COMMENT ATTEINDRE LA VIE INTÉRIEURE |
Pour atteindre le plan de la vie intérieure, il faut passer par cinq disciplines. La première consiste à devenir maître du mental; on y arrive en désapprenant tout ce qu'on a appris. La connaissance intérieure n'est pas obtenue en ajoutant quelque chose au savoir déjà acquis dans la vie, car il lui faut un fondement inébranlable. On ne peut construire une maison en pierres sur un fondement de sable. Pour faire un fondement en pierres rocheuses il faut creuser le sable jusqu'au roc et mettre le fondement sur le roc qu'on trouve là.
C'est ce qui explique pourquoi il est très souvent difficile à un intellectuel, habitué à apprendre et à comprendre avec l'intellect, d'arriver à la vie intérieure, car ce sont deux routes différentes: l'une va au Nord, l'autre au Midi. Si on se dit: "J'ai fait tant de kilomètres vers le sud, atteindrai-je plus vite ce que je trouverai au nord?" on doit savoir qu'on ne l'atteindra pas plus tôt, mais plus tard: autant d'heures on a marché vers le sud, autant d'heures il faut revenir sur ses pas si l'on veut atteindre le nord.
Il faut donc bien comprendre que tout ce que l'homme apprend et toutes les expériences qu'il fait, au cours de sa vie dans le monde terrestre, tout ce qu'il appelle savoir ou connaissance, ne lui est utile que dans le monde où il apprend, et ne lui est rien de plus que la coquille n'est au poussin. Lorsqu'il s'engage sur le chemin qui conduit vers la vie intérieure, ce savoir ni cette connaissance ne lui sont d'aucune utilité. Plus il est capable d'oublier ce savoir, de le désapprendre, plus il est capable d'atteindre le but qu'il poursuit sur le sentier spirituel. C'est pourquoi il est très difficile pour les intellectuels, de penser qu'après être allé si loin dans la connaissance, il leur faut rebrousser chemin. Il leur est souvent impossible de comprendre le pourquoi de cette nécessité, et ils la trouvent étrange et décevante. Il en est comme d'apprendre une langue, alors qu'on se propose d'aller dans un pays où cette langue n'est pas comprise, et dont on ne comprend pas soi-même la langue. Il y a une vie extérieure et une vie intérieure, exactement comme il y a un pôle nord et un pôle sud; la différence est même beaucoup plus grande, parce que le fossé qui sépare la vie intérieure de la vie extérieure est beaucoup plus grand que la distance entre le pôle nord et le pôle sud. Celui qui avance vers le sud ne se rapproche pas du pôle nord, il s'en éloigne, au contraire; pour l'atteindre, il doit faire volte-face. Pour l'âme fervente engagée sur le Sentier, toutefois, ce volte-face n'est pas difficile. il s'agit simplement de porter son enthousiasme dans la direction opposée, de mettre l'enthousiasme, qu'on avait mis à apprendre les choses de ce monde, à les oublier et à les désapprendre, afin de connaître quelque chose de la vie intérieure.
Maintenant, se pose la question: "Comment désapprend-on?" Apprendre, c'est former un nœud dans le mental. Quoi que ce soit qu'on apprenne, de l'expérience ou de quelqu'un, on en fait un nœud dans le mental: autant de choses apprises, autant de nœuds. Désapprendre, c'est dénouer, et c'est aussi difficile de désapprendre que de défaire un nœud. Quelle patience faut-il, que d'efforts, pour défaire un nœud qu'on a bien serré en tirant des deux bouts! De même, il faut effort et patience pour défaire les nœuds du mental. Comment y arrive-t-on? La pleine lumière de la raison dénoue le mental. Un nœud est une raison enfermée dans des limites; quand on le défait, ce qui limitait la raison disparaît, elle est dégagée de ses liens. Lorsque le mental devient lisse parce que l'on a désappris et parce que l'on a déraciné toute impression de bon et de mauvais, de bien et de mal, alors le cœur devient semblable à un sol cultivé, tout juste comme la terre après le labourage. Toutes les vieilles souches et les racines, les cailloux et les pierres ont été enlevés et le sol est prêt pour les semailles. Mais s'il y a encore, ça et là, des pierres, des cailloux et de vieilles racines, le grain peut être difficilement semé; la terre n'est pas telle que le paysan la souhaite.
La deuxième condition à remplir pour arriver à la vie intérieure, c'est de chercher un guide spirituel: un être en qui l'on puisse avoir une entière confiance, en qui l'on croie complètement, que l'on place plus haut que soi, et pour qui on éprouve une sympathie pouvant aller jusqu'à la dévotion. Une fois qu'on a trouvé son Guru, son Murshid, son Guide, il faut lui donner toute sa confiance, sans réserve. Si l'on garde quelque chose pour soi, il vaut autant reprendre ce qu'on a donné, parce qu'il faut faire tout complètement, il faut donner sa confiance ou ne pas la donner. Sur ce chemin de la Perfection, tout doit être fait comp1etement.
Les méthodes employées par le guide spirituel lui sont personnelles, elles dépendent de son tempérament, et du discernement avec lequel il choisit une route particulière pour chacun de ses adeptes. Il peut les conduire à leur destination par la voie royale ou par les rues et les sentiers; vers la mer ou à travers la ville, par terre ou par eau, il choisit le chemin qui lui semble le meilleur selon les circonstances.
La troisième discipline qui prépare l'homme à la vie spirituelle, consiste à recevoir la connaissance. Celle-ci, étant la connaissance du monde intérieur, on ne peut la comparer au savoir qu'on a déjà recueilli; aussi est-il nécessaire de désapprendre ce qu'on a appris auparavant. On ne peut joindre la connaissance que l'on reçoit sur le sentier spirituel aux idées que l'on a adoptées et avec lesquelles on a vécu dans le monde; ces deux savoirs ne concordent pas. Celui qui désire une direction spirituelle doit, par conséquent gravir trois degrés de la connaissance. Au premier degré il reçoit, et il reçoit seulement. Au deuxième degré, il assimile la connaissance qu'il a reçue; il la repasse dans son esprit, il y réfléchit afin qu'elle demeure dans son mental. C'est comme la nourriture: on commence par l'absorber, puis on l'assimile. Au troisième degré, l'adepte passe au raisonnement. Il ne doit pas raisonner au moment où il reçoit un savoir nouveau, autrement il perdrait tout, parce qu'il ferait comme une personne qui, ayant appris a, b, c, s'informerait de mots ne commençant pas par ces lettres; son raisonnement viendrait trop tôt, parce qu'elle ne connaît pas encore les autres lettres. Il y a un temps pour recevoir, comme il y a un temps pour manger. Pendant qu'on absorbe la nourriture, on ne songe pas à prendre de l'exercice pour faciliter la digestion; c'est après le repas qu'on prend soin de la digestion. Assimiler ce qu'on a appris, c'est le comprendre clairement, le sentir en soi-même, se le remémorer; non seulement cela, mais encore attendre le bienfait et l'illumination qui résultent de la parfaite assimilation de la connaissance.
Le troisième degré de la connaissance est donc celui de l'examen: on examine à fond, on cherche le pourquoi et le comment: "pourquoi était-ce ainsi? - quel bienfait ai-je reçu de cela? - comment puis-je le mettre en pratique dans la vie? - de quel bien cela peut-il être à moi et aux autres?" C'est la troisième phase de l'acquisition de la connaissance. Si l'ordre de ces trois degrés est interverti, le développement de cette acquisition se fait dans la confusion, et l'on ne peut en retirer le bienfait en vue duquel on foule le sentier spirituel.
La quatrième discipline qui conduit à la vie intérieure est la méditation. Même si l'on a désappris tout ce que l'on avait appris, si l'on a un instructeur, et si l'on a reçu la connaissance de la vie intérieure, la méditation est extrêmement nécessaire; le terme soufi est: "Riazat". Au début, la méditation est faite machinalement, à une heure qu'on a fixée pour les dévotions ou la concentration. Ensuite, on pense à la méditation à d'autres moments de la journée. Enfin, on médite continuellement, le jour et la nuit: c'est ainsi qu'il faut méditer. Tandis que méditer seulement un quart d'heure tous les soirs, et ne plus y penser au cours de la journée, c'est comme aller à l'église le dimanche, et ne plus y penser pendant la semaine. La formation intellectuelle est certainement utile pour arriver à la vie intérieure, mais c'est la méditation qui est la plus importante. Elle est la vraie formation. Une année d'études vaut une journée de méditation. J'entends la vraie méditation; si l'on ferme les yeux et qu'on reste assis sans rien faire; on ferait mieux de dormir. La méditation n'est pas seulement un exercice qu'on pratique: elle charge l'âme d'une lumière et d'une vie nouvelles, et de vigueur et d'inspiration; elle comporte toutes sortes de bénédictions. Certains se fatiguent de la méditation, mais cela ne veut pas dire qu'ils méditent; ils se lassent avant d'être arrivés au point où ils peuvent vraiment ressentir l'effet de la méditation, comme ceux qui se lassent des études du violon, ils en ont assez parce qu'ils n'ont pas encore joué. S'ils pouvaient jouer, cela ne les ennuierait plus jamais. Le difficile est de jouer et d'avoir la patience d'apprendre. Il faut de la patience pour méditer. La raison pour laquelle une personne se fatigue de la méditation est qu'elle est habituée à l'activité pendant toute la journée; son système nerveux est entraîné à cette activité incessante qui, vraiment, n'est pas pour son bien, mais l'incite à continuer. C'est pourquoi lorsqu'elle s'assied et ferme les yeux, elle se sent mal à l'aise parce que le mental, qui a été actif toute la journée, s'agite. C'est comme le cheval que l'on met au repos après une longue course et qui devient rétif; le cheval ne peut pas rester tranquille, parce que, tous ses nerfs ayant été en activité, l'immobilité lui est impossible. Il en est de même pour l'homme. Je me suis trouvé une fois en présence d'un homme qui avait l'habitude de la méditation; tandis que nous étions assis près du feu, parlant de choses et d'autres, il entra dans le silence, et je dus rester tranquille jusqu'à ce qu'il rouvrît les yeux. "C'est beau, n'est-ce pas?" - lui demandai-je, et il répondit: "Ce n'est jamais assez". Pour ceux qui connaissent la joie de la méditation, rien ici-bas n'est plus intéressant ni ne comporte une plus grande réjouissance. Ils connaissent la paix intérieure et la joie inexprimable, ils atteignent la perfection, ou l'Esprit Lumière, Vie Amour; tout est là.
La cinquième discipline qui conduit à la vie spirituelle consiste à partager la vie de tout le monde. Le guide spirituel n'impose pas de morale stricte, parce que c'est la tâche de l'enseignement ésotérique; c'est à cette partie du travail spirituel qu'appartiennent les règles de conduite. Mais c'est l'esprit de ces règles que respectent ceux qui suivent le sentier spirituel. Leur premier précepte est d'avoir constamment soin d'éviter de blesser les sentiments d'autrui. La deuxième règle est d'éviter de se permettre à soi-même d'être affecté par les heurts que chacun reçoit de tous côtés. La troisième règle est de garder l'équilibre dans toutes les situations et les conditions diverses qui troublent la tranquillité du mental. Leur quatrième commandement est d'aimer sans cesse tous ceux qui sont dignes d'être aimés, et de pardonner à ceux qui ne le sont pas, et ils le font assidûment. La cinquième règle est le détachement au milieu de la foule, mais détachement ne veut pas dire séparation. Être détaché, cela veut dire seulement s'élever au-dessus des liens qui retiennent l'homme dans sa marche vers le but.
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