soufi-inayat-khan.org

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


La liberté de l'âme
(2° partie)

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

En Orient, l'on explique que si un bébé crie, la première chose qu'il fait après la naissance, c'est parce qu'il s'afflige de la perte qu'il subit. Cette perte est la perte de la liberté. L'âme qui était auparavant libre et pouvait flotter dans des sphères plus élevées que celles des oiseaux, qui pouvait s'étendre et vivre en tant que lumière et vie, est devenue captive de ce corps de chair et d'os limité, et est venue sur la terre, un milieu tout-à-fait nouveau et étrange pour le nouveau-né. Il n'avait jamais eu de rapports ni avec des êtres terrestres ni avec l'atmosphère de la terre. C'est pourquoi la première chose qu'une âme fait est qu'elle pleure. Les Soufis, et tous les mystiques, ont principalement reconnu ce fait, et ont fondé leur philosophie sur cette théorie, à savoir que l'homme dans toute condition de sa vie cherche consciemment ou inconsciemment la liberté.

 

Il se peut qu'une personne cherche la liberté parce qu'elle a trop de soucis pour gagner sa vie, une autre parce qu'elle doit travailler, une autre peut chercher la liberté à cause de quelqu'influence qui l'entoure, et peut-être qu'une autre cherchera la liberté sur un plan national. Mais tout un chacun s'efforce sans cesse vers la liberté et ce qui lui donne la motivation de s'y efforcer est ce besoin inconscient qui est apparu chez le nouveau-né depuis le moment de sa naissance. Ainsi l'homme s'efforce sans cesse, le sachant ou ne le sachant pas, pour atteindre sa liberté.

 

Et ainsi notre désespoir, notre dépression, notre chagrin, nos anxiétés, ont des milliers de raisons, mais à leur arrière-plan il y a une seule et même raison: notre âme s'efforce chaque jour vers la liberté - quelque chose que peut-être la mort nous donnera. Les gens se suicident souvent pour la même raison; afin d'en obtenir la liberté. Parfois ils pensent: "En nous éloignant de tout le monde cela nous donnera cette liberté". Mais ils ne savent pas que, quelqu'effort que l'on fasse pour s'échapper de cette situation, l'on n'est pourtant pas libre, parce que c'est notre propre moi qui est en captivité. En dehors de toutes situations extérieures qui donnent l'impression d'emprisonnement, même notre propre moi est captif, nous sommes captifs dans notre propre moi.

 

Je dois à présent expliquer la relation entre l'âme et le corps. La relation de l'âme et du corps est celle de la flamme avec le charbon. La flamme de feu, quand elle touche le charbon, est prise par le charbon. Quand on dit que quelque chose a pris feu, cela veut dire que le feu qui était séparé de cette chose a été pris par elle. Ainsi l'âme est prise par le corps. On peut aussi voir cela d'une autre façon: que l'âme est prise par le corps, ou mieux: que le corps est utilisé par l'âme. Ainsi la relation de l'âme vis-à-vis du corps est celle du feu se saisissant du charbon. De même que le charbon se change en cendre, ainsi le corps a sa fin, il est un jour détruit. Le feu n'est pas perdu, il a disparu dans son propre élément, dans la chaleur.

 

C'est le soleil qui est dans l'électricité et la lumière du gaz, et en toutes formes de chaleur. Chaque forme de lumière est très différente du soleil et peut en être distinguée, pourtant c'est la même chaleur qui apparaît dans le processus des différentes formes de lumière. Il en est de même de l'Esprit qui est Un, comme le soleil, et qui à travers plusieurs processus est apparu comme des âmes. L'un est devenu plusieurs sous différentes formes. L'un apparaît comme plusieurs, pourtant il n'est pas plusieurs en réalité. En d'autres termes, la lumière peut apparaître sous forme de cinq lumières dans une pièce, ou sous forme de six ou de cent, mais en réalité c'est une seule lumière. Elle est plusieurs dans son apparence, parce qu'il y a autant d'ampoules et que chaque ampoule limite la lumière. De la même manière chaque corps humain a pris en lui la lumière divine, et il semble y avoir plusieurs lumières. Par conséquent chacune de ces lumières, qu'on voit en plusieurs ampoules, on l'appelle une âme. Ce que nous appelons lumière est l'Esprit Lui-Même, vu sous différentes ampoules comme différentes âmes; les ampoules sont les corps. Tous les êtres humains sont une seule Conscience, ils ont une seule source et un seul but. En même temps l'Esprit est pris par différents véhicules.

 

La condition est telle que le corps tient l'âme et que l'âme tient le corps. L'âme tient le corps pour accomplir son but, et le corps tient l'âme parce que le jour où l'âme l'abandonnera, il sera anéanti. Par conséquent le corps s'efforce sans cesse de garder l'âme, parce qu'il est fait pour elle et il vit pour elle, et que c'est le désir continuel du corps que l'âme vive en lui. Ceci étant la situation, c'est seulement au moment où l'âme sent qu'elle a fini son travail et ne doit pas plus longtemps exister dans le corps, qu'elle quitte le corps. Ou autrement, le corps est devenu si faible qu'il ne peut plus retenir l'âme; quand il en est ainsi le résultat est la mort. Il y a souvent des gens qui désirent mourir et ne meurent pas. La raison en est que c'est leur mental qui désire la mort, mais le corps s'accroche encore à l'âme, et l'âme utilise toujours le corps pour son but, bien que le mental y soit contraire; c'est pourquoi la mort ne vient pas. Il y en a d'autres qui disent: "Maintenant le corps est trop faible, il ne peut pas retenir l'âme"; et pourtant le mental dit: "Je n'ai pas terminé. Je n'ai pas vu mon ami, mon mari, ma fille. Je voudrais vivre jusqu'à ce que je l'aie vu". Et on continue à vivre, parce que l'âme a l'impression que quelque chose n'est pas terminé et se raccroche à ce corps qui ne peut plus guère tenir l'âme. Il y parvient aussi longtemps que ce désir particulier n'a pas été assouvi.

 

Au bout d'un certain temps que l'âme a été prise par le corps physique, il vient un moment où elle s'éveille. Tant qu'elle est endormie, elle est comme dans un rêve dans le corps physique. C'est la condition de l'homme ordinaire: une sorte de rêve. Le mystique est celui qui est éveillé, mais il est très amusant de voir que l'homme ordinaire appelle le mystique un rêveur. En réalité c'est lui qui rêve. Pendant ce rêve l'âme ne connaît rien en dehors de ce qui apparaît devant elle. Par exemple, les désirs que l'on a, les habitudes, les souhaits, les apparences, l'environnement, les actions, les pensées, les impressions, toutes ces choses sont comme un rêve que l'âme est occupée à rêver. Une personne rêvera peut-être toute sa vie; une autre se réveillera à son âge mûr ou dans sa jeunesse. Mais il y a des âmes comme Jésus-Christ au sein desquelles dès leur enfance leur condition d'éveil commence à se manifester. Cela ne dépend pas d'un certain âge; peut-être qu'un petit enfant, un rare petit enfant peut être éveillé, et il se peut que quelqu'un vive toute sa vie dans un songe et continue le même songe. Pourtant il y a un éveil subconscient quand quelque chose commence à dire: "Tu rêves, il y a quelque chose d'autre à connaître pour toi". Mais on n'y prête pas attention.

 

On parle d'un grand savant qui dans son âge avancé, quand tout son travail, ses livres, ses découvertes eurent été faites, dit un jour à sa femme: "Pense-tu réellement qu'il y ait quelque chose de l'autre côté?" Elle répondit: "Je l'ai toujours cru, toute ma vie".

 - "Je voudrais croire comme toi".
 - "Pourquoi ne croirais-tu pas?"
 - "Je ne peux pas le voir".

Sa croyance à elle n'avait pas besoin de voir, la croyance s'était éveillé en elle. Elle dit: "Tu dois aussi croire", mais il répondit: "Je ne peux pas croire. Tu crois à quelque chose comme cela, et je crois en toi".

 

C'est très pathétique et aussi très intéressant de voir cet homme intelligent - un homme bon, qui toute sa vie avait fait du bon travail, un homme de recherche, un beau cœur et une belle âme, qui commençait un jour à s'éveiller, bien qu'il n'ai pas eu l'entraînement pour éveiller la croyance en quelque chose dont on ne peut pas être témoin. Il ne pouvait pas admettre une telle croyance, mais sa femme avait de la religion et sa religion à lui était sa femme.

  

Ainsi dans nos vies le temps arrive plus ou moins tôt où nous nous éveillons de ce rêve. Aussitôt que nous sortons du rêve notre première pensée est: "Qu'est-ce qui se passe? Pourquoi sommes-nous ici? Que faisons-nous ici? Où irons-nous? Quel est le but de notre vie?". Et quand ces idées arrivent, nous commençons à nous sentir moins intéressés par les choses de cette vie. Cela ne veut pas dire que nous soyons moins capables de nous en occuper. Au contraire, une personne éveillée peut accomplir de plus grandes œuvres dans ce monde que d'autres personnes, et de meilleure façon. Si, par exemple, nos hommes politiques ou nos grands marchands et hommes de grandes fortunes, et les éducateurs et les scientifiques étaient aujourd'hui des personnes spirituelles, le monde deviendrait différent. Ils ne seraient pas moins qu'ils ne sont aujourd'hui; ils accompliraient de plus grandes choses comme savants, comme hommes d'affaires. Vous ne devez pas penser qu'être spirituel signifie seulement désirer s'enfuir du monde, aller dans les forêts et s'y fixer. Certes, ils ne donneraient pas la même importance aux choses que le ferait l'homme qui est dans son rêve, mais ils seraient mieux inspirés et accompliraient davantage de choses dans le monde que s'ils n'étaient pas éveillés spirituellement. Tout ce que fait une âme éveillée, en affaires, dans l'état, dans la société ou dans la vie politique, dans tous les aspects divers, cela a pour elle une signification, cela possède une vie parce que ce qu'elle fait part de son cœur et n'est pas fait de façon rigide.

 

Par exemple, nous voyons de très nombreux criminels sous inculpation et condamnations et de très nombreux tribunaux. Quand le Prophète Mohammed déclara qu'il était haram, défendu de même toucher à la liqueur, aujourd'hui, douze cents ans après que le Prophète s'en soit allé, tout vrai musulman sent dans son cœur: "Je ne dois pas y toucher" Quelques-uns peuvent aller boire, mais en même temps, les larmes aux yeux, ils disent: "Je le regrette. Notre Prophète a dit: non. J'ai honte de montrer mon visage au Prophète: il a dit: non". C'est un sentiment différent. L'âme éveillée, quoi qu'elle fasse ou dise, est vivante, son impression est plus grande.

 

Si les généraux, les hommes politiques et les hommes d'Etat, les hommes d'affaires et les industriels étaient des âmes éveillées, nous n'aurions pas eu de guerres. Aujourd'hui nous avons dépassé ces époques de stupidité où les gens se tuaient l'un l'autre dans la rue. Nous sommes dans un stade de réalisation différent. Aujourd'hui il n'y a pas besoin de guerre. L'humanité est maintenant adulte, elle n'est plus dans la petite enfance. Pourquoi même après la guerre n'y a-t-il pas ici de paix, pas de sécurité dans la paix? Nous ne savons pas ce qui se produira demain. Puisque tel est le cas, cela prouve que quelque chose manque et c'est la compréhension que nous rêvons. Les gens pensent qu'ils sont éveillés, qu'ils ont du sens commun, et pourtant ils sont endormis. A la Société des Nations il y a chaque jour une conférence et une discussion et beaucoup de bruit autour, et pourtant ils sont toujours dans le même bateau. Ils disent que quand les choses seront bien établies les conditions seront meilleures. Mais quand les choses seront-elles bien établies? Non pas quand on les établira de l'extérieur; elles doivent être établies en nous-mêmes. Nous devons nous éveiller de ce rêve dans lequel nous sommes. L'âme doit arriver à la réalisation de ce qu'elle est. Alors un meilleur jour se lèvera pour nous.

 

Pour parler maintenant des signes que l'on voit après le réveil de l'âme, le premier signe est que l'on commence à voir de deux points de vue. On commence à voir le vrai du faux et le faux du vrai. On commence à voir le bien du mal et le mal du bien. En chaque chose on commence à voir le même reflété dans son opposé. Et de cette manière on s'élève au-dessus de l'intellectualité, parce qu'elle paraît alors comme une connaissance primitive ou élémentaire. La connaissance élémentaire dit: "C'est ainsi et c'est comme ça, c'est gris ou noir, sombre ou lumineux". Mais aussitôt qu'on a fait un pas de plus on en voit le contraire. On voit ce qui est vrai dans le faux et aussi le faux dans le vrai. On voit l'obscurité dans la lumière, la mort dans la naissance et la naissance dans la mort. C'est une sorte de double vision des choses. 

 

Quand on a atteint ce stade, le raisonnement s'est ouvert sur le raisonnement supérieur. Il est certain que le langage deviendra un galimatias pour les autres, les gens ne le comprendront pas, ils seront désorientés par ce que l'on dira. Pour certains ce sera trop simple, pour les autres trop subtil. Trop simple pour ceux qui comprendront seulement des mots dépourvus de leur signification, trop subtil pour ceux qui s'efforceront de comprendre le sens sans y parvenir.

 

Le troisième signe est le sentiment que l'on a après l'échec; on ne sentira pas la même déception; et dans le succès l'on ne sentira pas la même joie. Dans des conditions adverses on ne sera pas aussi désappointé, et dans des conditions favorables, pas si vaniteux. Ces changements continuels que nous éprouvons dans ce monde: amis se changeant en ennemis, l'amour parfois se changeant en aversion, le bon sens en folie, les petites surprises que nous éprouvons chaque jour, les choses étant différentes de ce que nous avions attendu, tous ces chocs ne sont pas ressentis aussi profondément. La vie dans le monde est pleine de chocs, et ils n'ont pas de fin. A chaque tournant que nous prenons nous trouvons quelque surprise, tout le temps il y a quelque chose de nouveau. Quand l'âme est éveillée nous ne prenons pas les chocs aussi profondément; ils viennent mais ils ne nous frappent pas aussi profondément.

 

En même temps, en dépit de tout cela, le sentiment est plus profond. Une personne avancée est plus susceptible d'être blessée que celle qui n'est pas avancée. Parce que son cœur devient tendre, elle ressent rapidement. C'est une personne vivante dans la terre dense. Un rocher ne sent pas beaucoup. Cet éveil de l'âme donne finesse d'un côté et force de l'autre côté pour la soutenir.

 

Et puis il y a un autre stade qui se développe après le réveil de l'âme. Ce stade est le sentiment pour la liberté, et cela doit être géré comme une sorte de retraite. Evidemment c'est grande tentation, et quelqu'un de spirituel regarde cela comme une tentation. Une âme éveillée n'attache plus de valeur au rêve, et pourtant une personne spirituelle considère cette retraite comme une tentation. "Dans le chemin de la retraite je travaillerai encore, parce que c'est le moment où il faut servir", telle est l'idée qui vient quand on est moins égoïste.

 

Arrivant à la liberté ultime de l'âme, cette liberté est gagnée par la concentration, par la méditation, par la contemplation et par la réalisation. Quelle est la concentration demandée pour la liberté de l'âme? La concentration qui est prescrite par notre maître spirituel, afin que dans la pensée de cet objet particulier vous puissiez vous oublier pendant cet instant. Quelle est la contemplation qui est nécessaire? La contemplation de la pensée: "Ceci, mon moi limité, n'est plus mon moi, mais c'est l'instrument de Dieu, le Temple de Dieu qui est fait pour que le nom de Dieu soit glorifié". Quelle méditation est demandée? La méditation sur l'idée de Dieu, sur l'Etre de Dieu, faite dans le but d'oublier absolument son moi limité. Et la réalisation est ainsi que, quelle que soit la voix qui vienne à vous c'est la voix de Dieu, toute direction qui vous est donnée est la direction de Dieu, chaque impulsion est une impulsion divine, chaque action est faite par Dieu. C'est de cette manière que l'âme est libérée et c'est dans la liberté de l'âme que réside le but de la vie.

 

 -oOo-

 

La liberté de l'âme

 

Présentation La Musique du Message Accueil Textes et Conférences Lexique
Accueil