Le cœur, qui, dans la terminologie soufie, est appelé un miroir, a deux modes d'action. Tout ce qui se reflète dans le cœur n'y demeure pas seulement comme une réflexion, mais comme une force créatrice, qui produit un phénomène similaire. Par exemple, un cœur qui retient l'image d'une rose, et la réfléchit, trouvera des roses partout. Des roses seront attirées vers ce cœur, des roses seront produites par lui, et pour lui. En devenant plus forte, cette réflexion deviendra alors créatrice du phénomène «rose». Le cœur qui retient et réfléchit une blessure trouvera des blessures partout; il les attirera, les créera, car telle est la nature du phénomène de la réflexion.

Ceci explique la superstition très répandue selon laquelle une personne chanceuse porte bonheur, tandis qu'une personne malchanceuse amène la mauvaise fortune. Comment cela se fait-il? C'est que celui qui a la réflexion de la malchance la crée; où qu'il aille, il produit l'infortune autour de lui. Une maîtresse de maison me dit un jour: «Depuis qu'une servante est entrée chez nous, il y a tous les jours des verres et des assiettes qui cassent. Tout s'abîme et est détruit!». J'en voyais bien la raison, et je lui dis: «Aussi longtemps que cette personne vivra chez vous, cela continuera». On voit aussi souvent quelqu'un entrer dans les affaires, dans une entreprise, sans avoir beaucoup de capacités, et depuis qu'il s'est associé à cette entreprise, les affaires croissent tous les jours.

Plus nous étudions ce phénomène, plus nous constatons que si quelque chose se reflète dans notre mental, nous le réfléchissons sur la vie extérieure; et chaque sphère que notre cœur touche reçoit une charge de ce reflet. Un homme dont le cœur réfléchit la joie rendra les gens heureux, où qu'il aille. Les affligés, ceux qui sont troublés, les déçus, ceux qui ont le cœur brisé, tous commencent à revivre; leurs âmes reçoivent de la nourriture parce que cette personne réfléchit sa joie sur eux. Celui qui réfléchit la souffrance et la dépression les répand autour de lui, rendant son entourage triste et malheureux; et la vie est telle qu'il n'y a pas de fin aux douleurs, souffrances et chagrins. Ce qu'il nous faut, ce sont des âmes qui réfléchissent la Joie, afin de nous libérer de nos peines.

Il y a un autre aspect du phénomène de la réflexion: «On devient ce que l'on pense», (Bible, Proverbes 23: 7) on s'identifie à sa propre pensée, et ainsi on s'en approprie l'objet, qui devient une partie du caractère. Un enfant qui a été impressionné par des soldats jouera au soldat, et une fois adulte, deviendra soldat: le caractère du soldat s'est développé en lui. Un enfant qui a été impressionné par un artiste, par son art et sa personnalité, a reçu son reflet, qui croît en lui; et en grandissant, le sens artistique se développera en lui, et il deviendra artiste. Quand vous lisez la biographie des grands poètes, philosophes, musiciens, leur valeur exceptionnelle vient-elle seulement de leurs études, de leurs exercices, ou du don qu'ils ont reçu? Bien souvent, cela vient de l'impression que quelqu'un d'autre a produite sur eux, et dont le reflet s'est développé graduellement dans leur cœur, faisant apparaître dans leur âme les traits de caractère de celui qui les avait impressionnés.

On en trouvera d'innombrables exemples dans l'histoire du monde, mais surtout dans le travail spirituel, qui est un travail que l'on ne pourrait accomplir par toute une vie d'étude, ni achever par cent ans de méditation dans la solitude. Essayer d'atteindre à la connaissance spirituelle par la seule méditation ou l'étude est comme déclarer: «Je vais créer un langage pendant la durée de ma vie». Personne n'a encore pu parfaire la création d'une langue en une seule existence. C'est la tradition qui crée une langue; il a fallu des siècles pour que les hommes la développent. Cela ne peut être le fait d'une seule personne: chacun en a hérité, l'a acquise. De même, c'est en le reflétant que l'on développe l'attribut propre à l'objet de ses pensées.

Il y a maints exemples, de par le monde, où des gens, en se concentrant sur une pensée, sont arrivés à matérialiser une idée sur le plan physique. C'est parce que le phénomène de la réflexion ne consiste pas uniquement en une image reproduite sur le miroir, mais parce que la réflexion faite sur le cœur est prodigieusement puissante: elle est la vie même, et elle est créatrice. Ainsi, la personne qui a compris le secret de la réflexion a compris le mystère de la vie.

Question: En parlant de la personne qui cassait tant de choses, pourrait-on arrêter cela en lui envoyant un autre reflet?

Réponse: Le premier problème à résoudre est celui qui concerne directement notre propre personne; celui d'autrui vient après. Si nous sommes capables d'effacer les reflets de notre propre cœur, alors nous pourrons enlever ceux du cœur d'autrui. Mais d'abord il faut réussir à débarrasser notre propre cœur des reflets qui obstruent notre chemin.

Pour vous donner un exemple, un homme d'affaires m'a dit: «C'est étrange, il y a comme un maléfice qui me fait toujours échouer. Je ne comprends pas pourquoi. Je suis allé voir des spirites, des voyants, des astrologues. Les uns disaient ceci, les autres cela, je ne peux m'y retrouver». Je lui ai dit: «Le bon et le mauvais sont en vous-même. Écoutez-vous, et découvrez ce qui se passe dans votre mental. Ne serait-ce pas le souvenir d'une perte que vous avez subie? C'est comme une voix qui parle sans cesse dans votre cœur. L'astrologue dira que quelque chose vous environne, le spirite dira qu'il y a un esprit derrière vous. Tout cela peut être vrai ou non, mais ce qui est réel est que, dans votre cœur, une voix continue à dire: «Tu as échoué, tu as échoué!». Pouvez-vous faire taire cette voix? Dès que vous vous serez débarrassé de ce reflet, tout sera bien». Il dit: «Comment faire? Que puis-je faire?». «Ayez de la détermination; promettez-moi que, dès maintenant, vous n'accorderez plus aucune pensée à vos échecs passés. Le passé est passé, le présent est devant vous. Avancez avec confiance et courage, et tout ira bien».

Vous verrez toujours que ceux qui disent: «Tout va mal pour moi», écoutent la voix de leur échec. Dès qu'ils ont réussi à faire taire cette voix, l'échec disparaît. Ils tournent une page nouvelle dans le livre de leur vie et peuvent envisager l'existence avec plus de courage et plus d'espoir. Celui-là est brave, qui, en face d'un millier d'insuccès, se lève en disant: «Cette fois-ci, je n'échouerai pas. Les insuccès n'étaient qu'une préparation pour ma réussite». Tel est l'esprit qu'il faut avoir.

Question: Voudriez-vous nous expliquer davantage ce que vous voulez dire par réflexion?

Réponse: La meilleure explication du mot «réflexion» peut être trouvée dans l'exemple de la projection de l'image d'une lanterne magique sur un écran. Cet écran réfléchit l'image que la lanterne magique y a projetée. De la même façon, notre vie entière est remplie d'une profusion de reflets; du matin au soir, nous vivons sous des projections et des réflexions. La fréquentation de gens agités nous procure de l'agitation. Quelqu'un peut ne pas parler, mais s'il est agité, notre cœur reflète son agitation. De même, le contact avec une personne joyeuse réfléchira la joie de cette personne sur nous.

Un jour, j'ai fait une expérience amusante lorsque je rendais visite au serviteur d'un roi. En entrant dans sa maison, je fus surpris de voir qu'elle était aménagée sur le modèle du palais. Puis la façon dont ce serviteur arriva, sa façon de me conduire dans la maison, de m'offrir un siège, chaque geste, chaque parole, étaient royaux. Comment cela se faisait-il? Étant toute la journée en présence du roi, il le reflétait.

Cela nous arrive constamment à notre insu. Parfois, nous avons perdu une personne de vue, mais nous continuons à la refléter. C'est ainsi que peuvent s'expliquer certaines tendances à faire du mal, ou à rire, ou à pleurer, sans raison apparente. Tout cela est dû à des phénomènes de réflexion.

Question: Est-ce qu'une réflexion est un acte voulu par celui qui projette, ou est-ce que cela se produit inconsciemment?

Réponse: Les deux cas sont possibles. Il arrive parfois qu'il y ait une action consciente de la part de celui qui projette, mais inconsciemment cela se produit sans cesse. Prenons le cas d'une personne à l'esprit religieux, pacifique, bienveillant, dont on essayerait de réfléchir le mental. Il va se réfléchir tout seul sur ceux qui entrent en contact avec lui, et ils vont emporter ce reflet en eux. Les uns l'absorbent et le conservent, d'autres le perdent. Mais si l'on ne choisit pas consciemment le reflet que l'on veut garder et celui que l'on veut rejeter, il est possible de prendre un reflet de tristesse, un reflet de chagrin, toutes sortes de reflets indésirables, et de les garder, du seul fait qu'on les a reçus. C'est pourquoi il faut savoir que la vie entière est pleine de projections et de réflexions que nous recevons du matin au soir: de ceux qui nous sont proches et chers, de ceux qui ne nous aiment pas et qui nous haïssent, et de ceux qui ont trépassé.

On peut se demander: est-ce une bonne chose que de les recevoir? Il est impossible de les éviter! Que vous l'estimiez souhaitable ou non, c'est ainsi. Si notre cœur est clair, nous recevons consciemment, et le reflet est net. Si le cœur n'est pas clair, nous recevons inconsciemment, et le reflet est brouillé, mais nous ne pouvons l'éviter. Un gong et un morceau de bois, par exemple, recevront tous deux des vibrations; or le premier est sonore et résonnera, mais pas le second. Pourtant tous deux ont été atteints de la même façon. Si le cœur est assez limpide pour recevoir des reflets pleinement et clairement, alors on peut choisir soi-même ce que l'on veut conserver, et ce que l'on veut repousser.