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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


L'IDÉAL
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


 

Si quelqu'un me demandait ce qu'est la vie de la vie et ce qu'est la lumière de la vie, je lui répondrais par un mot qui est: l'idéal. Si quelqu'un me demandait, "Qu'est-ce qui jette de la lumière sur le chemin de la vie et qu'est- ce qui donne l'intérêt à la vie?", je lui répondrais en un mot qui est: l'idéal. Un homme ayant de la fortune, des qualifications, du savoir, du confort, qui est sans idéal, pour moi c'est un cadavre. Et un homme sans savoir, sans qualifications, sans fortune ni rang, qui possède un idéal, c'est un homme vivant. Si l'on ne vit pas pour un idéal, pourquoi vivrait-on? On vit pour soi-même, ce qui n'est rien. Cet homme est sans puissance et sans lumière qui vit et ne connaît pas d'idéal. Plus l'idéal est grand, plus grande est la personne. Plus l'idéal est large, plus large est la personne. Plus profond l'idéal, plus profonde la personne, plus élevé l'idéal, plus élevée est la personne. Sans idéal, quelle qu'elle soit dans la vie, sa vie est sans valeur.

 

Vous me demanderez maintenant: qu'entend-je par un idéal? Aussi petit que soit un objet que vous aimez, que vous admirez, pour lequel vous êtes prêt à vous sacrifier avec tout ce que vous possédez, c'est cela l'idéal. Je considère comme ayant davantage de valeur ce fanatique qui dit, "Pour cette idole de pierre je donnerai ma vie. "Je l'ai adorée comme un dieu", plutôt que quelqu'un qui dit, "Je ne sais pas. Je vis au jour le jour". Un idéal sincère, aussi petit qu'il soit, est un idéal. Celui qui passera par n'importe quel sacrifice pour servir sa patrie a son idéal. Celui qui pour maintenir la dignité de sa famille, de ses ancêtres, endurera malheurs et difficultés et cependant maintiendra leur honneur, celui-là a un certain idéal. Si étroit qu'il semble être, si conservateur il semble être, il a cependant de la vertu, il faut le reconnaître.

 

On voit dans les annales de l'histoire du monde que ceux qui ont été capables de maintenir leur vertu, très souvent n'en ont été capables que parce que leurs parents l'ont maintenue, que leurs ancêtres avaient de la dignité, et c'est pourquoi ils ne pouvaient agir différemment. Il y a quelque chose en cela qui ne doit pas être tout simplement rejeté. Celui qui ne considèrera pas ces choses continuera à vivre même d'une vie profitable. Mais c'est une vie ordinaire, une vie sans profondeur, une vie sans valeur. Rien dans la vie ne peut donner la peine d'être vécu sinon l'idéal.

 

D'autres ont un idéal racial: "Telles sont les qualités de ma race que l'estime. Je les maintiendrai et afin de les maintenir, je passerai par n'importe quel sacrifice. Tel est mon idéal". D'autres ont l'honneur de la parole donnée. Une fois qu'ils ont donné leur parole c'est pour toujours. D'autres idéalistes ont l'honneur de leur affection, l'honneur de leur amour, l'honneur de leur amitié. Une fois qu'ils l'ont donné c'est donné. Revenir là-dessus est pour eux la plus grande disgrâce. Dans le don de leur cœur  et la prise d'un cœur , dans ces deux choses il y a du caractère, il y a de l'honneur. Rompre cette stabilité est pire pour eux que la mort. Toutes ces choses aussi petites qu'elles paraissent, aussi puériles qu'elles semblent ont cependant de la valeur. Ce sont les seules choses qui en valent la peine et qui donnent de la valeur à la vie.

 

Je vais vous dire l'histoire d'un idéal extrême. Quelques petites filles jouaient ensemble quand le Maharaja de Jeypur vint à passer dans cette rue, habillé comme un homme ordinaire. Une petite fille dit, "Je vais épouser un millionnaire". Une autre dit, "J'épouserai un commandant". Et il y avait une autre petite fille qui dit, "J'épouserai le roi de cet endroit, le Maharaja". Le Maharaja était là et l'entendit. Il était d'âge à être son grand-père. Il s'en amusa et dit aux gens de la famille de la petite fille que le jour où son mariage se ferait, ils pourraient se présenter et une dot serait remise par l'Etat afin qu'elle soit heureuse toute sa vie. Les années passèrent, les jours passèrent et le roi mourut. Le temps vint où les parents commencèrent à arranger le mariage de leur fille. Quand la question fut posée à la jeune fille, elle dit, "Comment? Comment cela se pourrait-il? Je suis déjà mariée. N'ai-je pas donné ma parole? N'est-ce pas assez?" Les parents dirent, "Ce fut une parole donnée dans ton enfance. Ce n'était rien du tout. C'était un jeu et le Maharaja est maintenant mort". Elle répondit, "Non, je ne veux pas en entendre parler. Je suis une fille de Kshatria. J'ai donné ma parole, je ne me dédirai pas". C'est un idéal extrême. IL y a là un côté fanatique. Néanmoins c'est un idéal.

 

Il y en a d'autres: celui d'un général dont j'ai oublié le nom. Quand vint l'heure de la défaite il continua à élever le drapeau de son pays et dit, "Le pays n'est pas vaincu". Il y a des milliers d'idéaux semblables. On peut dire qu'ils manquent de sagesse, qu'ils manquent d'équilibre, qu'ils manquent de raison, qu'ils manquent de logique. Et cependant ils sont au-dessus de la logique et de la raison. Ils sont au-dessus de ce que l'on appelle pratique et sens commun. Bien des gens pratiques et de sens commun vinrent et s'en allèrent. Si nous nous rappelons les noms de quelques-uns uns de ceux qui firent sur le monde une impression éternelle, ce seront ceux des idéalises.

 

Cet idéal, certainement, dans lequel nous nous sentons venir tous de la même source et retourner à la même source, cet idéal est le plus grand. Parce qu'en lui nous nous unissons les uns aux autres et nous nous servons les uns les autres et sentons la responsabilité d'être sincères et loyaux les uns vis à vis des autres. Je pense que l'homme qui n'a pas d'idéal, s'il a appris quelque vertu, ne peut pas bien les mettre en pratique. L'idéal enseigne naturellement les vertus. Elles s'élèvent du cœur de l'homme.

 

Il y a l'histoire d'un roi qui jugea quatre hommes pour le même délit. Le roi plein de sagesse dit à l'un qu'il serait exilé, à l'autre qu'il serait mis en prison sa vie durant. Au troisième il dit qu'il serait mis à mort, et au quatrième il dit, "Je suis étonné, je n'aurais jamais pensé que vous commettriez une telle faute". Quel fut le résultat? Celui qui fut mis en prison fut content parmi ses camarades. Celui qui fut exilé remonta son affaire hors du pays. Celui qui fut condamné à mort fut exécuté. Mais le quatrième rentra chez lui et se suicida.

 

Une seule chose incite l'homme au sacrifice, et c'est l'idéal. Il ne peut sacrifier qu'une chose: sa vie, sa propre vie. C'est pourquoi un homme sans idéal est sans profondeur, est superficiel. Aussi satisfait qu'il puisse être dans sa vie journalière, il ne peut jamais jouir de ce bonheur qui est indépendant de la vie extérieure. Ce plaisir qui est expérimenté à travers la souffrance est le plaisir expérimenté par l'idéaliste. Mais qu'est-ce que le plaisir qui ne vient pas de la souffrance? Il est sans goût. Le profit de la vie, les gens y pensent tant. Et qu'est-ce après tout? Une perte causée par un idéal est un profit plus grand que n'importe quel autre profit dans ce monde.

 

 

Question: Peut-on acquérir l'idéal? Si de naissance on n'a pas d'idéal, peut-on s'en faire un?

Réponse: Oui, c'est difficile, mais cependant il vaut mieux poursuivre un idéal à travers la vie en suivant toujours un idéal.

 

Question: Mais ceux qui n'ont pas d'idéal?

Réponse: Quelqu'un a écrit, mais j'ai oublié qui, "Si tu n'as pas de Dieu, fais t'en un".

 

Question: Est-ce que tout le monde n'a pas un idéal, aussi petit qu'il soit?

Réponse: Commencer par un idéal étroit est mieux que de n'en avoir point.

 

Question: Peut-on perdre l'idéal?

Réponse: Alors en avoir un autre. Car il y a deux manières de le perdre. On le perd en devenant pessimiste ou en étant déçu. Mais je crois qu'il faut se faire un idéal si indépendant que rien en dehors de vous-même n'aura le pouvoir de le briser. Je crois que la personne qui peut voir les fautes de l'ami aimé n'a pas encore commencé à aimer son ami. Car il faut que son amour soit capable d'ajouter tout ce qui est nécessaire à ses défaillances afin de le compléter. Ce n'est pas que l'ami soit complet, mais celui qui l'aime le complète. Beaucoup disent, "J'ai aimé, mais j'ai été désappointé". Mais je leur dis, "Vous avez creusé, mais vous n'avez pas creusé assez profondément. Vous avez atteint la boue mais pas l'eau".

 

Question: Est-ce que l'idéalisme s'attrape?

Réponse: Rien n'est plus contagieux que l'idéalisme.

 

Question: Les gens ont souvent plusieurs petits idéaux et ne sont conscients que d'un à la fois qu'ils abandonnent pour en prendre un autre. Là aussi n'y a-t-il pas un danger?

Réponse: Oui, mais en même temps avoir même un petit idéal et le comprendre et lui être fidèle c'est quelque chose qui en vaut la peine. Une pièce fut jouée ici sur Harish Chandra, une vieille histoire. Je voudrais attirer votre attention sur une partie de la pièce. Harish Chandra était un roi qui avait pour principe d'être loyal, d'être véridique, d'être fidèle à sa parole. Puis vint un temps où il fut vendu pour la maison d'une personne qui fit de lui le gardien du cimetière, là où les cadavres étaient incinérés. Et là, après des années de séparation, il vit sa femme. Cette séparation était accidentelle. Sa femme était là apportant son fils mort pour qu'il soit incinéré, mais elle était trop pauvre pour payer l'incinération. Il y eut une lutte en lui, s'agissant de son propre enfant, de sa propre femme qu'il rencontrait et qu'il n'avait pas vue depuis des années et qui étaient si pauvre qu'elle n'avait pas d'argent pour payer. Cependant lui était pressé par son maître pour demander de l'argent pour le travail. C'est pourquoi il reconnut la femme mais jamais ne lui dit, "Je suis ton mari". Il reconnut l'enfant, mais ne permit jamais à son cœur de montrer sa profonde tristesse. Il ne lui permit pas d'entrer sans payer puisqu'il était préposé à cela. Son chagrin fut pire que la mort. Il maintint néanmoins son principe.

Un idéal vous attirera toujours. Aussi fanatique qu'il semble, aussi déraisonnable, aussi illogique, l'idéal cependant est un idéal. Il a une vie qui lui est propre. L'idéal est vivant et fait vivre celui qui est un idéalise.

 

Question: Par quelle épreuve feriez-vous passer un idéal véritable  afin qu'il puisse nous conduire plus loin?

Réponse: Je crois que l'idéal est un idéal. S'il vous conduit jusque là et pas au-delà, un autre idéal alors viendra pour vous entraîner plus loin. Mais l'idéal est le chemin à prendre.

 

Question: Si c'est un véritable idéal, conduira-t-il toujours plus avant, plus loin? Ne faudra-t-il pas l'abandonner pour s'élever au-dessus?

Réponse: C'est très difficile de distinguer entre vrai et faux. Ce n'est pas seulement difficile mais c'est impossible. Je dirais que s'il est faux, il est aussi faux que vrai, et s'il est vrai, il est aussi vrai que faux. Le meilleur moyen est de considérer au fur et à mesure comme vrai ce qui vous apparaît comme vrai, mais de ne pas le discuter, ne pas le défendre des autres. Ce que vous trouvez vrai aujourd'hui vous ne savez pas si demain vous ne direz pas de la même chose qu'elle est fausse. Car tous ces termes, bon et mauvais, vrai ou faux, vertu ou péché, bien et mal, sont relatifs. Ils changent suivant la différence de temps et d'espace. C'est à dire, suivant la hauteur d'où nous les regardons, suivant la position d'où nous les voyons. En d'autres termes, afin de simplifier, je dirais: ce qui paraît bien le matin peut le soir paraître mal. Ce qui dans la journée peut paraître mal, à la nuit peut paraître bien. Comme autre image disons que s'il y avait plusieurs marches d'escalier et que nous nous tenions sur chaque marche pour regarder les choses, celles qui nous paraissent bonnes nous paraîtront mauvaises vues d'une certaine marche et celles qui sont mauvaises nous paraîtront bonnes en les regardant du haut d'une autre marche.

Cela dépend comment vous les regardez. Le mieux est donc de faire ce qu'à un moment donné vous considérez être bien, juste et bon et vertu. Quoi que ce soit, c'est la chose que nous devrions faire. Mais nous ne devons pas imposer ce que nous considérons bien ou bon ou vrai à d'autres qui ne voient pas de la même manière que nous, ni les y encourager.

 

Question: Que devons-nous faire alors dans l'éducation?

Réponse: Pour les enfants la question est évidemment différente. Afin d'acquérir la liberté nous ne commençons pas avec la liberté. Afin d'arriver à la liberté nous commençons avec la discipline. C'est là qu'est toujours l'erreur de notre temps: afin d'arriver à la liberté on la donne, et c'est pourquoi les choses se gâtent. Car si vous commencez par la liberté vous finirez alors par la discipline. Si vous commencez par la discipline vous arriverez à la liberté. La liberté est l'idéal à acquérir et le résultat de notre travail, mais il ne faut pas commencer par elle.

 

Question: Oui, mais dans la vie bien des gens sont des enfants en comparaison avec d'autres qui sont sages. Ceux qui sont sages ont-ils alors une responsabilité?

Réponse: Oui, des enfants peuvent être sages, mais en même temps ils sont dépendants à cause de leur enfance. Ils sont dépendants non seulement pour leurs moyens d'existence mais pour leur culture aussi.

Personne n'est responsable de quelqu'un d'autre. Tous nous sommes responsables de nous-mêmes. Et vous pouvez bien souvent faire une grande erreur en pensant qu'une autre personne est moins avancée que vous-même. Je dirais cependant que si l'on veut savoir comment se comporter avec elle, il faut qu'on la traite de la même manière que les enfants mais sous une forme modifiée

 

Question: Comment pouvons-nous découvrir si nous sommes sur le vrai chemin? Notre éducation peut sans doute avoir son influence sur nos idées?

Réponse: La vérité est la partie de notre propre être la plus essentielle et la plus importante. Tout ce que nous considérons donc comme vrai sur le moment est vrai pour ce moment. Il nous est seulement demandé de discerner avec sincérité. Car si nous-mêmes nous nous trompons, nous serons alors trompés. Ceux qui s'éloignent de la vérité se sont dupés eux-mêmes. Car ils ne sont pas prudents, ils ne sont pas attentifs à se tenir à cette vérité que leur propre âme considère comme telle. Ce que vous considérez comme vrai à un moment donné, pour vous est vrai.

 

Question: On souhaite se débarrasser de pensées et cependant elles reviennent continuellement.

Réponse: Mais je dis qu'alors il ne faut pas tenir pour vrai le principe que l'on pense être faux. Si le monde entier dit qu'il est vrai et que vous pensiez qu'il est faux, il est alors faux. Car pour vous au moins il est faux. Et c'est ce qui compte le plus dans votre vie.

 

Question: Il est parfois très difficile de savoir s'il est vrai ou faux. Notre éducation est une force si solide qu'en raisonnant avec soi-même on pense, "ceci est impossible, c'est inutile". On est handicapé.

Réponse: Oui, si l'on sait que tout ce que l'on a appris est faux, il faut alors désapprendre.

 

Question: Par quel test? Ne pouvons- nous prendre cela dans le silence et découvrir la vérité? N'y a-t-il pas un lieu où trouver la vérité?

Réponse: Tant que l'on poursuit la vérité on est déjà dans la vérité.

 

Question: La vérité ne change pas, seul notre point de vue change. Dans ce silence pouvons-nous trouver cette lumière?

Réponse: Cette vérité est la vérité absolue qui ne peut être comparée à rien d'autre. Car une distinction doit être établie entre le fait et la vérité. Les faits sont les deux choses entre lesquelles vous choisissez, l'un comme étant vrai, l'autre comme étant faux. Mais quand vous arrivez à l'ultime vérité c'est comme la lumière. En présence de la lumière il n'y a pas d'obscurité. C'est pourquoi cette vérité qui est l'ultime vérité n'a pas de comparaison. Elle n'est pas relative. Cette vérité est quelque chose qui de tout fait la vérité.

 

Question: Pouvons- nous l'obtenir par le silence?

Réponse: Évidemment, le silence est la chose principale.

 

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L'idéal

 

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