Violences et persécutions |
Avec les progrès de la religion, les persécutions augmentèrent de jour en jour, mais l'intolérance et la haine des Qorayshites envers Mohammed décida Hamza, le fils d'Abd'ul Mutalib, à se convertir à la nouvelle religion. Celui-ci était un valeureux guerrier au cœur pur et généreux dont le peuple craignait l'épée, et qui plus tard offrit sa vie pour la cause de l'Islam. Pas un instant Mohammed ne s'arrêta durant toutes les persécutions, aussi terribles qu'elles fussent, envers lui et ses adeptes qui voyaient à chaque mouvement qu'ils faisaient un gouffre dangereux. Mohammed ne savait rien de ce qu'il adviendrait de lui et de l'ensemble de ses disciples. Absorbé en permanence dans le commandement divin qui lui parvenait du dedans, il ne cessait de le transmettre avec amour et dévotion à son peuple qui ne cessait de s'y opposer. Il prêchait aux gens en paroles brûlantes qui allumaient la sagesse dans le cœur des uns et boutaient le feu de l'enfer dans le cœur des autres. Il parlait des récompenses et des châtiments de l'au-delà. Il décrivait à son peuple matérialiste les délices des cieux et les tortures de l'enfer en des termes et avec des images propres à impressionner leurs esprits - selon ses propres mots bien connus: "Parlez-leur dans leur propre langue." Il leur décrivait les traits et le sort des incroyants et les traits et la félicité promise aux croyants. Il leur rappelait la condition des gens au temps de Ad, de Thamud, de Noé et la colère du ciel qu'ils avaient encourue. Il leur montrait dans la nature les signes par lesquels on reconnaît et on loue le Dieu vivant, le Dieu de l'intelligence. Ceci effrayait certains et consolait certains, en attirait certains et en éloignait certains. Les Qorayshites qui voyaient dans la prédication de Mohammed l'esprit d'une grave révolution étaient sérieusement alarmés. Ils avaient la garde des idoles dont ils étaient les ministres du culte; leur puissance et leur prestige considérables étaient ainsi menacés par la prédication de Mohammed. Leur existence même dépendait du maintien de l'ancienne religion basée sur une croyance aveugle. Impressionnés par les paroles vivantes de Mohammed, ils se voyaient déjà, comme en un miroir, promis à la même déchéance que celle des puissantes nations d'Arabie tombées sous la colère de Dieu. Qui plus est, le ton de Mohammed était profondément démocratique. Sous l’œil de son Dieu, tous les êtres humains étaient égaux, ce qui était bien différent de leurs traditions et menaçait leurs privilèges.
Les Qorayshites cherchèrent donc le moyen d'étouffer le mouvement dans l’œuf. Ils conçurent le projet unanime de tourmenter Mohammed et ses disciples de toutes les manières possibles afin que chacun d'eux soit dans les tourments à quelque moment ou en quelque lieu que ce soit. A l'exception de quelques-uns tels Abu Talib et Abu Bakr qui jouissaient du pouvoir et de la notoriété, les autres furent emprisonnés, affamés et traités avec un grande violence. Les femmes entre autres qu'ils soupçonnaient de suivre Mohammed furent exposées sur le sable brûlant dans la fournaise du désert, jusqu'à ce qu'elles choisissent entre l'adoration des idoles ou la mort. Sous la torture, certains renoncèrent à pratiquer l'Islam ouvertement, mais la plupart des disciples restèrent inébranlables malgré leurs souffrances, et parmi eux Bilal, le premier muezzin de l'Islam, qu'ils exposèrent tête nue, la face tournée vers le soleil brûlant. Ils lui mirent un énorme bloc de pierre sur la poitrine et lui dirent: "Tu resteras là jusqu'à ce que tu meures ou que tu abjures l'Islam." Mais à l'article de la mort Bilal répondait: "Un Dieu, Un Seul." Ils tuèrent beaucoup de disciples et en torturèrent beaucoup, et Mohammed était le témoin de toutes ces souffrances, endurées avec patience et dans la ferme conviction en Dieu et en Son apôtre par ces martyrs de la vérité. La dévotion de certains de ses disciples était remarquable entre toutes. On raconte qu'on demanda à l'un des disciples que l'on mettait à mort s'il préférerait que Mohammed soit torturé à sa place. Au plus fort de la souffrance, il répondit: "Je ne demanderais pas de rester avec ma famille et mes enfants en échange d'une seule piqûre d'épine faite à Mohammed."
Ainsi les Qorayshites ne reculaient devant rien pour parvenir à leurs fins. Voyant Mohammed très tourmenté et pensant qu'il cèderait peut-être à leurs désirs, ils entreprirent de le tenter, croyant que les honneurs et la richesse pourraient détourner Mohammed de la mission de sa vie. Ils déléguèrent l'un des chefs arabes de l'opposition afin d'arriver à un compromis. Celui-ci dit à Mohammed: "Tu es réputé par tes qualités et ta naissance et voilà que tu as semé la division dans notre peuple et la discorde dans nos familles. Tu dénonce nos dieux et nos déesses, tu taxes nos ancêtres d'impiété. Nous avons une proposition à te faire. Réfléchis bien si tu n'aurais pas intérêt à l'accepter. Si tu désires obtenir la richesse, nous rassemblerons pour toi une fortune plus grande que celle qu'aucun d'entre nous ne possède. Si tu désires les honneurs et la gloire, nous ferons de toi notre roi. Mais si l'esprit qui t'obsède ne peut être maîtrisé, nous t'enverrons des médecins et nous leur donnerons une fortune pour te guérir." Mohammed répondit: "Au nom du Dieu de miséricorde, ceci est la révélation du Tout-Miséricordieux. C'est un livre dont les versets sont clairement expliqués, un Coran en Arabe pour instruire ceux qui comprennent; il contient de bonnes nouvelles et annonce des menaces. Mais la majorité des gens s'en détourne et ne veut pas l'entendre. Ils disent: 'Nos cœurs sont fermés à la doctrine que tu nous proposes; un rideau est tombé entre nous et toi. Fais donc comme tu l'entends, mais nous agirons conformément à nos idées'. Dis, en vérité, je ne suis qu'un homme comme vous. A travers moi il est révélé que votre Dieu est un Dieu unique. C'est pourquoi allez droit vers Lui et demandez-Lui pardon pour le passé. Et que la guerre soit déclarée aux idolâtres qui ne donnent pas l'aumône prescrite et qui ne croient pas dans la vie future. Quant à ceux qui croient et qui pratiquent la vertu, ils recevront une récompense éternelle. Voilà ce que tu as entendu. Maintenant prends la direction que tu juges la meilleure."
Voyant que la position de ses malheureux disciples devenait de jour en jour plus intenable, Mohammed leur conseilla de se chercher refuge dans le royaume voisin des Chrétiens d'Abyssinie dont il connaissait l'hospitalité et la tolérance. Certains d'entre eux suivirent immédiatement son conseil. Les Qorayshites, que le patriotisme rendait jaloux de leur religion et de leurs dieux, furent furieux d'apprendre leur fuite. Ils envoyèrent leurs ambassadeurs au roi d'Abyssinie pour lui demander d'extrader ces réfugiés, qu'ils avaient décidé de passer par l'épée pour avoir abandonné leur ancienne religion au profit de la nouvelle foi. Après avoir entendu les ambassadeurs, le roi demanda si la déclaration des Qorayshites était exacte. "Quelle est cette religion pour laquelle vous avez abandonné la foi de vos ancêtres?", demanda-t-il. Jaffr, le chef du groupe des réfugiés, parla: "O roi, nous étions plongés dans les profondeurs de l'ignorance et de la barbarie. Nous adorions des idoles, nous vivions dans la débauche, nous mangions des viandes mortes, nous disions des horreurs. Nous ignorions tout sentiment d'humanité ainsi que les devoirs de l'hospitalité et du voisinage; notre seule loi était la loi du plus fort. Quelqu'un dont nous connaissons la naissance et la bonne foi, l'honnêteté et la pureté, nous a révélé l'unicité de Dieu et nous a appris de ne rien Lui associer. Il ne prétend pas être supérieur à un homme ordinaire, mais il prêche et il enseigne. La religion qu'il enseigne - dit-il - est la même que la religion d'Adam, la même que la religion d'Abraham, la même que la religion du Christ. Le même Livre commencé au temps d'Adam fut poursuivi par Abraham, par Moïse et par tous les prophètes et se termine par Mohammed. Il nous a défendu d'adorer les idoles et nous a recommandé de dire la vérité, d'être indulgents et de respecter les droits de nos voisins. Il nous a défendu de dire du mal de la femme, de manger la subsistance des orphelins. Il nous a ordonné de fuir le vice et de nous abstenir de faire le mal. Il nous a ordonné d'offrir nos prières, de pratiquer l'aumône, d'observer le jeûne. Nous avons cru en lui, nous avons accepté ses enseignements et ses injonctions d'adorer Dieu à l'exclusion de tout autre. C'est pour cela que notre peuple s'est élevé contre nous et nous a persécutés pour nous faire abandonner l'adoration de Dieu et revenir au culte des idoles de pierre et de bois et à d'autres abominations. Ils nous ont torturés et tourmentés à tel point que, ne pouvant trouver sécurité parmi eux, nous sommes venus dans ce pays avec l'espoir que tu nous protégeras de leur oppression." En entendant ce récit, le roi refusa de rendre les réfugiés aux Qorayshites.
Bien que le cercle de ses disciples qui, au péril de leur vie, se tenait autour de Mohammed en eût été éloigné, Mohammed lui-même était resté bravement au pays et poursuivait la mission de sa vie à travers les insultes et les outrages. Le voyant séparé de ses disciples, les Qorayshites revinrent à la charge pour le tenter avec la promesse d'honneurs et de richesses, mais la réponse de ce cœur sincère était: "Je ne souhaite ni richesses, ni honneurs, ni royaume. Je suis envoyé par Dieu qui m'a ordonné de vous annoncer la bonne nouvelle. Je vous donne les paroles de mon Seigneur. Si vous acceptez le message que je vous apporte, Dieu vous sera favorable dans ce monde et dans l'autre. Si vous rejetez mes exhortations, je serai patient et je laisserai à Dieu le soin de juger entre vous et moi." Ils riaient et se gaussaient de ses paroles et se moquaient de ses enseignements, mais sa simple foi et sa confiance dans le Dieu vivant et dans les divins commandements était inébranlable. Ils commencèrent à lui demander de faire des miracles pour leur prouver qu'il était un prophète. Ils lui demandèrent de faire surgir des puits et des rivières, de faire descendre les cieux sur la terre, de déplacer des montagnes, de construire une maison en or, de monter aux cieux par une échelle. Ce grand pionnier du rationalisme répliquait: "Dieu ne m'a pas envoyé pour faire des miracles; Il m'a envoyé pour vous prêcher. Que mon Seigneur soit loué. Suis-je autre chose qu'un homme envoyé comme apôtre? Les anges ne marchent généralement pas sur la terre, sans quoi Dieu aurait envoyé un ange pour vous prêcher Sa vérité. Je n'ai jamais dit que je détiens les trésors d'Allah, que je connais les choses cachées ou que je suis un ange, moi, qui suis même incapable de m'aider moi-même ou de me fier à moi-même sans qu'il plaise à Dieu."
Sans prétentions extravagantes, sans phrases hyperboliques, sans chercher à charmer par son caractère ou sa personnalité, il continuait de dire: "Je ne fais que prêcher les paroles de Dieu, je ne fais qu'apporter le message de Dieu à l'humanité." De la première à la dernière, aucune phrase ne lui échappait qui puisse être interprétée comme un culte de la personnalité; chaque mot était dit avec une clarté d'esprit et d'expression qui traduisait une parfaite sobriété, et c'est cela qui était remarquable en lui compte tenu de l'époque et de l'environnement. Du début à la fin, on découvre la douceur et l'humilité devant Dieu qu'il conserva sa vie durant.
Mais comment les oreilles des Qorayshites pouvaient-elles entendre les mots divins qui sortaient de la bouche de Mohammed? Et comment leurs yeux pouvaient-ils voir l'immanence de Dieu dans la nature lorsque leurs regards étaient tournés vers leurs hideuses idoles? Ils disaient: "Sache ceci, Mohammed, nous ne cesserons jamais de t'empêcher de prêcher jusqu'à ce que mort s'ensuive pour toi ou pour nous." Que peut comprendre l'insensé de ce que dit le sage? Que peut percevoir le rocher de ce que le cœur ressent?
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Dans le manuscrit original qui se rapporte à ce chapitre, on trouve aussi le passage ci-après. Bien qu'il fût supprimé, il peut être intéressant de conserver cette interprétation des vers dits sataniques :
"L'intelligence poussa Mohammed à se réconcilier avec eux. Si pour le simplet un fait un et deux font deux, pour le sage un fait un et deux fait un, répété deux fois. Pour les réconcilier il leur dit : 'Que pensez-vous de Al-Lat, Al-Azza et Ma'nat, le troisième après eux ?' Ceux-ci étaient les noms qu'ils avaient idéalisés et adorés pendant des siècles. Un adorateur possédé par le démon et présent parmi eux s'écria : 'Ce sont des Dames très hautes dont on peut espérer l'intercession auprès de Dieu.'
Ces mots furent censés faire partie de la révélation du Prophète. A ces mots les Qorayshites furent pleinement réconciliés, parce que les mots du diable voilèrent un instant les mots de la Vérité lorsque Mohammed parla et fut interrompu au milieu de sa phrase".
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