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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


La liberté de l'âme
(1° partie)

Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

L'homme, tout en poursuivant la liberté, cherche la captivité. Plus nous étudierons la vie, plus nous constaterons que les divers chemins que nous empruntons pour arriver à la liberté mènent souvent à une plus grande captivité. Laissons la vie de l'individu et intéressons-nous aux nations: nous voyons que, telle que la vie est aujourd'hui, quelqu'un ne peut aller d'un pays à un autre sans montrer un passeport. Il n'est pas libre, il est captif. Il y a mille démarches par lesquelles il doit passer avant qu'il ne puisse entrer dans un autre pays. Et on pourrait demander si l'on est chez soi dans son propre pays. Est-ce qu'on s'y sent libre? Même là on n'est pas tout-à-fait libre. Il y a des conventions, des règles et des démarches faites pour la convenance de l'humanité qui rendent en même temps la vie de l'homme de plus en plus difficile. Aujourd'hui un architecte n'est pas libre d'exprimer la liberté de son âme; il doit se conformer aux lois d'une ville particulière. Un compositeur doit rester dans les limites des règles d'harmonie que les autres auteurs de musique ont reconnues, il ne peut pas s'exprimer librement. Un auteur dramatique doit observer la technique, un poète doit s'en tenir aux normes poétiques. Chacun trouve des empêchements et ne peut pas s'exprimer librement. La raison en est que l'homme n'a pas encore compris la vraie signification de la liberté.

 

On dit en Orient que quand un nouveau-né crie au moment de sa naissance, c'est parce que son âme se trouve dans un autre monde, un monde de captivité. Les anciennes traditions hébraïques ont illustré ceci de façon bien plus belle. Elles disent que Dieu fit d'abord en argile le corps de l'homme et puis commanda à l'âme d'entrer dans cette statue. L'âme refusa d'entrer dans cette prison, disant: "J'ai toujours été libre, je ne serai pas emprisonnée dans cette prison". Dieu dit alors aux anges: "Chantez et dansez". En entendant le chant des anges l'âme entra en extase et vint dans cette captivité.

 

Si l'on demandait quelle est la raison de la misère que l'on éprouve sur la terre, on assignerait une certaine cause à chaque misère, mais si l'on donnait en une seule réponse la raison de toutes les misères, c'est la limitation. Si d'un côté l'on a la liberté, de l'autre il y a la limitation, et c'est la limitation de toute nature qui peut laisser l'homme misérable en dépit de tout ce qu'il peut avoir de cette terre.

 

La plus grande limitation est de ne pouvoir exprimer sa prédisposition. L'âme est capable de voir davantage que les yeux ne peuvent voir. L'âme est capable de voir plus que les oreilles ne peuvent entendre. L'âme est capable de s'étendre plus loin que l'homme ne peut voyager. L'âme est capable de plonger plus profondément que les plus grandes profondeurs que l'homme ne pourrait sonder. L'âme est capable d'atteindre plus haut que l'homme ne pourrait atteindre par n'importe quel moyen. C'est pourquoi l'âme éprouve sans cesse la limitation pendant toute la vie, comme un poisson se sentirait hors de l'eau, et un oiseau si ses ailes étaient entravées.

 

Combien l'homme est absorbé dans sa vie quotidienne! Il est presque ivre de tout ce qu'il voit et perçoit et de tout ce dont il s'occupe. Pourtant si malgré toute cette ivresse on lui demande de s'asseoir tranquillement, d'être lui-même et d'être sobre pour un moment, et puis de dire s'il est réellement heureux, sa réponse sera "non"; quelque chose manque. Demandez à un homme qui vit dans un palais ou qui vit dans une hutte, demandez à un homme sage ou à un homme stupide, à un homme de quelque profession ou occupation que ce soit s'il est réellement satisfait, sa réponse sera non, bien qu'il ne sache encore pas ce qui le garde dans l'insatisfaction. Cela serait difficile pour un être réfléchi de répondre à cela alors qu'une personne irréfléchie sera sans doute prête à donner une réponse quelconque.

 

 

Comme la raison est au service de l'homme, aussitôt qu'il se demande: "Pourquoi ne suis-je pas satisfait?", la raison lui raconte quelque chose: "Parce que tu n'as autant d'argent que tu devrais en avoir, ou autant de confort que tu devrais en avoir, ou parce que tu n'as pas obtenu la situation que tu devrais avoir, ou parce que tes amis ne sont pas ce qu'ils devraient être, que tes ennemis sont pénibles, ou parce que tu n'es pas dans l'environnement qui devrait être le tien". Mais il y a toujours une raison derrière une raison. Et quelle est cette raison? La raison est un écran, derrière lequel se cache quelque chose d'autre. Aussi longtemps que quelqu'un dépend de la raison, il ne connaît pas son mental. La raison change, et le point de vue change. Aujourd'hui il a sa raison pour être aussi malheureux, et ensuite il trouvera une autre raison pour être aussi malheureux. Derrière toutes les raisons différentes que l'homme peut donner pour son mécontentement vous trouverez une seule raison: une nostalgie continuelle de l'âme pour faire l'expérience, dans cette sphère extérieure, de cette vie de plus pleine expression dont, en cette captivité sur le plan terrestre, l'âme est privée.

 

Le Masnawi, le livre de Roumi, le grand poète de la Perse est considéré en Orient comme une Ecriture vivante. On l'enseigne depuis l'enfance en Arabie, en Perse et en Egypte comme une écriture vivante et elle s'adresse toujours à ce qu'il y a de plus profond dans l'homme. Dans ce livre, Roumi raconte que l'âme est semblable à un roseau, un roseau qu'on a transformé en une petite flûte. On a fait des trous dans son cœur et il pleure en se rappelant le jour où il ne faisait qu'un avec sa tige, où il était attaché à son origine et tirait sa vie de cette origine à laquelle il était lié. Du jour où il en a été séparé, la première chose qui lui a été faite, ce sont des trous dans son cœur. Cela l'a fait pleurer et son pleur devint cette musique qui perce l'âme de ceux qui l'entendent et les fait aussi pleurer. De plus Roumi dit: "Pourquoi les gens versent-ils des larmes sur mes paroles? C'est pour la même raison: comme le bout de roseau j'ai été séparé de mon origine, et l'humanité a fait des trous dans mon cœur. C'est pourquoi ce qui sort de moi est cette lamentation musicale qui en appelle aux âmes qui s'éveillent". N'est-il pas vrai que ce qui adresse un appel au cœur humain dans les œuvres des grands musiciens de toutes les époques, des grands poètes et penseurs, mystiques et prophètes, est la douleur qu'ils avaient dans le fond de leur cœur, qui leur est venue de la compréhension de cette séparation et par la découverte de cette nostalgie naturelle qui est en toute âme?

 

On pourrait maintenant demander qu'est-ce que l'âme? Aujourd'hui, dans ce monde de science où le matérialisme prévaut tellement qu'il y a chaque jour un peu moins d'êtres qui croient en une telle chose que l'âme, ils disent: "N'est-ce pas le corps qui est la seule chose, à notre connaissance, que nous ayons? Et après la mort, qu'est-ce qui reste? S'il y a une âme nous ne l'avons jamais vue". La réponse que je leur fais, c'est que rien ne vient de rien. L'idée est la suivante: l'être humain est le fruit de cet arbre de la manifestation. L'Intelligence s'est graduellement développée à travers les règnes minéral, végétal et animal et puis s'est manifestée plus pleinement dans l'homme. Mais n'est-ce pas l'Intelligence qui est la source de toutes choses? Comment la matière pourrait-elle se développer en intelligence? Si on prend la moitié du processus, on oublie l'autre moitié. C'est l'intelligence qui est la source, et ce que nous voyons est la captivité de l'Intelligence dans la matière. C'est pourquoi nous voyons la manifestation comme si elle commençait dans la matière, et cette intelligence se manifestant dans l'homme, nous pensons que l'homme est un développement de la matière. En réalité l'homme s'identifie faussement avec la partie matérielle de son être, car le corps n'est qu'une enveloppe sur l'homme véritable. L'homme réel est l'âme elle-même. Mais l'on dira: "Je ne vois pas l'âme, je vois mon corps". Je répondrai que les yeux ne peuvent jamais se voir eux-mêmes, ils ne peuvent voir que tous les autres objets. Comme l'âme est l'Intelligence elle peut voir toutes choses, mais elle ne peut pas se voir elle-même. Le fait même qu'elle ne peut se voir elle-même fait d'elle le soi réel.

 

De plus, toutes choses que nous pouvons désigner, qui nous sont intelligibles, nous les appelons "ma table", ou "ma chaise", et de même nous appelons notre corps "mon corps". Naturellement le corps n'est pas le moi, mais comme l'homme ne se connaît pas lui-même, il pense que le corps est le moi. Si un acteur doit jouer sur une scène avec un masque, les gens le reconnaîtront par son masque. Ils ne sauront pas qui est derrière le masque. Ainsi en est-il de l'âme. La manifestation de l'âme n'est vue qu'à travers le corps. Par conséquent l'on s'identifie au corps et cela laisse quelqu'un ignorant de l'âme.

 

 

Approfondissons maintenant ce sujet: si l'âme est Intelligence, d'où vient-elle, quelle en est l'essence? Toutes les Ecritures du passé sont d'accord, aussi bien que la plupart des philosophes de tous les pays, que la source et le but de toutes choses est l'Etre Intelligent. Mais si c'est l'Intelligence elle-même, pourquoi l'appeler l'Etre Intelligent? Parce que c'est un Etre, ce n'est pas une chose, ce n'est pas une condition. C'est d'abord L'Etre, et puis toutes les conditions et toutes choses. C'est une grande erreur de la part de l'homme quand il se considère lui-même comme un être, une personne, et reconnaît sa propre personnalité et quand il dit en ce qui concerne la source et le but de toutes choses: "C'est une force, c'est une intelligence". Les gens veulent tellement s'éloigner de l'idée qui consiste à reconnaître une Personne derrière tout, qu'ils préfèrent dire "les dieux" au lieu de Dieu. Au lieu de L'appeler l'Etre Divin, ils disent: "les forces". Ils voudraient changer en pluralité la source et le but qui demeure, à travers le processus entier et tous les stades d'évolution, seul et unique. L'Unicité de l'Esprit est si grande que même dans ce monde de variété où il y a des millions et des milliards d'êtres sous la forme humaine, pourtant chaque homme est unique; il n'y a personne dont on pourrait trouver quelque part dans le monde, l'identique. Cette nature est la preuve que derrière cette manifestation, derrière ce monde de variété, il y a Un Seul Esprit et il y a Un Seul Etre.

 

On pourrait demander quelle est alors la relation de l'âme avec cet Etre que nous appelons Dieu? La relation entre une âme et l'Esprit est la même qu'entre le soleil et les rayons. Il y a de nombreux rayons et pourtant c'est le même soleil. C'est seulement une manifestation du soleil qui a pris la forme de la variété. Au centre Il reste le même Etre Unique, mais en se répandant au-dehors Il devient plusieurs. Vous pouvez l'appeler: "nombreux rayons", mais c'est le même soleil, il est Unique. Mais si l'on dit: "Alors qu'est-ce que l'individualité?", l'individualité est une condition par laquelle passe l'âme afin de devenir un être humain accompli.

 

L'âme passe par trois conditions. On peut appeler la première le monde angélique, un monde qui est tout près du soleil. L'homme a figuré les anges sous sa propre forme, y a attaché deux ailes et les a placés sur les nuages. Qu'aurait-il pu faire d'autre? Chacun ne peut imaginer quelque chose qu'en accord avec sa propre manière de penser. Personne ne peut penser à une chose nouvelle, il n'y a rien qui soit nouveau. Selon le dicton de Salomon, il n'y a rien de nouveau sous le soleil; c'est une nouveauté imaginaire qu'on appelle "nouveau".

 

En réalité chaque âme doit passer par le plan angélique. Il n'y a aucune âme, si méchante soit-elle, qui ne soit affectée par ce plan à travers lequel elle est passée. Le caractère de ce plan est l'innocence, la joie, l'amour, la sympathie, l'harmonie, la beauté. Ceux qui sont davantage influencés par ce plan montrent aussi sur cette terre des qualités angéliques. Quelquefois nous disons qu'ils sont simples, quelquefois nous disons qu'il sont innocents, et quelquefois nous les appelons de vieilles âmes. Ils montrent les traits de la bonté et de la beauté au long de leur vie. Un homme habile dira qu'ils sont trop bons pour vivre. Peut-être ne sont-ils pas aussi parfaits en ce monde que le monde voudrait qu'ils soient, mais en même temps il y a beaucoup à apprécier chez ces gens qui ont comme qualité principale l'innocence. Quand nous étudions la vie du Christ et des grands êtres, ce qui était le plus grand dans leur personnalité était l'innocence et la simplicité. Il est dans nos habitudes de chercher la complexité, de plus grandes connaissances, une plus grande culture dans des domaines compliqués, nous ignorons la beauté de la simplicité et la vertu de l'innocence. Si quelqu'un me demandait de dire quel est le signe de la spiritualité, je dirais: l'innocence.

 

Quand l'âme se projette plus loin, elle touche le plan des génies. La qualité inventive, le don poétique, la musique, l'inspiration, le talent d'écrire, tous ces genres de facultés appartiennent au plan des génies. Il y en a beaucoup en ce monde qui ont le génie, mais ne peuvent pas avoir de succès parce que, bien qu'ils soient qualifiés, ils n'ont pas assez d'esprit pratique pour vivre dans ce monde. Néanmoins, ils sont grands tout de même dans le travail pour lequel ils sont doués. Au cours de mes voyages dans les pays occidentaux, j'ai eu le privilège de rencontrer quelques grandes personnalités, spécialement quelques musiciens, et ils m'impressionnèrent justement par la même chose que j'avais trouvée en Orient: qu'une grande personnalité est entièrement grande, non pas seulement en ce qu'elle fait, mais en ce qu'elle est. Peut-être qu'un tel être a fait une action qui était grande, et par cela est devenu grand dans sa personnalité. C'est une chose très intéressante à noter. La femme de Debussy m'a dit qu'elle avait à s'occuper des éditeurs pour lui. Il était seulement capable d'écrire; les choses terre-à-terre, il ne pouvait pas s'en occuper parfaitement. Scriabine n'était pas un homme riche, mais son âme était absorbée dans la musique, et il était extrêmement intéressant de parler avec lui de musique en liaison avec la spiritualité. Mais quant aux choses de la terre il en savait très peu.

 

Je ne veux pas dire que l'homme doive être ange ou génie. Je veux seulement dire qu'il y a des personnes qui montrent la profonde impression que leur âme a reçue sur les plans par lesquels elle est passée. L'un aura une impression plus profonde et montrera les qualités de ce plan, un autre ne montrera pas ces qualités.

 

Et ainsi, après être passée par ces deux plans, l'âme se manifeste à la surface: le plan physique. L'âme qui fonctionne parfaitement sur le plan physique est une âme bien équilibrée. Par âme bien équilibrée, je n'entends pas ce qu'on appelle un homme d'esprit pratique ou qui ait du sens commun. Pour être une personnalité complète le sens commun et le sens pratique ne sont parfois pas nécessaires, mais c'est la compréhension du côté plus profond de la vie qui est nécessaire pour donner à l'homme son équilibre.

 

La plus grande erreur de l'éducation moderne est de préparer l'homme à une qualification qui lui permettra de garder ses intérêts dans la vie de compétition. Mais que font-ils? Ils rendent la vie de plus en plus difficile. Imaginez, dans ce pays, les Etats-Unis d'Amérique, qui est un pays plus heureux que beaucoup dans le monde, quelle lutte il y a pour tout le monde, pour les riches et les pauvres aussi bien. A quel point leur esprit est absorbé du matin au soir pour conserver le petit travail qu'ils ont! Les nerfs sont ébranlés, la vie se raccourcit, et à la fin de leur vie ils commencent à penser: "Avons-nous vécu? Nous ne connaissons pas le monde, nous ne connaissons pas la vie". Cette somme de luttes, tout le monde passe par elle; c'est une grande question a considérer.

 

Nombre de personnes que j'ai rencontrées ne savent pas ce qu'elles feront la semaine d'après. Aujourd'hui tout va bien, mais la semaine suivante ils ne savent pas. La vie devient incertaine, leur fardeau plus grand. Que disent-ils? Que nous progressons. Mais vers quoi? Vers la liberté? Non, vers la captivité. Un fardeau de plus en plus grand de devoirs et de responsabilités est mis sur leurs épaules. Pour comprendre avec justesse le liberté, l'on doit regarder dans une autre direction. Pour voir la lune on ne doit pas regarder par terre, il faut regarder dans une autre direction.

 

Vous pourrez lire une seule et même chose dans la Bible, le Coran et le Vedanta, et c'est: "Meurs avant la mort". Qu'est-ce que cela veut dire? Quelque chose que l'homme d'aujourd'hui ne connaît pas et ne se soucie pas de connaître. Le thème central de la vie d'aujourd'hui est l'affirmation de soi-même. Quand quelqu'un parle de lui-même il veut se rendre dix fois plus important qu'il n'est. Il n'y peut rien; s'il ne le fait pas les autres ne comprendront pas. J'ai entendu un homme dire à un autre: "Votre modestie est votre plus grande infortune". Chacun doit s'affirmer, garder sans cesse ses propres intérêts, seulement pour vivre. Il y en a beaucoup qui triment du matin au soir, gardant leurs intérêts et ne pensant à rien d'autre. Et pourquoi tout cela? Afin d'exister. Même les larves et les vers existent et jouissent bien plus de la vie. Les oiseaux volent dans l'air, ils sont très heureux. L'homme charge son cœur de mille tracas, rendant ses responsabilités plus grandes, et que gagne-t-il? Rien à la fin. Sa santé est abîmée, son esprit en ruine. A la fin il ne sait pas où il est, il ne sait pas où se trouve son esprit. S'il n'a rien ici il n'aura rien dans l'au-delà. Tout cela est nocif; beaucoup meurent dans cet esprit qui n'ont jamais donné une pensée au côté plus profond de la vie. Non pas qu'ils ne s'en souciaient pas, mais ils ne pouvaient pas, ils avaient trop à faire dans la vie.

 

Les mots "meurs avant la mort" ne veulent pas dire: suicide-toi. Ils veulent seulement dire: jouer à la mort. En jouant à la mort on adoucit cet ego qui s'affirme et qui est le pire ennemi de l'homme. Et personne ne peut imaginer, à moins qu'on ne l'ai pratiqué, quel bénéfice on recueille en écrasant ce pire ennemi, quel bénéfice on recueille quand on peut dire avec raison: "faire la guerre avec un autre est la guerre, faire la guerre avec soi-même est la paix". Jouer à la mort veut dire le déni de soi. Je n'entends pas par déni de soi se priver de toute la beauté, de tout le confort et de tous les bonheurs de cette terre, car si quelqu'un refusait toute la beauté et tout le confort de la terre, il pourrait rester égoïste. Ce qu'il devrait refuser est son ego.

 

Il y a une histoire qui exprime plus clairement cette idée. Un roi avait un perroquet favori. Le roi et la reine l'aimaient, l'admiraient et en prenaient grand soin. Un jour le roi se préparait à aller chasser dans les bois et il dit au perroquet: "S'il te plaît, perroquet, je vais dans ces bois d'où l'on t'a ramené ici. Y a-t-il quelque message que je puisse donner à tes frères?". Le perroquet répondit: "Oui. Je vous serais très obligé de bien vouloir leur donner ce message. Dites-leur, je vous prie: je suis très malheureux depuis que je vous ai tous quittés. Je languis après cette liberté dont je jouissais dans les bois et après cette compagnie avec mes frères. Bien que le roi et la reine soient très bons pour moi, ils me gardent dans une cage dorée". Une fois arrivé dans les bois le roi regarda alentour et dit: "Perroquets, l'un de vos frères est dans mon palais et vous envoie un message. Il est malheureux depuis qu'il vous a quitté et il languit de se trouver dans ces environs où il était libre d'habiter. Mais il ne sait pas s'il sera jamais libre". En entendant cela les perroquets tombèrent l'un après l'autre sur le sol. Le roi fut très impressionné. Au lieu de tuer davantage d'oiseaux il rentra chez lui et dit: "J'ai tué beaucoup de vies en donnant ce message". Il alla voir le perroquet et dit: "Ce message était insensé! Quand je l'ai donné, l'un après l'autre ils sont tombés par terre et ils sont morts". Le perroquet regarda en l'air, poussa un soupir et tomba à son tour. Le roi dit: "J'ai cru le perroquet insensé, mais maintenant je pense que je suis fou d'avoir dit cela. Maintenant j'ai perdu le dernier des perroquets". Il commanda que le perroquet soit enlevé pour être enterré. Mais aussitôt qu'il fut sorti de la cage il s'envola et se percha sur le toit. Le roi dit: "En voilà un perroquet! Tu m'as pris par surprise". Le perroquet répliqua: "Mes amis ne sont pas morts. Ils ont joué à la mort. Ils m'ont donné la leçon que je leur avais demandée".

 

Il n'y a pas de liberté sans mort. Tel est le secret des Soufis, des penseurs, des mystiques, de ceux qui sont arrivés à la connaissance de la réalité. Au lieu d'attendre jusqu'après la mort, ils ont joué à la mort ici sur la terre, et ils sont arrivés à cette connaissance en faisant réellement cette expérience: jouer à mourir avant la mort. Vous pourriez demander: "Est-ce difficile? Est-ce vraiment difficile?". Non pas. Un bon acteur est celui qui s'oublie entièrement sur scène. Un bon musicien est celui qui s'oublie lui-même. Au moment où il est dans la musique, son âme devient musique; il n'est pas là. Tous ceux qui ont fait de grandes œuvres dans la vie ont pratiqué le déni de soi. Sans déni de soi personne n'a rien atteint. N'est-ce pas jouer à la mort? Certainement. C'est une sorte de mort quand une personne ne pense pas à elle-même mais à la chose qu'elle veut accomplir. Il y en a beaucoup en ce monde qui ne savent pas jusqu'à quel point ils ont avancé spirituellement même en faisant des choses matérielles.

 

Un jour durant mes voyages j'ai été l'hôte d'un homme d'affaires. Tout sa vie il n'avait rien fait qu'avoir des succès dans son affaire. Tandis que je parlais avec lui, il me parla de la plus profonde philosophie qu'on puisse exprimer. Cela me donna la preuve de ce que j'ai toujours cru: que quoi que vous fassiez, quoi que vous fassiez à fond, cela signifie que vous avez joué à la mort. Quelle patience il faut pour accomplir vraiment quoique ce soit, quel sacrifice est nécessaire! A quel point on doit y être absorbé, combien faut-il y penser! Celui qui le fait sait ce que c'est. Même à travers des choses terrestres une personne en vient à comprendre des idées philosophiques, la vérité spirituelle, si les choses sont faites à fond. Mais les touche-à-tout et les remueurs de vent n'accomplissent rien, que ce soit matériel ou spirituel.

 

Néanmoins, le temps est venu où l'aspect plus profond de la vie ne doit pas être rejeté. On ne doit pas rester ignorant de quelque chose qui est des plus intéressants, des plus importants; connaître le sens réel de la liberté et comprendre le but de la vie.

 

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La liberté de l'âme

 

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