ne peut pas mener à une grande action ni donner un grand résultat. Plus élevée est l’aspiration, plus élevée est la personne. Djalal-ud-Din-Roumi* dit que la valeur d’un homme dépend de son aspiration; non pas même de ce qu’il atteint, mais de ce à quoi il aspire. C’est cette aspiration qui l’aidera à devenir un être élevé.

 

La présence de l’aspiration se découvre dans une personnalité dès l’enfance. Un tout petit enfant pourra en montrer les indices: il aura déjà de grands projets, rêvera à de grandes choses, tandis qu’un autre enfant passera son temps au milieu de ses petites occupations sans songer à autre chose qu’à ce que la vie met devant lui; et parfois aussi, par la médiocrité de son entourage, cette aspiration qu’il peut avoir s’éteint.

 

Mais quelquefois l’aspiration s’éveille plus tard. Elle peut s’éveiller spontanément, ou bien la graine de l’aspiration peut être apportée dans une âme par un grand exemple, et parfois par une parole entendue et prise à cœur.

 

Il est facile d’avoir une aspiration d’un moment et puis de la laisser s’évanouir. Car l’aspiration est d’abord comme une rêverie, et il en va souvent d’elle comme des rêveries: des choses grandes et belles se présentent à notre esprit et nous les laissons se dissiper. Mais quand il s’agit de réaliser quelque chose de très élevé qui doit être un bienfait pour l’humanité, cela apporte des difficultés qui demandent des sacrifices continuels.

 

Quelle que soit l’aspiration, elle demande un sacrifice, mais si le cœur y est attaché, si toutes les forces y tendent, si on pense sans cesse au but auquel on aspire, ce ne sera pas un sacrifice, ce sera un pas vers ce but auquel on aspire ardemment. On parle de sacrifice quand on est attiré par deux choses, quand on donne de la valeur à deux choses qui ne peuvent coexister dans notre vie, par exemple servir la patrie et défendre ses aises.

 

J’ai entendu après la guerre de 1914-1918 une parole qui m’a beaucoup frappée. Alors que beaucoup de gens qui en étaient revenus avaient perdu tout enthousiasme, toute illusion, j’ai demandé à quelqu’un: "Vous avez dû faire de grands sacrifices" "Mais, répondit-il, ce n’était pas un sacrifice". Cela m’a beaucoup impressionnée. Quand le cœur est enflammé par l’aspiration qu’on a rêvée, rien ne semble un sacrifice.

 

Et puis la chose la plus importante est de garder cette flamme de l’aspiration contre ce qui, autour de nous, risque sans cesse de l’éteindre. Ceux qui ont réussi sont ceux qui ont toujours préservé cette flamme. Napoléon, sans don de fortune, sans personne d’influent pour l’aider dans ses débuts, a cependant réussi de grandes choses par la persistance de son aspiration. Et nous voyons souvent qu’au contraire, celui qui a tout et qui ne désire rien, ne devient rien.

 

Quelle est la différence entre l’aspiration et l’ambition? Nous parlons d’ambition pour une chose qui a un but tout mondain et personnel. Par exemple un enfant peut avoir l’ambition d’être premier en classe simplement pour la gloire d’être premier. Mais s’il aspire à être un grand écrivain ou à devenir capable de faire de grandes découvertes scientifiques, ce n’est pas la gloire qu’il recherche, mais quelque chose qui a une valeur en soi. Nous dirons alors que c’est plutôt une aspiration.

 

Un jour, un poète se promenant sur les quais du port de Londres y rencontra un homme coiffé d’un turban oriental et portant une grande barbe; c’était un homme très beau dont la démarche était pleine de dignité. Le poète fut frappé par sa physionomie et son maintien. Il le salua et, voyant en lui le représentant de l’Orient simple et fort, dit seulement: "Bouddha". L’oriental le salua profondément et lui répondit par un seul mot: "Napoléon". Certainement cet homme avait l’esprit très prompt et devait avoir réfléchi auparavant sur les différences d’esprit qui animent l’Orient et l’Occident pour avoir répondu par ce seul mot.

 

Cependant, cette appréciation du caractère occidental ne montre qu’une personne. Bouddha représente un idéal, l’idéal le plus élevé, l’aspiration la plus haute, le renoncement. Napoléon fut certainement un génie, un héros, un homme hors du commun, mais un tel homme ne peut pas représenter l’idéal de l’Occident parce que l’idéal ne se montre guère dans son oeuvre. L’humanité a vu un idéal dans celui qui a voulu lui apporter un grand bien, qui a sacrifié ce qu’il avait de plus cher. Cette idée d’un bienfait rendu à l’humanité montre un grand idéal. L’Antiquité la représente par Prométhée qui apporta aux hommes un don magnifique, symbolisé par le feu, et qui ayant à lutter contre la destinée a été vaincu, a passé par une grande souffrance.

 

Et même en Occident, quand on y considère la vie du Christ, c’est sous cet aspect qu’on le voit. C’est l’aspect d’un héros divin, qui, ayant à lutter dans sa vie, a été meurtri par la destinée qui a pris la forme des hommes de son temps.

 

L’aspiration demande des sacrifices par sa nature même. Mais le sacrifice est un accident dans la vie, il n’est pas à rechercher pour lui-même. Cependant, si l’on est entièrement dévoué à un idéal, si toutes les forces que l’on possède, si le cœur et l’âme tendent vers l’aspiration que l’on a, l’on sera toujours prêt à faire un sacrifice et il y en aura à chaque pas.

 

Parfois l’on pense que le sacrifice est une chose qui a de la valeur en elle-même. Sans doute, car il élève l’homme au-dessus de ce qu’il aime vers ce qu’il aime davantage. Mais pourquoi rechercher le sacrifice? La vie nous en demande à chaque moment.

 

oOo

 

Au moment où le cœur  ressent l’aspiration, on a l’impression que le cœur  a des ailes; et quand l’aspiration disparaît, le cœur  ne vole plus, il a comme les ailes brisées, l’homme alors ne regarde plus le ciel, c’est la terre qui est devant ses yeux.

 

Une aspiration élevée mène à une aspiration encore plus élevée, car c’est la tendance de l’homme de continuer dans la direction où il a commencé. On trouve l’exemple de ceci dans la vie de Hazrat Inayat Khan. Dans sa jeunesse, à peine sorti de l’enfance, il aspirait à restaurer la grandeur de sa famille. Cette famille avait connu très longtemps une vie très brillante et prospère du vivant du grand-père de Hazrat Inayat Khan, Maula Bakhsh, qui était un musicien de génie. Tous les poètes et les musiciens renommés de l’Inde venaient chez lui et l’on y entendait la plus belle musique, l’on y entretenait la culture la plus raffinée. A la mort de Maula Bakhsh, la famille s’était dispersée. Et c’était le rêve de Hazrat Inayat de la rétablir dans son premier éclat. Ensuite, son aspiration le porta à renouveler la gloire de la musique de l’Inde tombée en décadence. Il y avait toujours de grands musiciens, mais ceux qui auraient dû et pu les apprécier ne les appréciaient pas. Telle fut sa seconde aspiration. Et puis vint l’appel qu’il sentit toujours en lui depuis lors et qui fut prononcé par son Murshid quand il quitta cette terre: "Mon enfant, va dans le monde et harmonise l’Orient et l’Occident par la musique de ton âme, car tu as reçu le don qui correspond à ce but". Cela fut dit à un moment où Hazrat Inayat voulait se retirer du monde et son Murshid lui dit au contraire: "Va dans le monde". Il lui indiqua sa mission et cela devint l’aspiration de toute sa vie.

 

"Mais, demandera t on, maintenir et réaliser l’aspiration en dépit des oppositions et des difficultés, n’est-ce pas une chose très difficile?".

 

Le plus important est de la maintenir, de se dire chaque jour: Je désire telle chose. Comme une voiture a besoin pour avancer d’une force nouvelle à chaque instant, il faut une impulsion nouvelle chaque jour à notre désir et c’est cela qui demande le plus d’effort. Si l’on dépeint l’aspiration comme une plante, c’est notre pensée constante qui apportera l’eau nécessaire pour la faire croître, et la foi en cette aspiration sera la lumière du soleil qui fera le reste. Nous devons nous représenter que l’aspiration est favorisée par toutes les forces de l’univers, si seulement nous n’étouffons pas dans notre propre cœur cette étincelle de l’aspiration qui vient de l’âme divine. C’est de Dieu que nous sommes venus dans le monde, ainsi notre aspiration est l’aspiration de Dieu. Comme le dit le Gayan:

"Quelque soit le chemin que vous choisissiez,
le bon ou le mauvais,
sachez qu'il y a toujours à l'arrière plan
une main puissante pour vous aider à le suivre."

 

Et si nous pouvons devenir de plus en plus forts grâce aux forces non gaspillées en choses inutiles, tout nous aidera. Quand une force est en marche, toutes les autres s’y joignent comme dans une foule: quand un individu conduit, la foule suit.

 

L’aspiration ne peut pas être trop élevée. L’aspiration à de grandes choses dépend de l’aspiration que l’on a, de l’aspiration des hommes. Et pour cette raison il est très important de donner un encouragement aux enfants lorsqu’ils ont en vue quelque chose de beau, même si c’est au-delà de leurs forces, car il est très facile de décourager un être. Mais si au contraire on abrite la petite plante de son aspiration, elle croîtra. Dante, dans ses vers, dit à quel point est rare l’accomplissement de grandes actions dans le monde. Il attribue cela au manque d’aspiration chez les hommes. La cause en est, dit-il, à la faute des désirs chez les êtres humains. S’ils élevaient leurs désirs plus haut, ils atteindraient un but élevé et beau. C’est quand les petites préoccupations recouvrent la vision de l’âme que cette aspiration se perd. Sinon, parce qu’elle vient des plans les plus élevés, elle désire y retourner. Djalal-ud-Din-Roumi dit, dans les premiers vers de son Masnavi: "Chaque chose qui est séparée de son origine désire y retourner". Ainsi en est-il du désir de l’âme. C’est pourquoi chaque âme possède, par nature, l’aspiration et si l’âme est libérée du poids que le cœur parfois y met, elle voudra s’élever, planer dans la hauteur. Il s’agit donc de libérer le cœur du poids que souvent la vie pose sur lui. L’espérance, la foi, sont les grands supports de l’aspiration, ce sont les ailes de l’aspiration au moyen desquelles elle s’élève. Et si le cœur est purifié, si la chaleur du cœur  rend l’âme vivante, elle devient prête pour l’aspiration.

 

L’aspiration est une lumière qui s’irradie sur la vie entière. Et si on la maintient élevée, si on la garde toujours devant sa vision, toute la vie tendra vers un but élevé - ce qui fait la valeur de la vie entière.

 

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