soufi-inayat-khan.org

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


LA PRÉPARATION POUR LE VOYAGE
La Vie Intérieure
Chapitre 1
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

La vie intérieure est un voyage. Avant de partir, une certaine préparation est nécessaire. Si l'on n'est pas préparé, il y a toujours le risque d'avoir à retourner sur ses pas avant d'être arrivé à destination. Lorsque l'on va en voyage et que l'on veut accomplir quelque chose, il faut savoir ce qui est nécessaire pour la route, ce qu'il faut prendre avec soi afin que le voyage soit aisé et que le but soit atteint. Le voyage de la vie intérieure est le plus long voyage que l'on puisse faire puisqu'il s'étend de la vie à la mort, et il faut s'y préparer pour ne pas avoir à retourner après être arrivé à une certaine distance.

 

La première précaution à prendre est de s'assurer qu'on n'a pas de dette. La vie impose une dette à chacun: envers sa mère ou son père, son frère ou sa sœur, envers son mari ou sa femme ou un ami ou ses enfants, envers sa race ou envers l'humanité; et celui qui n'a pas payé son dû est retenu par des chaînes intérieures. La vie terrestre est un échange loyal. Si seulement on pouvait le comprendre! Si l'on savait combien il y a de personnes dans le monde auxquelles on est lié ou relié de quelque manière, combien de nouveaux visages on rencontre chaque jour, si l'on savait qu'à chacun d'eux l'on doit, et que si l'on ne paie pas maintenant, il faudra payer plus tard avec les intérêts. La justice immanente s'exerce au-delà de la justice de ce monde et celui qui ne se conforme pas à cette loi intérieure de la justice est grisé, ses yeux sont fermés, et il ne connaît vraiment pas la loi de la vie. Mais cette griserie prendra fin, le jour viendra où les yeux de chacun seront ouverts et c'est bien dommage que les yeux s'ouvrent quand il est trop tard. Il vaut mieux qu'ils soient ouverts pendant que la bourse est pleine, car, si elle est vide, on sera dans une situation bien difficile. A d'aucuns on doit de la considération, à d'autres le respect, ici le service, là la tolérance, à certains le pardon, à d'autres de l'aide. D'une manière ou d'une autre, dans toutes les relations avec autrui on a quelque chose à payer, et il faut, avant de se mettre en route, s'assurer que tout est payé, complètement payé, que l'on ne doit rien. En outre, il faut avoir le sentiment qu'on a rempli ses devoirs envers son entourage et envers Dieu. Or, celui qui considère comme sacrés ses devoirs envers ceux qui l'entourent rend ses devoirs à Dieu.

 

Il faut encore, avant de partir, se demander si l'on a appris du monde tout ce que l'on désirait connaître. Si l'on garde une soif de savoir quelconque, il faut la satisfaire complètement avant de commencer le voyage; car, si l'on se dit: " Je pars, mais j'aurais aimé apprendre encore ceci avant de partir ", on ne pourra pas atteindre son but. On sera tiré en arrière par ce désir d'apprendre. Il faut contenter tous les désirs, toutes les ambitions, toutes les aspirations qu'on a dans la vie. Non seulement cela, il faut partir sans remords, et continuer sans regret. Si l'on est tourmenté par le remords ou par le regret, il faut s'en affranchir complètement avant de prendre la route. On ne doit avoir de rancune contre personne ou de grief du mal qu'on a subi. Car toutes ces choses qui sont terrestres deviendraient une charge sur le chemin spirituel. Le voyage est assez difficile sans qu'on le complique par le poids d'un fardeau. Si l'on s'encombre d'un déplaisir, d'un mécontentement, d'un malaise, d'une inquiétude, on aura de la peine à les porter sur ce chemin. Ce sentier conduit à la Liberté, et, pour s'engager sur le chemin de la liberté, l'homme doit s'affranchir des chaînes de l'attachement et des surprises du plaisir qui le feraient reculer.

 

En plus de cette préparation, il faut un véhicule dans lequel voyager. Ce véhicule a deux roues qui sont l'équilibre en toutes choses. Si grand que puisse être son pouvoir de clairvoyance et de clairaudience, quel que soit son savoir, celui qui ne voit qu'un côté des choses est limité dans ses possibilités; il ne peut aller bien loin, car son véhicule doit avoir' deux roues pour avancer. Il faut l'équilibre: l'équilibre entre la tête et le cœur; l'équilibre entre le pouvoir et la sagesse, l'équilibre entre l'activité et le repos. C'est l'équilibre qui permet à l'homme de supporter la fatigue parfois excessive de ce voyage et de progresser, en aplanissant la route. Il ne faut pas croire que ceux qui présentent un manque d'équilibre puissent jamais poursuivre longtemps leur voyage spirituel, si grand que paraisse leur penchant à la spiritualité. Seuls ceux qui jouissent de tout leur équilibre sont capables de faire l'expérience de la vie extérieure aussi pleinement que de la vie intérieure, de trouver le même plaisir dans la pensée et dans le sentiment, de se reposer aussi bien que d'agir. Le rythme est le centre de la vie, et le rythme engendre l'équilibre.

 

Pour ce voyage, il faut encore se munir de pièces de monnaie qui seront dépensées en route; que sont ces pièces? Elles sont les marques d'attention qu'on donne en paroles et en actions. Il faut aussi des provisions pour la faim et pour la soif, et ces provisions sont vie et lumière. Il faut enfin de quoi se protéger contre le vent et l'orage, contre le chaud et le froid, et ce vêtement protecteur est le vœu de discrétion, le penchant à garder le silence. En partant pour ce voyage, on fait ses adieux, et c'est un détachement affectueux; on laisse quelque chose à ses amis, et ce sont les souvenirs heureux du passé.

 

Amis, nous sommes tous en voyage, la vie est elle-même un voyage. Nul n'est ici-bas pour toujours, nous sommes tous en route; il est donc faux de dire que, pour entreprendre un voyage spirituel, il faille rompre la stabilité de la vie. La vie n'est stable pour personne, ici-bas; nous sommes tous en mouvement, nous sommes tous en marche. Quand nous prenons le sentier spirituel, nous changeons simplement de route, nous prenons un chemin plus facile, meilleur et plus agréable; ceux qui ne le prennent pas arriveront aussi à la fin; la différence est dans la route que nous suivons. L'une est plus aisée, meilleure, l'autre est pleine d'obstacles. Puisque, à partir du moment où nous avons ouvert les yeux sur cette terre, les difficultés que la vie nous apporte sont illimitées, autant choisir le chemin le plus facile pour atteindre la destination à laquelle toutes les âmes arriveront une fois ou l'autre.

 

Par "Vie Intérieure", on entend une vie dirigée vers la Perfection, la Perfection d'Amour, d'Harmonie et de Beauté; dans le langage de l'orthodoxe, vers Dieu.

 

Il n'est pas nécessaire que la Vie Intérieure suive une direction opposée à celle de la vie terrestre, mais elle est plus complète. La vie terrestre est, par définition, une vie limitée; par vie intérieure, on entend la vie dans son intégralité. Les ascètes qui ont pris une direction tout à fait opposée à celle de la vie du monde, l'ont fait afin de pouvoir sonder la profondeur de la vie, mais cette vie orientée dans une seule direction n'est pas complète. C'est pourquoi la vie intérieure signifie la plénitude de la vie.

 

En résumé, on peut dire que la vie intérieure comprend deux mouvements: l'action avec connaissance, et le repos avec passivité de l'esprit. Par l'exécution de ces deux mouvements contraires, en gardant l'équilibre entre ces deux directions, on arrive à la plénitude de la vie. Celui dont la vie est la vie intérieure est aussi innocent qu'un enfant; plus innocent même qu'un enfant, et il est en même temps plus sage que beaucoup de gens savants mis ensemble prouvant ainsi qu'il accomplit son évolution dans deux directions contraires. L'innocence de Jésus est connue de tout temps. Chacun de ses mouvements, chacun de ses actes, révélait l'enfant. Tous les grands saints et les sages, les Grands qui ont libéré l'humanité ont été aussi innocents que des enfants, et, en même temps, plus sages, infiniment plus, que les sages de ce monde. D'où cela vient-il? Qu'est ce qui leur donne cet équilibre? Le repos dans la passivité. Quand ils sont en présence de Dieu leur cœur est comme une coupe vide; quand ils se tiennent devant Dieu pour apprendre, ils désapprennent tout ce qu'ils ont appris du monde; quand ils se tiennent devant Dieu, leur moi, leur vie n'est plus devant eux. En cet instant ils ne pensent pas à eux-mêmes avec un désir à satisfaire, un but à remplir, avec quelque chose d'eux-mêmes à exprimer, ils sont tels une coupe vide afin que Dieu la remplisse, et qu'ils perdent leur faux moi.

 

Cette même attitude les aide à apporter, dans la vie de tous les jours, un paisible reflet du moment de repos, qu'ils ont eu avec Dieu. Dans la vie quotidienne ils font preuve d'innocence, non pas d'ignorance; ils savent, et ne savent pas. Ils savent si quelqu'un dit un mensonge, mais l'accusent-ils, en disant: " vous mentez "? Ils sont au-dessus de cela. Ils connaissent toutes les comédies du monde, et les regardent impassiblement; ils s'élèvent au-dessus des choses de ce monde qui ne les impressionnent plus. Ils prennent les gens très simplement. Certains peuvent penser qu'ils ignorent tout de la vie terrestre, qu'ils ne remarquent pas les choses qui sont sans importance. L'Activité avec la sagesse les rend plus sages, car dans ce monde tous ne se laissent pas guider par la sagesse en accomplissant tous leurs actes. Les uns, et ils sont nombreux, ne consultent jamais la sagesse dans leur action; d'autres cherchent un refuge sous la protection de la sagesse, après avoir agi et, bien souvent, il est alors trop tard. Mais ceux dont la vie est la vie intérieure conduisent leurs actions avec sagesse: ils prévoient, ils étudient et préparent chaque moment, chacune de leurs actions, ils examinent, pèsent, mesurent et analysent chaque pensée avant de l'exprimer, chaque mot avant de le prononcer. C'est ainsi que, dans le monde, ils font toutes choses avec sagesse; mais ils se présentent devant Dieu avec innocence, là ils ne prennent pas avec eux la sagesse dont ils usent parmi les hommes.

 

Soit sur l'une, soit sur l'autre de ces deux voies, l'homme commet souvent des erreurs, de sorte qu'il manque d'équilibre et n'arrive pas à atteindre la perfection. Par exemple, si la route qu'il choisit pour aller à Dieu est celle de l'activité, il voudra y faire usage aussi de sa propre sagesse, ou il voudra être actif quand ce n'est pas le moment. Il en est exactement comme de nager contre le courant; c'est une très grande erreur de faire montre de sagesse alors qu'on devrait être innocent. D'autres ont coutume de prendre comme règle l'attitude passive quand ils se tiennent devant Dieu dans leur innocence, et ils veulent observer cette même règle dans toutes les circonstances de la vie, et c'est une erreur.

-oOo-

 

La Vie Intérieure   Le but du voyage   La perfection

 

Présentation La Musique du Message Accueil Textes et Conférences Lexique
Accueil