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Murshida Sharifa Lucy Goodenough


La réalisation et la réalité
Murshida Sharifa Lucy Goodenough


 

Quand on considère les choses, il y a deux points de vue qui se font jour: ou bien de dire qu'elles sont réelles, ou bien de dire qu'elles sont fausses, irréelles, imaginaires.

 

Il semble que l'on fasse ainsi une séparation nette entre ce qui est réel et ce que nous appelons imaginaire. Pourtant le premier pas pour qu'une chose devienne réelle dans notre vie est qu'elle existe dans l'imagination. Le premier pas est de l'imaginer, de l'imaginer pendant longtemps, en y mettant un effort de volonté, ce qui rendra cette choses vivante.

 

Parmi les gens, il y en a peu qui comprennent de la même façon ce sujet du réel et de l'irréel. Nous en observons qui veulent avoir devant eux quelque chose de matériellement réel, qu'ils puissent peser, mesurer, voir de leurs yeux exactement comme d'autres le verront; alors seulement cette chose sera réelle pour eux. Pour d'autres, tous les objets matériels semblent changer beaucoup plus vite que leurs propres pensées, leurs sentiments ne changent; de sorte qu'ils se demandent si les objets sont plus réels que leurs sentiments, leurs idées. (Par exemple: j'ai cette conférence entre les mains et je la lis. Puis j'ai terminé et je vais faire autre chose: l'objet matériel, le cahier, n'est plus là et d'autres m'environnent. Mais le souvenir et la pensée de ce que je lisais persistent dans mon esprit. Dans ce sens les objets matériels changent plus vite que nos pensées. Ou bien ce Cahier peut disparaître mais je puis m'en souvenir, etc. (note du transcripteur))

 

Pourtant nos sentiments, nos idées, changent aussi. Mais si nous regardons plus profondément en nous, nous sentons, nous constatons, qu'il y a là quelque chose qui semble plus constant que nos pensées, nos sentiments, lesquels commencent à exister d'une certaine façon, puis se modifient. Et si nous persistons à approfondir notre recherche, nous arrivons enfin en nous à quelque chose de réel.

 

Pourquoi alors dans la vie courante confondons-nous réel avec irréel? Pourquoi appelons-nous irréel ce qui a davantage de réalité que ce que nous appelons "réel"? Car il n'en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où dans la civilisation, dans l'art, dans la pensée, l'on considérait comme réel ce qui persiste, la vie, la vérité. Et les autres choses qui passent devant nos yeux, on les considérait comme irréelles par rapport à la vraie réalité. Quand nous réfléchissons à cette différence de conception, nous voyons qu'elle s'est marquée d'abord dans les noms donnés aux différents aspects de la vie. En Europe, il y a quelques siècles, on a commencé d'appeler "réel" le concret, ce que l'on peut peser, mesurer, et "irréel" ce que l'on sent exister mais que l'on ne peut ni peser ni mesurer. Par là s'est marquée une orientation de l'esprit différente de ce qu'elle était auparavant. Par là, on a fait le premier pas vers une conception matérialiste de la vie qui, depuis, n'a fait qu'augmenter.

 

De même confond-t-on souvent l'idéal et l'imaginaire. La chose que nous appelons imaginaire ne l'est pas toujours avec le sens que nous donnons d'habitude à ce mot, elle n'est jamais irréelle, elle possède une réalité; a mesure que l'imagination donne corps à cette chose, elle crée de la vie en elle, de sorte qu'un être sent comme réel ce qu'il a créé. L'on raconte que le romancier anglais Dickens, vers le milieu de sa vie, sentait autour de lui les personnages créés par sa propre imagination, il sentait leur vie dans l'espace qui l'entourait et vers la fin de sa vie c'est à eux qu'il parlait et non aux gens.

 

Toute création de l'imagination vit et tout ce que l'on ne maintient pas par l'imagination cesse d'exister; même les choses concrètes qui cessent d'être vues et entendues, au bout d'un certain temps finissent par être détruites et par disparaître. Cela montre que si nous avons un objet en vue, il faut l'imaginer; si nous voulons qu'une chose ne soit pas, il faut s'imaginer qu'elle n'est pas et elle cessera d'exister pour nous et pour les autres. C'est là le secret du pardon. Pardonner c'est imaginer qu'une chose n'est pas. Le pardon c'est l'oubli, l'effort de la volonté pour imaginer qu'une injure, un acte, une parole et la douleur que l'on en a conçue n'existent pas. C'est ce que désire celui qui demande pardon d'une faute ou d'une erreur à Dieu et aux hommes. Il y en a qui pensent: "Si cela avait pu ne jamais arriver! Mais c'est fait: Dieu me pardonnera mais il ne peut enlever ce qui a existé", ceux-là ne savent pas que par Son pardon, Dieu peut changer une chose, un événement qui paraît alors différent; et différent non pas à un seul, mais à tous. Et c'est le signe que le pardon vient de Dieu quand la chose est ainsi oubliée, qu'elle a ainsi changé.

 

Tout ce qui a lieu dans notre vie produit un effet différent selon que nous le rendons réel ou non. Les événements les plus importants peuvent se passer, si un être qui y est associé ne les sent pas, pour cet être ils seront irréels. Par exemple un petit enfant pourra voir des balles qu'on tire, des incendies qui s'allument et tout cela autour de lui ne sera que jouet, feu d'artifice parce qu'il n'a jamais réalisé ce que peut être la guerre. On peut également faire l'expérience contraire: si un être imagine fortement, constamment une certaine chose, tous les événement autour de lui deviendront pâles et insignifiants à côté de ce que son imagination aura mis devant lui en couleurs vives.

 

Il y a aussi celui qui dit: "Oui, mes pensées, mes sentiments, ont une grande importance; j'admets que j'y attache une plus grande importance qu'aux choses concrètes qui m'entourent. Cependant il m'arrive ceci: que je suis endormi, que je rêve et qu'on vient me réveiller; alors mon rêve pâlit et le reste devient plus réel. Cela ne prouve-t-il pas que mes pensées, mes sentiments sont moins réels que les choses concrètes?". Si l'on entend un son fin, ténu, et qu'un son fort, violent se fasse entendre, le son délicat ne se perçoit plus, l'esprit ne pourra s'y attacher. Pourtant il a autant d'existence que le son violent. Si l'on entend chanter d'une voix très douce, puis une trompette, l'on entendra la trompette et l'on aura peine à suivre le chant qui existe pourtant. De même en est-il des expériences physiques par comparaison avec les expériences intérieures: elles sont plus concrètes, mais non pas plus réelles.

 

Souvent l'on dit que les pensées et les conceptions du mystique sont vagues, alors que nous souhaitons quelque chose de défini, de réel. Mais en réalité elles sont subtiles, fines, délicates. Une goutte de pluie est plus tangible qu'un nuage, un nuage que l'électricité, mais laquelle de ces choses est la plus vivante? Celle qui est la moins tangible. Si l'on examine la réalité de tout ce que nous éprouvons, l'on sent d'abord combien les expériences physiques semblent réelles; et puis au bout d'un temps l'on se rend compte que plus réelles sont les expériences intérieures, plus durables sont les pensées et les sentiments.

 

 Cependant si l'on persiste dans cette recherche, l'on s'aperçoit que les pensées et les sentiments changent aussi, qu'ils viennent et s'en vont: un sentiment vient, s'épanouit, disparaît. Et enfin l'on sent: "S'il y a quelque chose qui vit réellement, c'est "moi", c'est "mon existence"; et quand on approfondi ce sentiment, l'on voit que c'est la seule chose vivante et réelle; si l'on examine en quoi consiste ce sentiment, l'on arrive à percevoir quelque chose qui sent: "Je vis" et cette chose en nous qui sent ainsi est la réalité des choses; l'on sent: "Je vis" et c'est la Vie elle-même.

 

La pleine conscience que notre esprit peut saisir est la réalisation de la Vérité de la Vie, qui fait que l'on se dit: "Tout ce qui est passager est illusion. Si je reste, par une partie de moi-même, semblable à ce que cette illusion touche, je suis néanmoins la Réalité".

 

Qu'on appelle cette Réalité Vie, Dieu, Existence, Conscience, Volonté ou Amour n'importe pas. Tous ces noms Lui appartiennent et la réalisation de cette seule Réalité fait vivre ce qui est réel dans l'être humain.

 

Si l'on veut se faire une conception juste de ce que sont en réalité les expériences par lesquelles nous passons, celles que chacun connaît dans la vie: le rêve, le sommeil, la naissance, la mort et dont personne ne sait ce qu'elles sont avant que les sens intérieurs ne soient ouverts, dont personne ne peut donner une explication intellectuelle satisfaisante, c'est en touchant le fond de la vie; c'est là que l'on sent la Réalité.

 

Si l'on se dit: "Je ne vais pas m'occuper de cela", si l'on détourne son esprit de cette recherche, elle prend de moins en moins d'importance. Si l'on oriente son esprit vers elle non pour construire une théorie, pour discuter, mais pour la réaliser en tournant constamment son attention vers elle, l'on arrivera à la connaître, à en toucher le fond.

 

Le premier pas vers la Réalité c'est la fermeté, la constance et la vie de l'imagination par laquelle tout ce qui est créé dans la pensée devient réel.

 

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Le Chemin de l'Idéal

  Le pardon

 

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