L’Esprit-Guide Murshida Sharifa Lucy Goodenough |
Souvent au début de leurs réunions, les disciples de Pîr-o-Murshid Hazrat Inayat Khan prononcent l’invocation suivante :
« Vers l’Unique, la Perfection d’Amour, d’Harmonie
et de Beauté, le Seul Etre,
Dans la dernière partie de cette invocation : « Les âmes illuminées qui forment l’Incorporation du Maître », il y a l’idée très profonde de l’Esprit-Guide auquel les Soufis ont donné le nom de Nour Zahour et dont Pîr-o-Murshid Hazrat Inayat Khan a souvent parlé. Il donne à ce sujet la similitude suivante : lorsqu’un fermier fait la ronde au crépuscule dans sa ferme, il allume une lanterne pour guider ses pas. L’Esprit-Divin fit de même lorsqu’Il se trouva submergé dans l’obscurité de la manifestation : Il alluma une lumière : Nour Zahour, pour guider Ses pas. Nous savons tous que la matière, en comparaison de l’esprit, ne manifeste que très peu d’intelligence. On a même longtemps nié l’intelligence de la matière et l’on est allé si loin dans cette conception, que l’on a nié jusqu’à l’intelligence des animaux. Maintenant par l’observation alliée à la déduction, l’on peut découvrir que la matière est intelligente parce qu’elle montre de l’attraction et de la répulsion qui sont les preuves de son intelligence. Mais à quel point ces manifestations sont peu de chose en comparaison de l’intelligence qui se révèle par l’esprit ! Nous n’ignorons pas que la nature physique semble manifester une intelligence si infime que beaucoup d’hommes de science l’en ont cru dépourvue au début de la manifestation ; ils pensent que l’intelligence s’est développée progressivement, produite par la matière et qu’il n’y a pas eu d’intelligence antérieure à cette matière. Les mystiques ont toujours vu la question sous un autre jour ; ils ont dit que l’intelligence existait avant la création, qu’elle s’est d’abord endormie dans la matière et que les ténèbres de la matière l’ont recouverte. A ce moment, l’Etre Divin alluma une lumière pour guider Son avance à travers la matière. C’est cette lumière qui porte en Orient le nom de Nour Zahour dont le sens est : « Ce qui rend les choses évidentes ». Ce que nous appelons l’Esprit-Guide possède ce même sens et c’est cette lumière qui a été manifestée chez l’homme à toutes les époques et qui se manifeste même dans la création inférieure. Ceux qui reçurent pleine mesure de cette lumière furent des êtres que nous reconnaissons comme “les Ames Illuminées” et qui ont existé en tous temps. Il est vrai que chaque âme est un rayon de lumière, mais ces rayons ne sont pas des réalités séparées les unes des autres ; l’âme est une lumière qui n’a pas de volume déterminé : à un moment elle a davantage de lumière, à un autre elle en a moins. L’âme n’a pas une expansion précise autour de laquelle on pourrait tracer une ligne qui la limite. Quelquefois elle est plus vaste, quelquefois elle se rétrécit, comme nous pouvons l’observer dans les rayons d’une source quelconque de lumière physique. Ce qui revient à dire que les âmes, en réalité, ne sont pas des entités séparées, mais qu’elles sont une seule et même lumière. Lorsque le mystique avance sur le chemin spirituel il entre d’abord dans la profondeur de la vie ; ensuite son âme s’épanouit et cette extension se fait selon un cercle de plus en plus vaste de lumière qui est en réalité son âme. Pour ceux qui ont atteint une pleine illumination, leur âme a toute la lumière qui existe, comme il est dit dans ce vers du poème “Rassoul” tiré du Vadan :
« Tu es la lumière de l’Univers entier ».
L’âme du Prophète était cette lumière, comme elle était l’âme du Christ et celle de toutes les âmes qui ont atteint la perfection de l’illumination. Ce sont ces âmes « qui forment l’incorporation du Maître, l’Esprit-Guide », ce qui ne veut pas dire qu’elles soient la personnification du Guide Divin, ce qui serait une interprétation erronée du Guide Divin. Au moment où, pour la première fois, Pîr-o-Murshid Hazrat Inayat Khan m’avait dicté ces mots qui paraissent en tête de tous ses écrits (“Vers l’Unique, etc.”) je lui en avais demandé le sens exact, et si c’était la personnification de l’Esprit-Guide. « Non - avait-il répondu - ni l’incarnation sur terre de la Lumière Divine qui est au ciel, mais toutes les âmes ensemble sont l’incorporation de cette Lumière, l’Esprit-Guide que l’on appelle aussi Rassoul ». Dans le Q'ran il est dit que la bénédiction divine est accordée à tous ceux qui acceptent les Messagers de Dieu et ne font pas de distinction entr’eux. C’est la preuve du Message de l’Unité, et chacun de ceux qui ont su ce qu’est vraiment une religion, a su que les Ames Illuminées ont une même et seule Essence, sont une seule et même Lumière. Un jour, au cours de ses voyages, Pîr-o-Murshid Hazrat Inayat Khan rencontra au Pays de Galles un de ces êtres très développés spirituellement et très exaltés dans ce sens que l’on appelle en Orient celui des madzub, de ces êtres qui sont possédés par Dieu au point d’avoir perdu conscience de leur personnalité. En écrivant à Pîr-o-Murshid Hazrat Inayat Khan, cet être très pur, très bon, lui parlait de son esprit comme étant l’Esprit du Christ. « Il en a le droit », disait Pîr-o-Murshid Hazrat Inayat Khan, parce qu’il s’agissait là de sa réalisation et non pas d’une folie à forme religieuse. Mais si cet être s’était rendu compte de sa situation dans le monde et de la mentalité des êtres humains qui l’entouraient, il aurait eu beaucoup plus de retenue dans ce qu’il disait. Tous les mystiques ont dû exercer une grande surveillance sur eux-mêmes pour ne pas trahir leur réalisation parce que le monde n’aurait jamais pu - et d’ailleurs ne peut jamais - la comprendre, pas plus à une époque reculée qu’aujourd’hui où il arrive encore parfois que sur la demande d’un membre de leur famille (qui se trouve être de bonne foi puisqu’il ne les comprend pas) on les conduise dans un asile d’aliénés. Dans les temps anciens, si les mystiques laissaient échapper des paroles imprudentes sur la Lumière Divine qu’ils reflétaient, on les mettait à mort, car on croyait que la Lumière Divine n’était que dans le Ciel et que Dieu était séparé de l’homme. Il a toujours été extrêmement difficile pour les mystiques de se retenir de prononcer une parole que les autres ne comprennent pas. Hafiz, le grand poète persan dit à ce sujet : « Quand mon cœur éclate entre mes mains il ne peut s’empêcher de prononcer des paroles, de ces paroles qui viennent sans qu’on le veuille ». Puis il dit encore : « Si les hommes pieux entendaient mes paroles, ils se mettraient à danser ». Il se livre dans ses vers à un débordement d’images et finit par demander à son Pir (son maître spirituel), lorsqu’il prendra connaissance de ses confidences, de lui pardonner ces excès qui ne seraient pas de son fait, mais seulement des paroles dues à son inspiration et sorties de sa bouche sans qu’il puisse les retenir. Quiconque s’en remettant à la Lumière Divine pour le guider et reconnaissant un seul des Maîtres qui sont cette Lumière Divine, les reconnaîtrait tous. Pourtant s’il ne le fait pas c’est que son esprit est borné et que lui-même dit : “Notre Seigneur, Notre Sauveur”. Si l’on voulait bien oublier le mot notre et dire Le Sauveur, ce serait mieux. Un Soufi parlait un jour des grands Maîtres avec une personne très orthodoxe et il parla du Christ : « Vous parlez du Christ ! DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST !! - protesta cette dame - mais je suis là pour en parler ». Elle ne pouvait permettre que cet homme qui n’était pas né dans la religion chrétienne puisse parler de lui. C’est un sentiment commun à beaucoup de gens qui se croient très religieux et dévoués à leur Maître ; mais le Maître, quel qu’il soit, n’a-t-il pas toujours dit : « Oubliez ma personne, pensez à Dieu, réalisez Dieu? » Pourquoi cette lumière de l’Esprit-Guide est-elle aussi appelée dans les Ecritures Alpha et Omega? Parce qu’elle fût dans le commencement même de la manifestation, avant que rien de ce que nous nommons mental ne se fût manifesté, avant que la vie physique n’existât et parce que quand la manifestation eût passé à travers tous les processus que nous appelons les divers plans d’existence, de nouveau se manifesta cette Intelligence dans les Ames Illuminées qui sont le Commencement et l’Aboutissement, Alpha et Omega, l’Esprit Divin.
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