L'HARMONIE Murshida Sharifa Lucy Goodenough |
L'harmonie avec soi-même est le premier pas à faire si l'on veut vivre en harmonie avec la vie, et c'est souvent ce pas que l'on oublie de faire. Si l'on sent un manque d'harmonie, on blâme les circonstances extérieures, on reproche à autrui d'être discordant, tandis que bien souvent c'est en soi-même que manque l'harmonie.
Ce qui apporte l'harmonie en soi-même, est l'accord entre l'âme, le cœur et le corps physique. Si cet accord n'est pas bon, l'harmonie ne peut exister. Mais si l'on obtient cet accord, la difficulté est de le maintenir, de faire durer cette harmonie.
La difficulté de maintenir cette harmonie consiste en ceci: l'âme a son désir, le cœur a ses désirs qui lui sont propres, et le corps a aussi ses désirs qui lui sont particuliers. L'âme, le cœur et le corps ne désirent pas la même chose au même moment.
Que désire l'âme? Elle désire la paix. Que désire l'esprit, le cœur? Il aime ce qui l'intéresse. Que désire le corps? Il désire ce qui lui fait sentir qu'il vit.
L'âme désire l'amour, le bonheur, la beauté; l'esprit désire comprendre, approfondir; le corps désire sentir sa vie, la satisfaction de ses besoins qui sont multiples. Et il arrive qu'au moment où l'âme souhaite la paix, l'esprit désire sa joie, un intérêt qui lui apporte la joie, et le corps réclame sa part. Et il arrive aussi que tandis que l'âme désire la beauté, l'esprit ne puisse la trouver et que le corps soit un obstacle.
L'esprit et le corps troublent constamment l'âme, et s'ils ne suivent pas la direction de l'âme, l'âme s'en trouve inquiétée, elle est malheureuse. Mais si l'âme dirige le corps et l'esprit, elle leur fait subir une discipline qui leur est parfois difficile à supporter et qui est cause de dysharmonie.
Et puis il y a cette part de nous-même que nous appelons notre moi, notre égo; et le moi de chacun n'est jamais tranquille; il réclame beaucoup d'attentions, il veut avoir la première place, il ne voudrait même pas l'ombre d'un autre posé à côté de lui. Plus on lui donne de satisfaction, plus il en réclame. Et ce moi, bien souvent, n'est pas content de lui-même. Surtout quand il constate en autrui les imperfections qu'il oublie de remarquer en lui-même, et dont son âme souffre pourtant.
Les animaux chez lesquels l'égo est très développé sont inquiets, malheureux. Le lion n'est jamais tranquille; un lion ne peut s'entendre avec un autre lion. Le chien n'aime pas qu'on l'approche quand il a un os devant lui, il gronde, il est prêt à aboyer; tandis que les moutons, dont l'égo est faible, restent en troupeaux. De même les petits insectes peuvent se passer sur le dos l'un de l'autre sans en être offensés.
La toute première harmonie a établir, est l'harmonie avec son propre moi. Et c'est une chose délicate, parce que d'un côté on établit cette harmonie en abaissant ce moi, en lui enlevant ses prétentions, et de l'autre côté c'est en le rendant fort, en l'élevant, que l'on établit l'harmonie, car un égo avili, un moi humilié, est une source d'inquiétude intérieure bien plus grande qu'un égo qui jouit de sa propre estime. Abaisser l'égo signifie amener en lui la douceur et la paix malgré les influences perturbantes de la vie, ce qui demande une grande force; ce qui demande aussi une grande foi dans le pouvoir d'harmonie de Dieu. Et c'est l'égo harmonisé en Dieu qui apporte l'harmonie au-dessus des petites querelles, et qui contribue de cette façon à l'embellissement du monde.
Pour arriver à cela, la première condition est de savoir s'en prendre à soi-même, de ne pas commencer par blâmer les autres; de voir en soi-même où est la difficulté; de savoir se dire: "Quelque chose manque en moi. Qu'est-ce? Ai-je bien rempli mon rôle? Peut-être la situation n'était-elle pas bien agréable, mais ai-je fait tout ce que je devais faire, ai-je bien rempli mon rôle?". C'est la première chose à se demander.
Et puis il faut essayer d'établir l'harmonie entre le corps, l'esprit et l'âme; il est bon de se demander quelles sont les nécessités de chacun de ces trois aspects de notre être, quelles sont leurs exigences justifiées, à quel moment convient-il de satisfaire les exigences de tel ou tel aspect de notre être?
Si quelqu'un ayant une grande attirance pour le monde physique décidait: "Je veux que mon âme domine, je vais jeûner dix jours par mois", ce serait une belle idée, il atteindrait peut-être à une certaine inspiration, mais il y a peu de chances que son désir de voir son âme gouverner se réalise. Il faut considérer son désir, et puis la possibilité d'atteindre son désir. Si l'on dit: "La meilleure chose qu'il y ait au monde est l'indifférence, est se détourner de tout, j'estime qu'il n'y a rien de plus beau que de tout quitter", il arrivera un moment où la vie du monde nous dira: "Je suis très belle, regarde tous les fils par lesquels je te tiens!". Et celui qui aura quitté trop tôt le monde, y reviendra infailliblement. Pir-o-Murshid dit que même pour un être qui ressent l'ennui du monde, il n'est pas bon de s'en détacher trop vite. C'est comme si un voyageur s'embarquait sur un navire, et au lieu de visiter le port qu'il désirait visiter, ne voulait plus rien voir.
Il est certain que dans notre vie, le corps réclame d'ordinaire une trop grande part. A cause de son activité, de son incapacité à se reposer, à rester tranquille, de son besoin de se faire remarquer, ses nerfs sont excités et l'immobilité est difficile. Le sommeil même n'est pas profond tant que le corps n'est pas discipliné. Et il y a encore l'activité de l'esprit, qui réclame une part plus grande qu'il ne serait nécessaire pour notre bonheur. Nous désirons être actifs, et cependant, que d'activité inutile! Parmi cent personnes rencontrées dans une grande ville, quatre vingt dix neuf diront: "J'ai trop à faire, il me faut m'occuper de mille choses dont je ne devrais pas me charger".
Il faut prendre un moment de tranquillité durant les vingt quatre heures, un temps où l'on n'agit pas, où l'on reste tranquille. Dans ce moment de recueillement on revient à soi-même, et après ce moment on sent: "Je suis moi-même". On ne l'était pas tant que l'on était attiré par mille choses. Se recréer par ce moment de tranquillité, est ce que souhaite l'âme qui se détourne, bien qu'à d'autres moments elle soit intéressée par les spectacles qui se déroulent devant elle: spectacles d'amitié et de désaccord, d'amour et de haine, d'entente et de querelles. Elle souhaite que tout cela finisse; elle souhaite rentrer dans la vie unie, elle désire se vêtir d'un manteau de silence. A ce moment, l'âme trouve un vrai repos et retrouve sa vraie vie; et quand elle retrouve sa vraie vie, c'est le bonheur, la paix. La paix, nous dit Hazrat Inayat, est le désir qui naît le dernier.
Ces trois aspects de notre vie, celui de la vie physique, celui de l'esprit, du coeur, et celui de l'âme, sont nécessaires pour une vie complète, pour laquelle nous sommes nés sur terre. Mais pour que la vie soit bien équilibrée, harmonieuse, il est nécessaire d'équilibrer ces trois aspects.
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