L'HARMONIE Murshida Sharifa Lucy Goodenough |
Il semble qu'il y ait opposition entre l'harmonie et le progrès. Il semble que l'harmonie soit souvent la cessation du progrès et que le progrès rompe une harmonie existante. Et dans une certaine mesure, le progrès rompt en effet une harmonie existante; le progrès ne se fait pas sans douleur et la douleur résulte de cette rupture d'harmonie. Cependant, le progrès qui ne va pas vers une plus grande harmonie n'est pas un vrai progrès.
Ceci nous enseigne comment il faut appliquer la loi de l'harmonie. On doit aller vers une harmonie plus grande et conserver dans son esprit l'image de cette plus grande harmonie à atteindre, tant que dure notre action pour y parvenir. C'est ainsi que l'harmonie se manifestera quand on aura atteint le but.
Faut-il toujours se sacrifier pour établir une harmonie, toujours sacrifier ses désirs, sa propre volonté? Il n'y aura pas d'harmonie si l'on fait un sacrifice que l'on ne désire pas faire, il n'y aura pas d'harmonie en nous-même. Si nous avons été plus loin que nous ne le désirions dans la voie du sacrifice, nous éprouverons un trouble, une déception au lieu d'éprouver de l'apaisement et de la joie.
Également, si nous nous sacrifions à quelque chose qui n'en vaut pas la peine, ce sacrifice amènera la déception. Ce cas est très fréquent dans la vie; il y a des êtres bons, ayant de bonnes tendances, des tendances très élevées, qui se sacrifient constamment à quelque chose qu'eux-mêmes ne trouvent ni important, ni beau. C'est par une sorte de mirage qu'ils agissent ainsi. Quand le mirage disparaît, ils s'aperçoivent que cela n'en valait pas la peine. Cela signifie faire mourir ce qui a le plus de valeur pour faire vivre ce qui en a le moins, c'est comme arracher de belles fleurs dans un jardin pour faire croître des herbes folles.
Ces deux questions sont reliées l'une à l'autre. Ce n'est pas l'harmonie momentanée qui est avant tout désirable, c'est l'harmonie de la fin, au point culminant de l'action. Si quelqu'un disait: "Ne parlez pas de telle question, cela troublerait l'harmonie", et que l'on doive le faire pour arriver à une harmonie finale, on le devrait, même au risque de froisser momentanément.
Il y a aussi des êtres qui recherchent l'harmonie par une sorte de faiblesse; ils n'ont pas l'énergie de faire face à une opposition, de déranger une situation existante et de supporter le sacrifice de ce dérangement. Cette faiblesse peut durer toute une vie et ne sert à rien. Ils cèdent par désir d'harmonie, mais surtout par faiblesse, et ainsi ils ne suivent pas le chemin qu'ils désiraient suivre.
On peut se demander: "Le progrès est-il toujours harmonie?". Pas toujours. Au moment où il se fait dans un être jeune, en plein développement de ses forces physiques, le progrès n'est pas toujours harmonieux. Un être jeune, qui grandit, arrive à un moment où il manque d'harmonie; mais quand sa nature physique aura trouvé son équilibre, il pourra retrouver son harmonie. Et ainsi en est-il également pour l'action. Pendant l'action, il est fréquent que l'on traverse une phase de difficultés durant laquelle il n'y a pas d'harmonie; mais il ne faut pas craindre cette rupture momentanée d'harmonie. Cela ne veut pas dire que lorsque nous désirons atteindre un certain but, il suffise d'agir de façon à nous contenter nous-même au risque de contrarier les autres; il faut agir avec beauté; c'est le progrès soucieux de l'harmonie qui donne le plus de contentement.
Mais le progrès dans tous les cas est le but de la vie. Et tout ce qui procède de l'amour aura l'harmonie et la beauté, tandis qu'un autre chemin amènera la discorde.
On pourrait aussi demander pourquoi tous les progrès n'aboutissent-ils pas de façon automatique à des conditions plus harmonieuses? C'est que les causes de ces progrès, en d'autres termes les mobiles qui ont poussé un être ou une collectivité vers ces progrès, n'étaient pas eux-mêmes en harmonie avec les besoins réels. Le progrès que l'on avait en vue se montre alors à la fin, superficiel, illusoire. Dans ce cas, pour arriver à une fin réellement harmonieuse, il faudrait avoir le courage de rompre avec ces mobiles, ces désirs qui ont amené cette harmonie illusoire.
Et comment peut-on savoir si un but est désirable, beau, s'il finira par donner satisfaction? On le saura par son propre sentiment. Il n'y a pas de précepte pour nous guider en cette matière; il n'existe pas d'analyse qui puisse trouver ce qui est désirable; il n'y a pas de conseil à donner, sauf ce qui éveille en nous la conscience de notre propre sentiment qui nous dit à chaque moment ce qui est désirable, beau, harmonieux. Si notre sentiment nous le dit à chaque moment, pourquoi y a-t-il tant de moments dans la vie où nous ne savons pas ce qui est harmonieux, désirable? C'est que la perturbation de notre esprit nous rend insensible à notre sentiment profond, à la voix de notre cœur. Mais si nous pouvons émouvoir notre cœur si profondément que sa voix se fasse entendre, si nous pouvons faire taire les émotions extérieures qui jettent le trouble sur notre esprit, nous entendrons la voix de notre cœur et il trouvera satisfaction. C'est à ce moment que toute confusion cesse, que nous voyons clair, que nous trouvons notre but. Pour cela, ce qui est le plus nécessaire, est de maintenir l'accord autour de notre être, de ne pas admettre que les secousses de la vie nous ébranlent, de ne pas permettre à notre nature de trop s'exalter dans la joie, de se laisser trop abattre dans la détresse. C'est avec tous les sentiments naturels du cœur humain que nous devons maintenir notre stabilité intérieure, qui nous permettra d'avoir la lucidité du sentiment, la claire perception de ce que nous sentons, de ce que nous désirons et de ce que doit être notre chemin.
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