La vie de l'homme |
Puisque l'homme est l'être idéal parmi les autres créatures, qu'elles soient plus basses ou plus élevées, visibles ou invisibles, faire l'expérience de sa vie est un plus grand privilège que celui qui est accordé à tous les autres êtres.
L'homme passe dans sa vie par deux périodes, celle de la lumière et celle de l'obscurité. Pendant la période d'obscurité, il cesse de penser à la source d'où il est venu comme à sa destination et pourquoi il est envoyé ici pour errer pendant quelque temps; et si il a été envoyé par quelqu'un, ou s'il est venu de son plein gré; ni si il restera ici pour toujours, ou bien si quelque jour sa vie s'éteindra; ni où il était avant de se connaître, ni où il sera dans l'après-vie.
L'homme par son expérience de la vie à travers les sens se lie lui-même par un sortilège d'avidité. Ce dont une fois il jouit, il veut l'avoir encore et encore, et il développe tellement cette avidité qu'il sacrifie les autres pour des voisins, et des voisins pour son entourage, et son entourage pour son moi. Ainsi il vit pour le moi, il travaille pour le moi jusqu'à ce que l'obscurité le gagne au point qu'il ne peut ni satisfaire les autres ni lui-même.
Les maîtres de l'humanité ont prescrit un seul remède pour dissiper cette obscurité, et c'est la charité, qui par sa pratique élargit la sympathie d'une personne depuis son moi jusqu'au monde entier. Elle devient alors l'amie de tous. C'est ainsi que l'homme habite du côté de la lumière et qu'à ses yeux la vérité de l'existence est révélée. Chaque chose et chaque être lui parle et il connaît le langage de l'homme, de la bête et de l'oiseau, et même de toutes choses dans l'univers.
Puis il réalise l'illusion de son moi et de l'univers. Son âme éclairée veut se purifier de cette illusion. Ainsi un Soufi, par une sage pratique de l'abstinence et du contrôle, et avec l'aide du son, se dirige graduellement vers le but éternel.
Le voyage vers le but traverse pour un Soufi les mêmes plans et les mêmes phases qu'il a jadis traversés une fois auparavant et qu'il a toujours possédés, cachés dans sa nature. Un aspirant commence son voyage vers le but à cause de sa souffrance et de son impuissance causées par le contact avec le monde. Cela signifie la vieillesse de l'âme. Puis il devient plein de considération en chaque action et mouvement, ce qui représente l'âge moyen. Dans cette phase il se sent beaucoup plus responsable dans la vie, davantage encore qu'un adulte chargé des responsabilités d'un foyer. Après cela il jouit d'une fraîcheur, d'une jeunesse perpétuelle qui augmente en lui à chaque moment de sa vie. Puis il développe une nature d'enfant, qui ne se soucie pas de l'opinion des autres, toujours en fête dans son jeu. A la fin il développe l'innocence, acquérant les qualités d'un petit enfant qui est l'ami de tous, l'ennemi de personne, et qui est pur de toutes les misères et anxiétés de la vie.
Un Soufi doit voyager du plan humain au plan animal. Il le montre par sa force et son pouvoir, qu'il absorbe de l'espace. Il éprouve davantage de vitalité et vit une santé parfaite. Il est par nature davantage enclin à toutes les activités matérielles. Le moindre ennui lui cause irritation et colère. Il est prêt à combattre pour ce qu'il considère comme vrai. Puis il devient comme un animal herbivore. Il sert quelqu'un d'autre comme un cheval ou un chameau, ne demandant pas de quel droit il est commandé, puis il se développe même à l'instar d'un mouton ou d'une chèvre, vivant dans un troupeau, la tête penchée par le poids de ses pensées, prêt à tout moment à être sacrifié pour le bénéfice d'un autre. Il développe ensuite la nature de l'oiseau et plane dans les sphères de l'imagination, tout à fait inconscient de la terre et de ce qui l'entoure. Il cherche la société de ceux qui ont les mêmes intérêts, comme un oiseau est avec un autre oiseau, et il fait sa demeure très haut dans le monde de la pensée, comme est le nid d'un oiseau dans les hauteurs d'un arbre. Il avance encore et devient comme un insecte, admirant l'Immanence de Dieu dans la nature, et absorbant le ravissement qui vient de la sagesse divine, comme une abeille fait son miel des fleurs. Et comme un papillon de nuit il se concentre sur la lumière et rôde autour d'elle jusqu'à ce que son moi soit sacrifié dans la vision de son amour. A la fin il devient comme un ver, un objet qui gît sous les pas du promeneur; chacun peut le fouler aux pieds s'il le veut. Il ne se soucie ni de lumière ni de connaissance, car il est passé loin au-delà.
Un Soufi passe dans son voyage de retour par le règne végétal. Il devient inoffensif, utile, il acquiert des propriétés médicinales et curatives, et le sacrifice de soi pour les buts d'autrui - et toutes ces qualités du végétal. Il montre dans sa personnalité la douceur du fruit, le parfum, la couleur et la délicatesse de la fleur.
Puis il acquiert la qualité du roc, lorsque, quel que soit le but pour lequel on l'utilise, cela n'a pas d'effet sur lui, que ce soit pour couronner le dôme ou pour les fondations de l'édifice. Ni le climat, ni le jour ni la nuit ne peuvent l'affecter, et le chagrin et la souffrance ne peuvent pas le toucher. Il devient libre de tout ce qui pourrait l'affecter.
Puis un Soufi arrive à une condition où il séjourne dans une étoile, une planète, la lune ou le soleil. En d'autres termes il devient lui-même âme. Sa qualité d'étoile l'éclaire, sa qualité de planète produit à l'intérieur de lui-même un monde qui lui appartient, sa qualité de lune fait qu'il devient le récepteur de toute la lumière divine et sa qualité de soleil produit dans sa voix, sa parole et son regard le pouvoir d'illumination.
Le Soufi, allant plus loin dans son voyage, acquiert la qualité de Insân, car tout homme ne peut pas être Insân tant qu'il n'a pas réalisé la nature du monde et le motif de la vie. Puis il atteint la vie du Djinn, faisant l'expérience de la joie dans la connaissance, devenant libre de toute convoitise. Après quoi il acquiert la qualité de Gulman, lorsqu'il crée la vision du paradis en lui-même. Après quoi il atteint la qualité toute-pénétrante du son, communiquant avec tous les coeurs et toutes les âmes de l'univers comme il peut le souhaiter. Il devient aussi un esprit dans tous ses aspects.
Ensuite un Soufi acquiert la qualité de Conscience, conscient et éveillé dans toutes les phases de la vie, jusqu'à ce qu'il acquière la qualité de l'Inconscience où il peut être ignorant de tout signe de vie.
Dans le chemin du Soufi se dressent généralement beaucoup d'obstacles pendant son voyage. La tendance au confort et à convoiter les choses, les maladies, la vanité et le déséquilibre, un extrême intérêt pour l'extase, et en outre la curiosité pour les phénomènes, le désir de capter l'attention du monde et l'adulation de l'entourage, la tendance à une apparence spirituelle, l'habitude de faire des prédictions, et le penchant pour le rôle de guérisseur, tout cela empêche le progrès d'un Soufi. Un désir pour se faire un nom et avoir de nombreux adeptes, se reposer sur le groupe des fidèles, une tendance à l'argumentation et à la discussion doit surtout être évités pour un Soufi. Une simple demeure dans la solitude, le peu de choses indispensables pour faire sa vie et la nourriture la plus simple qu'on puisse servir parmi les gens présents à chaque moment, sont nécessaires. La vie de réclusion, le silence, l'abstinence et une moindre tendance pour tous les conforts terrestres sont désirables. La charité, l'indépendance, le pardon, l'indifférence, la tolérance et le détachement sont des attributs très utiles. La résignation à la volonté de Dieu en même temps que le jeûne, et le contentement avec un continuel courant d'amour et une vision de Dieu constante sont les qualités très nécessaires pendant son voyage vers le but. Une justice impartiale, le sens de l'harmonie et une inclination réelle pour la paix sont les qualités nécessaires pour un voyageur sur ce chemin.
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