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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


LE BONHEUR ET LE SUCCÈS

Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Le bonheur et le succès, voilà deux choses que nous souhaitons à nos amis, aux membres de notre famille, à tous ceux auxquels nous voulons du bien.

Seulement, si on dit à un être: «Le but de votre vie est le bonheur, le succès», souvent il répondra: «C'est très bien, mais est-ce là un but digne d'un être humain ayant une aspiration spirituelle?». Bien des esprits penseront en effet: «Le bonheur, le succès, sont-ce là des buts spirituels? Le bonheur, oui peut-être, mais le succès? Peut-on parler de succès quand il s'agit d'une vie spirituelle? Le malheur, les échecs, paraissent tellement plus fréquents qu'ils doivent y être souhaitables».

C'est que nous comprenons mal le bonheur, et en quoi consiste le succès. Si un homme dit: «Je ne fais pas ceci pour mon propre bonheur, je le fais pour une idée plus élevée; je ne me soucie pas de mon bonheur personnel, je cherche quelque chose de plus important», c'est que, par le bonheur, il entend le plaisir, les joies.

Le bonheur est autre chose que cela; le plaisir n'est qu'une petite ombre du bonheur, un reflet qui dure l'espace d'un moment.

On dira, en parlant des grands êtres: «Quelle a été leur vie? Ont-ils été heureux?». Il semble en effet qu'ils aient été très malheureux. Pourtant, ils ont désiré être heureux; le bonheur était leur élément. Mais pour atteindre ce bonheur, ils ont dû passer par beaucoup de souffrances. Le Christ n'a jamais désiré la souffrance, mais les souffrances sont venues sur son âme. Les saints n'ont jamais aspiré à la souffrance, mais ils cherchaient un bonheur qui les faisait passer par la souffrance. Pour donner le bonheur aux autres, pour faire ce qui était le bonheur de son âme, l'âme du saint a dû passer par beaucoup de souffrances que lui infligèrent les autres.

Certaines personnes pensent que les saints ne souffrent pas, que ce qui fait souffrir un être ordinaire ne les touche pas. Quand on dit que Jeanne d'Arc souffrait terriblement à la perspective de paraître devant le tribunal, d'être jugée, condamnée, elles en sont tout étonnées; elles se figurent qu'une âme sainte se réjouit de ses peines, qu'elle ne peut pas en souffrir. C'est une erreur et nous pouvons le voir par un très petit exemple: «Il faut souffrir pour être belle», dit-on. Même pour porter une belle toilette, même pour avoir une belle coiffure, un uniforme imposant, il faut souffrir. L'enfant, qui est tout naturel, n'aime pas qu'on lui mette un habit qui l'oblige à se tenir droit; mais, à un certain âge, on aime paraître beau devant les autres, avoir un beau vêtement, en imposer aux autres, ne fût-ce que par un bel uniforme; celui qui le porte en souffre un peu, mais il est plus heureux que s'il ne souffrait pas. C'est une petite image de ce qui se passe dans le monde extérieur.

Pour goûter un bonheur plus intérieur, il faut sacrifier le confort extérieur: pour aller au théâtre, il faut sacrifier son sommeil.

Quand il s'agit des souffrances du cœur, il semble qu'elles n'aient pas de compensation: et cependant, s'il y a un bonheur qui prospère dans la souffrance, c'est le bonheur du coeur. Ce bonheur consiste en ce que le cœur se sent vivant, même au milieu du feu, même en passant au milieu du désert, en passant par des tourments; il trouve son bonheur en cela.

Pour ce qui est du bonheur de l'âme, il est tout différent de celui du corps. Le corps voudrait être bien à l'aise, bien nourri, avoir beaucoup de confort; l'âme veut que l'on ne l'étouffe pas. Souvent, ce qui forme le bonheur du corps, de l'esprit même, fait souffrir l'âme, parce qu'elle étouffe; parce qu'elle ne peut jamais entrer dans la vie qui lui est propre s'il lui faut perpétuellement sentir une limitation quand elle voudrait être libérée de tout.

Parfois, une chose étrange arrive aux êtres humains: être heureux peut-être pour eux le signe précurseur d'un grand malheur; à un moment, ils peuvent se trouver dans un état de très grande joie, et puis leur arrive une nouvelle qui leur est l'assurance d'un très grand chagrin. L'explication de ce sentiment est que l'âme pressent la souffrance; elle s'en retire, ne veut pas être touchée, et elle entre dans une sphère où elle est parfaitement heureuse. Ceci nous montre que l'âme est heureuse quand rien ne la touche, quand elle est consciente d'elle-même.

Et quant au succès, l'homme n'est pas né pour échouer, il est né pour un grand destin et pour accomplir sa destinée. Et si on trouve que le succès est une chose pernicieuse ou une chose qui regarde ce monde seulement, il n'en est pas ainsi. Réussir est le but de chaque vie; un échec veut dire que le but n'est pas atteint. Ce n'est pas Dieu qui fait subir des échecs aux êtres pour les éprouver; au contraire, leur réussite représente le succès de Dieu Lui-même. Mais est-il possible de réussir sur la terre, de réussir dans des occupations terrestres, des aspirations qui ne regardent que ce monde, et en même temps d'atteindre un but spirituel?

Il y a une opposition entre les deux. On peut mener une vie spirituelle et une vie dans ce monde, en y ayant les vues que ce monde nous offre; seulement, on ne peut pas réussir deux choses opposées. Si on passe à travers la vie en ayant le but d'arriver à la plénitude de la vie, chaque réussite est un pas, et amènera une réussite plus grande encore. Mais si on donne une grande attention à ce qui a une importance moindre dans la vie, on néglige forcément une partie de son être. Peut-être celui qui la néglige ne la connaît-il pas, ou dira-t-il: «Je la connais si peu que je ne peux lui donner une très grande importance; tandis que je connais les buts de chaque jour, c'est pourquoi je me concentre sur ces buts clairs et simples devant moi». Ce n'est pourtant que la plus petite partie de sa vie, la plus grande partie tend vers autre chose. Si l'homme n'était occupé que de choses concrètes, il deviendrait fou, il en mourrait. La plus grande partie de son être plonge dans la vie invisible dont il est à demi-conscient; et s'il donne à l'ensemble de son être une attention qui n'est pas concentrée seulement sur une certaine partie de sa vie, mais sur sa vie toute entière, il est certain que cet être ira vers le succès qui consiste à vivre pleinement sa vie.

Pourquoi les grands êtres finissent-ils par le renoncement? C'est que pour atteindre un but supérieur, ils doivent renoncer à d'autres buts. Pourquoi semble-t-il parfois que de très grands êtres, qui ont fait une impression durable sur les hommes pendant des milliers d'années, pourquoi semble-t-il qu'ils aient échoué dans la vie? Quand un homme vise un but élevé, les autres s'unissent pour l'empêcher de toucher ce but, surtout si cet homme n'agit pas seulement pour lui-même, mais pour les autres.

Les hommes ignorants d'eux-mêmes, de leur vrai destin, verront en lui quelqu'un qui voudrait les mener là où ils ne veulent pas aller, ou bien ils le prendront pour un être étrange; ils voudront le mettre de côté, le faire souffrir. Et cette opposition semble être un échec pour ceux qui vivent la vie élevée. Telle fut la vie de Jésus-Christ qui semblait n'avoir rien atteint dans la vie extérieure, mais qui atteignit son but en ayant fait tous les sacrifices. C'est l'opposition de tous ceux qui l'entouraient qui l'empêchait d'atteindre ce but sans sacrifice.

Qu'il s'agisse de réussir extérieurement ou intérieurement, réussir une fois donne la promesse de réussir encore. C'est pourquoi le succès et le bonheur sont toujours, en toute chose, ce qu'il y a de plus désirable.

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Le Bonheur

 

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