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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE LANGAGE

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

C'est un sujet auquel on pourrait penser toute sa vie, et pour bien en parler, il faudrait y consacrer une importante série de conférences. Le langage est un sujet si vaste, et il est si intéressant à la fois dans son grand pouvoir et dans sa limitation, dans sa richesse et dans sa pauvreté! Pensez à tout ce qu'une parole peut accomplir et aussi à la limitation de son pouvoir, aux mille et mille choses que les mots ne peuvent jamais dire. Voyez les mots du langage qui expriment nos pensées, nos sentiments, nos impressions. C'est une merveille de voir comment des sons peuvent contenir des nuances aussi subtiles de sentiments et de pensées.

 

Et puis chaque être a son langage particulier. Même ceux qui parlent la même langue ont chacun leur propre langage: le choix de leurs mots diffère, chacun emploie les termes qui conviennent à son esprit, à sa nature.

 

Le langage peut nous enseigner beaucoup de choses. En étudiant la dérivation des mots, si nous remontons à leur origine, nous voyons que, pour la plupart, ces mots sont des images. Et cela nous apprend aussi que chaque pensée, dans sa profondeur, est une image. Ce qui nous explique pourquoi dans un autre langage, celui de nos rêves, nous voyons des images. Nous ne voyons pas des mots, nous voyons des images et ces images ont un sens, elles sont par elles-mêmes un langage. Si nous voyons aussi la composition des mots, dont on s'est servi pour donner des noms aux gens, nous voyons qu'ils se rapportent souvent à des directions, à des dimensions - le bas, le haut, la profondeur, la largeur, l'étendue - qui ont pris parfois le sens d'une métaphore. Il y en a beaucoup qui expriment une action, par exemple "comprendre": saisir tout ensemble. Tous les mots qui expriment un processus de l'intelligence ou de l'expérience sont des images ou montrent une direction d'action. Et il y a là un secret de la vie; car la direction y joue un rôle très important, le premier rôle même dans tout ce qui existe, y compris la forme et la couleur des objets. Tout dépend des vibrations, mais aussi de la direction qu'elles ont prise.

 

Ceci nous amène à comprendre les premiers sons. Le premier son est une vibration qui se développe en plusieurs directions différentes. Le premier son que les mystiques entendent dans leurs méditations est le son "Hou", le Nom qu'ils donnent à Dieu. Ce premier son est à la base de tous les mots. Avant qu'une voyelle ou une consonne ne soit prononcée, il y a ce son aspiré qui devient "hou". Puis, se développant, il devient "houa". Ainsi le nom de la toute première Mère de la création fut "Houwa", dont on a fait "Eva". Ce fut là la première manifestation du son.

 

Le son a ensuite certaines manifestations directes qui dérivent de la direction des vibrations et qui deviennent des syllabes, puis des mots. Ainsi chacun des éléments du langage que le mystique distingue possède un son musical, une consonne, une voyelle. C'est la connaissance de ces sons premiers qui donnait à ceux qui la possédait une compréhension de tout ce qui existe et un pouvoir sur tout. On lit en effet dans les anciennes traditions que connaître le nom d'un être signifie avoir le pouvoir sur cet être, être capable de l'appeler, de le commander. Cela ne veut pas dire qu'en prononçant le nom de Marie ou de Pierre, on va leur commander ceci ou cela. Cela veut dire que si l'on connaît la vie d'un être, on peut produire ces vibrations, on peut agir sur cet être. Ce n'est pas un produit de l'imagination si, dans les temps anciens, on disait de quelqu'un connaissant l'effet des vibrations qu'il pouvait produire le résultat qu'il désirait. On disait qu'un tel être, par exemple, s'asseyait devant un pont qu'il voulait faire crouler. Il émettait un certain son, et le pont croulait. En réalité, les mystiques n'emploient pas cette science pour détruire mais pour créer, harmoniser, produire tel ou tel effet.

 

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan disait que les premiers sons émis par un enfant quand il commence à parler ont une très grande importance, et qu'il ne faudrait pas les changer, vouloir lui faire dire un mot, le lui faire répéter. Le mieux au contraire, c'est d'écouter le son que l'enfant prononce. Le son révèle la nature de l'enfant et par là sa destinée. Ce son correspond à sa nature, à ce qui lui est intérieur, il est en accord avec sa destinée.

 

A part le langage formé par nos mots, chaque être, même s'il n'est pas doué de parole, possède un langage. Le corps a un langage, ce sont les mouvements. Le cœur a son langage: les larmes, le sourire, l'expression du regard, sa profondeur. L'âme a son langage qui s'exprime par le rayonnement des yeux et aussi par ce qui se dégage de la présence d'un être. Le langage des mouvements est un langage qui parle et qui est des plus clairs. Les principes de ce langage sont toujours les mêmes: par exemple, que ce soit un geste dirigé vers le ciel, un mouvement de la main en hauteur, il signifie élévation, un mouvement vers le bas, qui abaisse, signifie abaissement, un mouvement en étendue, largeur. Ceci est vrai pour tous les gestes, pour toutes les attitudes; et aussi pour les formes des êtres et des sons. C'est la même vie qui s'exprime d'une seule manière, mais qu'il faut ensuite interpréter de différentes façons selon les organes de l'être humain. Ainsi sa langue s'exprime d'une certaine façon, son cœur s'exprime d'une certaine façon, son âme s'exprime dans un langage particulier.

 

Et ce ne sont pas seulement les hommes, mais aussi les animaux, les oiseaux, qui ont leur langage par lequel ils communiquent les uns avec les autres. Même les fourmis ont quelque chose à se dire: elles ont pour cela un certain mouvement de leurs antennes; elles vont l'une vers l'autre, les croisent, et puis elles se quittent. Chez les oiseaux, le langage est plus clair. Au printemps, leur voix est différente de ce qu'elle est à l'automne. Ils ont des appels, des cris. Et ceci indique une autre partie du langage, le ton, qui est plus essentiel que la parole articulée. Dans les temps anciens, existait un langage modulé. Chez les Chinois encore, le mot n'a pas la même signification si on le prononce sur un ton grave ou sur un ton aigu. Ainsi dans les langues anciennes, le ton était une partie essentielle du langage qui comportait une certaine signification. Chaque ton a un effet particulier. L'effet d'une parole exprimée sur un certain ton peut dire tout autre chose que ce qu'on voudrait dire. Par exemple, quelqu'un qui est troublé par l'annonce d'un événement pourra bien dire: "Effectivement, je savais déjà cette chose", mais le ton trahira sa surprise, son étonnement. L'effet produit par le ton sera beaucoup plus grand que ne le faisaient les mots. Le mot le plus simple, venant du cœur, vaut des volumes, produit l'effet le plus beau. Et au contraire, les paroles les plus belles qui ne viennent pas du cœur n'ont pas d'effet. Involontairement, la voix change sous l'influence de l'émotion. La voix produit une impression beaucoup plus profonde que tout autre moyen d'expression.

 

L'âme, le cœur et l'esprit, ont ainsi un langage pour parler aux autres et pour communiquer à leur conscience ce qu'ils veulent communiquer. L'âme, le cœur et l'esprit, s'expriment quand nous sommes à l'état de veille et quand nous sommes endormis, et nous appelons ces expériences rêves ou visions. L'âme alors parle plus clairement qu'à l'état de veille. Au moment où il n'y a pas de pensée, où le cœur est tranquille, la voix de l'âme se fait entendre. Si la pensée, le cœur, sont calmes, le langage de l'âme est clair. Si le cœur est troublé, ressent une émotion, il y aura un trouble dans le langage de l'âme, quelque chose qui ne sera pas à sa place, d'interverti. Car l'effet de l'émotion est de renverser, de bouleverser, ce que nous sentons et que nous voyons. Si l'esprit est agité, en mouvement, au lieu d'être tranquille, les images passeront rapidement et ne laisseront pas percevoir ce que l'âme veut dire.

 

A l'état de veille, il arrive qu'avant d'entendre extérieurement les mots que va prononcer quelqu'un, nous les entendions intérieurement. C'est que l'âme a parlé. L'âme a la connaissance des choses avant que celles-ci n'arrivent sur cette terre. Quand il est rapporté dans la Bible que les Apôtres, après la Pentecôte, "parlaient toutes les langues", cela veut dire qu'ils comprenaient le langage de chaque âme et que leur esprit le traduisait dans leur propre langue.

 

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan dit que Dieu parle au prophète dans Son propre langage, et que le prophète l'interprète dans le langage des autres. Qu'est-ce que le langage divin? Est-ce seulement le prophète qui peut l'entendre? Chaque âme peut l'entendre, mais chaque âme doit réunir deux conditions: avoir une limpidité parfaite et être orientée vers l'Être Divin, vers Dieu. C'est notre préoccupation constante de nous-mêmes, de nos soucis, de nos tracas, de nos intérêts, qui empêche la limpidité de l'âme désirant percevoir ce qui vient du dedans. Et puis il faut l'orienter vers Dieu, avoir l'esprit constamment orienté, dirigé vers Dieu. Quand ces deux conditions seront remplies, la voix de l'âme sera entendue par l'être humain. Cette voix parle dans un langage très clair pour ceux qui l'entendent, mais ils sont obligés de l'interpréter dans le langage des autres. Et comme chaque interprétation est différente, et que dans une traduction bien des choses s'évaporent, ainsi la traduction la plus difficile est celle du langage de Dieu dans le langage humain. Et ce fut toujours la difficulté des prophètes de vouloir donner la traduction de l'Océan qui se déversait constamment dans leur cœur et dont ils n'ont pu traduire qu'une partie.

 

 Non seulement tous les êtres humains ont plusieurs langages, mais aussi les objets par leur forme, leur couleur, manifestent l'esprit qui est en eux. Les lieux ont leur langage, les maisons, les habitations, les villes. Tout ce qui s'y est passé, ce qu'on y a senti, voulu, ce à quoi l'on a aspiré, les joies, les tragédies, continuent à vibrer dans ces lieux où ils ont existé. Cela existe toujours et forme un langage que nous entendons parfois sans nous en rendre compte. Par l'épanouissement de l'âme, ce langage devient clair. Un être qui a ouvert les oreilles de son cœur entend ce langage, il peut l'interpréter, il sait ce que cela veut dire. Le poète soufi Sa'di a écrit: "Chaque feuille d'un arbre est une page de la vie". C'est un langage cosmique que possède chaque arbre, chaque ruisseau. La terre toute entière a aussi sa voix; elle parle à tous les êtres humains. Quand elle parle de guerre, ils font la guerre, quand elle parle de paix, la paix vient. Les planètes ont leur langage; leurs mouvements forment la base de tout ce que nous sentons, faisons.

 

La voix de la vie profonde, sans langage formulé, est le langage de Dieu. Celui qui l'entend n'écoute plus les autres voix, les petits mots. Il n'écoute que cette voix qui remplit tout son être.

 

Pour écouter, pour pouvoir entendre les différentes langues, il faut une attitude réceptive de notre esprit, de notre cœur. Bien souvent, nous n'entendons même pas ce que disent les autres: avant qu'ils aient fini, nous exprimons notre opinion; ou si nous ne les interrompons pas au milieu de leur phrase, nous avons intérieurement nos propres pensées. Il est rare de trouver un être qui écoute. Si on sait écouter les différents langages, ce qu'ils expriment, ce que dit la nature, une communication s'établira progressivement entre nous et les êtres vivants, et même avec les objets. A mesure que nous écouterons plus profondément, nous entendrons une voix, un langage qui vient de l'intérieur de la vie, nous pourrons entendre le langage des sphères célestes. Si le cœur de l'homme s'ouvre, il entendra la voix divine qui le remplira de sa sagesse divine, de sa divine connaissance.

 

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