La réalisation spirituelle avec
l'aide de la musique |
Avant de commencer ce sujet, je voudrais d'abord expliquer ce que veut dire le mot "spirituel". Est-ce la bonté que l'on peut appeler spirituelle, ou bien est-ce accomplir des prodiges, pouvoir provoquer des miracles, ou une grande puissance intellectuelle? La réponse est non. La vie entière en tous ses aspects est une seule musique, et s'accorder soi-même à l'harmonie de cette parfaite musique est la vraie réalisation spirituelle.
Vous pourriez demander: "Qu'est-ce qui retient l'homme d'arriver à la réalisation spirituelle? L'on répondra que c'est la densité de cette existence matérielle, et le fait que l'homme est inconscient de son être spirituel - divisé qu'il est par des limitations. Cela empêche le libre écoulement et le libre mouvement qui sont la nature et le caractère de la vie.
Que veux-je dire par cette densité? Voici un roc, et vous voulez en tirer un son. Il ne donne pas de résonance, il ne répond pas à votre désir de produire un son, mais la corde ou le fil répondront au ton que vous désirez. Vous les frappez et ils répondent. Il y a des objets qui donnent résonance au son. Vous désirez en tirer un son et ils résonnent; ils rendent votre musique complète.
Ainsi en est-il de la nature humaine. Un individu est lourd et borné. Vous lui dites une chose, il ne peut comprendre; vous lui parlez, il n'entend pas. Il ne répondra pas à la musique, à la beauté ou à l'art. Qu'est-ce que c'est? C'est la densité. Il y a une autre personne qui est prête à apprécier et à comprendre la musique et la poésie, ou la beauté sous quelque forme que ce soit. Dans le caractère, dans les manières, en toute ses formes, la beauté est appréciée par une telle personne. C'est cela qui est l'éveil de l'âme, qui est la condition vivante du coeur, et c'est cela qui est la réalisation spirituelle réelle. La réalisation spirituelle consiste à rendre vivant l'esprit, à devenir conscient. Quand l'homme n'est pas conscient de l'âme et de l'esprit, quand il est seulement conscient de l'être matériel, il est dense, il est loin de l'esprit.
Vous pouvez demander: "Qu'est-ce que l'esprit et qu'est-ce que la matière?" La différence entre l'esprit et la matière est semblable à la différence entre l'eau et la neige. L'eau gelée est de la neige, et la neige fondue est de l'eau. C'est l'esprit dans son état de densité que nous appelons matière, et c'est la matière sous son état subtil que nous appelons esprit. Un jour un matérialiste me dit: "Je ne crois pas en quelque esprit, âme ou au-delà que ce soit. Je crois à la matière éternelle". Je lui dis: "Votre croyance n'est pas très différente de la mienne. Seulement, ce que vous appelez matière éternelle, je l'appelle esprit. C'est une différence dans les termes. Il n'y a pas lieu d'en discuter, car nous croyons tous deux en l'éternité. Tant que nous nous rencontrons dans l'éternité, quelle différence cela fait-il si l'un l'appelle matière et l'autre l'appelle esprit? C'est une seule vie du commencement à la fin".
La beauté est née de l'harmonie. Qu'est l'harmonie? L'harmonie est juste proportion, en d'autres termes, juste rythme. Et qu'est la vie? La vie est le produit de l'harmonie. A l'arrière-plan de toute la création il y a l'harmonie, et le secret entier de la création est l'harmonie. L'intelligence languit d'atteindre la perfection de l'harmonie. Ce que l'homme appelle le bonheur et le bien-être, ou le profit et le gain - tout ce à quoi il souhaite atteindre - est harmonie. A un degré plus ou moins grand il languit pour l'harmonie; même en atteignant des choses tout à fait terrestres il souhaite toujours l'harmonie. Mais souvent il n'adopte pas les bonnes méthodes. Souvent ses méthodes sont mauvaises. L'objet atteint par les bonnes et les mauvaises méthodes est le même, mais la manière grâce à laquelle on essaye de l'atteindre transforme l'objet en bon ou en mauvais. Ce n'est pas l'objet qui est mauvais, c'est la manière que l'on adopte pour l'atteindre. Personne, quelle que soit sa situation dans la vie, ne désire la disharmonie, car toute souffrance, douleur et malheur est disharmonie.
Atteindre à la spiritualité est réaliser que l'univers entier est une seule symphonie dans laquelle chaque individu est une note. Son bonheur consiste à parvenir à une parfaite harmonie avec la symphonie de l'univers. Ce n'est pas de suivre une certaine religion qui rend quelqu'un spirituel, ni d'avoir une certaine croyance, ni d'être fanatiquement attaché à une idée unique, ni de devenir trop bon pour vivre en ce monde. Il y a bien des personnes bonnes qui ne comprennent même pas ce que la spiritualité veut dire. Elles sont très bonnes mais elles ne connaissent pas encore ce qu'est le bien ultime. Le bien ultime est l'harmonie même. Par exemple tous les principes différents et toutes les différentes croyances des religions de ce monde enseignés et proclamés par les prêtres et les instructeurs - mais que les hommes ne sont pas toujours capables de suivre et d'appliquer - viennent naturellement du coeur d'un homme qui s'accorde au rythme de l'univers. Chacune de ses actions, chaque mot qu'il prononce, tout ce qu'il ressent, chaque sentiment qu'il exprime, tout cela est harmonie, tout cela est vertu, tout cela est religion. Ce n'est pas de suivre une religion, c'est de vivre une religion, de faire de sa vie une religion, qui est nécessaire.
La musique est la miniature de la totale harmonie de l'univers, car l'harmonie de l'univers est par elle-même musique, et l'homme, étant la miniature de l'univers, doit montrer la même harmonie. Dans sa pulsation, dans les battements de son coeur et dans sa vibration il montre le rythme et le ton, des accords harmonieux ou inharmonieux. Sa santé ou sa maladie, sa joie ou son mal-être, tout montre la musique ou le manque de musique dans sa vie.
Qu'est-ce que la musique nous enseigne? La musique nous aide à nous entraîner d'une manière ou d'une autre à l'harmonie, et c'est cela qui est la magie, ou le secret à l'arrière-plan de la musique. Quand vous entendez une musique que vous aimez, elle vous accorde et vous met en harmonie avec la vie. Par conséquent l'homme a besoin de la musique; il désire la musique. Il y en a beaucoup qui disent qu'ils ne se soucient pas de musique, mais ceux-là n'ont pas entendu la musique. Quand ils entendront réellement la musique elle touchera leur âme, et alors ils ne pourront certainement pas s'empêcher de l'aimer. Si cela n'est pas, cela signifie seulement qu'ils n'ont pas assez entendu de musique, et qu'ils n'ont pas rendu leur coeur calme et tranquille afin de l'entendre, de l'aimer et de l'apprécier. Par ailleurs la musique développe cette faculté grâce à laquelle l'on apprend à apprécier tout ce qui est bon et beau. Sous la forme de l'art ou de la science, sous la forme de la musique ou de la poésie, sous toute forme de beauté l'on peut alors l'apprécier. Ce qui prive l'homme de toute la beauté qui l'entoure est la pesanteur de son corps, ou la pesanteur de son coeur. Il est précipité sur la terre, et par cela toute chose devient limitée. Quand il secoue cette pesanteur et se sent joyeux, il se sent léger. Toutes les bonnes tendances, comme l'amabilité et la tolérance, le pardon, l'amour et l'appréciation - toutes ces belles qualités - viennent en étant léger, léger dans le mental, l'âme et le corps.
D'où vient la musique? D'où vient la danse? Elle viennent de la vie spirituelle naturelle qui est au-dedans. Quand cette vie spirituelle se manifeste, elle allège tous les fardeaux de l'homme. Elle rend sa vie agréable, flottant sur l'océan de la vie. La faculté d'appréciation rend quelqu'un léger. La vie est tout à fait comme l'océan. Quand il n'y a aucune appréciation, aucune réceptivité, l'homme coule comme un morceau de fer au fond de la mer. Il ne peut flotter comme le bateau qui est creux, qui est réceptif.
La difficulté dans le chemin spirituel est toujours ce qui vient de nous-mêmes. L'homme ne veut pas être un élève, il aime à être un maître. Si l'homme savait seulement que la grandeur et la perfection des grands êtres qui sont venus d'âge en âge vers ce monde, résidait dans leur faculté d'être des élèves, et non pas d'enseigner! Plus grand était le maître, meilleur élève il était. Il apprenait de chacun, du grand et du petit, du sage et du sot, du vieux et du jeune. Il apprenait par leur vie, et étudiait la nature humaine dans tous ses aspects.
Celui qui apprend à suivre le sentier spirituel doit devenir comme une coupe vide afin que le vin de la musique et de l'harmonie puisse être versé dans son coeur. Vous pourrez demander: "Comment devient-on une coupe vide?" Je vous indiquerai comment les coupes se montrent pleines au lieu d'être vides. Quelqu'un vient souvent à moi en disant: "Me voici. Pouvez-vous m'aider spirituellement?" Et je réponds oui. Mais il dit alors "Je veux avant tout savoir ce que vous pensez de la vie et de la mort, ou du commencement et de la fin" Ensuite de quoi je me demande quelle sera son attitude si ses opinions préconçues ne s'accordent pas avec les miennes. Il veut apprendre, pourtant il ne veut pas être vide. Ce qui revient à aller à un cours d'eau avec son récipient fermé: vouloir de l'eau et pourtant avec un récipient fermé, rempli d'idées préconçues. D'où viennent les idées préconçues? Aucune idée ne peut être donnée comme étant la nôtre! Toutes les idées ont été apprises d'une source ou d'une autre, mais avec le temps nous en venons à penser qu'elles nous appartiennent. Pour ces idées l'on discutera et l'on argumentera, bien qu'elles ne satisfassent pas pleinement. Pourtant elles sont notre champ de bataille, et sans cesse elles garderont la coupe fermée.
Les mystiques par conséquent ont adopté une manière différente. Ils ont pris une autre direction, et cette direction est l'effacement de soi ou, en d'autres termes, désapprendre ce que l'on a appris. On dit en Orient que la première chose que l'on apprend est de comprendre comment l'on devient un élève. Ils n'apprennent pas d'abord ce qu'est Dieu, ou ce qu'est la vie. On peut penser que de cette manière l'on perd son individualité. Mais qu'est-ce que l'individualité? N'est-ce pas ce qui est emprunté? Que sont nos idées et nos opinions? Ce n'est que de la connaissance empruntée. Cela devrait être désappris.
Comment peut-on désapprendre? Vous pourriez dire que le caractère du mental est tel que ce que l'on apprend est gravé sur lui, alors comment peut-on le désapprendre? Désapprendre est compléter la connaissance. Voir une personne et dire: "Cette personne est méchante", ceci est apprendre. Voir un peu plus loin et reconnaître quelque chose de bon dans cette personne, cela est désapprendre. Quand vous voyez la bonté dans une personne que vous avez appelée méchante, vous avez désappris. Vous avez dénoué ce noeud. Vous avez une fois dit: "Je déteste cette personne", ce qui est apprendre; et puis vous dites "Mais non, je peux l'aimer, ou je peux avoir pitié d'elle". Quand vous dites cela, vous avez vu avec deux yeux. D'abord vous apprenez en voyant avec un oeil; ensuite vous apprenez à voir avec deux yeux. Cela rend la vue complète.
Tout ce que nous avons appris en ce monde est connaissance partielle, et quand cela est déraciné par un autre point de vue, alors nous avons la connaissance sous sa forme complétée. L'on appelle cela mysticisme. Pourquoi l'appelle-t-on mysticisme? Parce qu'on ne peut le mettre en paroles. Les mots nous en montreront un côté, mais l'autre côté est au-delà des mots.
La manifestation entière est dualité, la dualité qui nous rend intelligents, et derrière la dualité il y a l'unité. Si nous ne nous élevons pas au-dessus de la dualité pour aller vers l'unité, nous n'atteindrons pas la perfection que l'on appelle spiritualité.
Ceci ne veut pas dire que notre connaissance ne sert à rien. Elle est d'une grande utilité. Elle nous donne le pouvoir de discriminer et de discerner les différences. Cela rend l'intelligence aiguë et la vue pénétrante, de telle sorte que nous comprenons la valeur des choses et leur utilité. Tout cela fait partie de l'évolution humaine, et tout cela est utile. Ainsi nous devons d'abord apprendre et désapprendre ensuite. Vous ne regardez pas d'abord le ciel quand vous vous tenez sur la terre. Regardez d'abord la terre, et voyez ce qu'elle vous offre à apprendre et à observer, mais en même temps ne pensez pas que le but de votre vie soit rempli en regardant seulement la terre. L'accomplissement du but de la vie consiste à regarder le ciel.
Ce qui est merveilleux dans la musique et qu'elle aide l'homme à se concentrer ou à méditer indépendamment de la pensée. Par conséquent la musique semble être un pont sur le gouffre entre ce qui a forme et ce qui est sans-forme. S'il y a quelque chose d'intelligent, d'efficace, et en même temps de sans forme, c'est la musique. La poésie suggère la forme, la ligne et la couleur suggèrent la forme, mais la musique ne suggère aucune forme.
La musique produit aussi cette résonance qui vibre à travers l'être entier. Elle élève la pensée au-dessus de la densité de la matière; elle transforme presque la matière en esprit, en sa condition originelle, par l'harmonie des vibrations qui touchent chaque atome de notre être entier.
La beauté de la ligne et de la couleur ne peuvent aller que jusqu'à un certain point et pas plus loin. La joie du parfum peut aller un peu plus loin. La musique touche notre être le plus profond, et de cette façon produit une nouvelle vie, une vie qui donne l'exaltation à l'être entier, l'élevant à cette perfection en laquelle réside l'accomplissement de la vie de l'homme.
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