Avoir égard à sa dignité, ce qu'en d'autres mots on peut appeler respect de soi-même, n'est pas une préoccupation qu'on peut omettre quand on considère l’art de la personnalité. De quoi s'agit-il, et comment y parvenir? Toute manière de légèreté et toute tendance à la frivolité doit être extirpée de sa nature afin de maintenir cette dignité qui est précieuse pour la personne. Celui qui ne s'en soucie pas, n'a pas besoin de s'en préoccuper; cela ne concerne que celui qui attache de l’importance au respect de soi-même. Une personne qui a du respect pour elle-même sera respectée par les autres, même sans qu'on prête attention à son pouvoir, sa situation, ses possessions, son rang. Quelle que soit sa situation dans la vie cette personne commandera le respect.

On peut soulever la question suivante: la légèreté n'a-t-elle alors aucune place dans la Vie, n'est-elle aucunement nécessaire? Tout est nécessaire, mais chaque chose a son temps. La dignité n'est pas dans un visage allongé; on ne montre pas son respect par le froncement des sourcils, le regard sévère; en se raidissant, on ne rend pas honneur à quelqu'un; la dignité n’est pas dans la tristesse ou la dépression. Il s'agit seulement de trouver pour chacune de ses activités le moment approprié. Il y a un temps pour rire, il y a un temps pour être sérieux. La personne qui rit sans cesse, son rire perd son pouvoir. La personne qui est toujours d'humeur légère ne dispose pas de ce poids qui est nécessaire dans la société. Par ailleurs la légèreté fait souvent que l'homme offense les autres sans en avoir l'intention. Celui qui n'a pas de respect pour lui-même n'a pas de respect pour les autres. Il peut penser sur le moment qu'il est au-dessus des conventions et libre d'exprimer ses sentiments, mais il ne sait pas que cela le rend léger comme un morceau de papier, promené de-ci delà, dans l'espace, par le vent.

La vie est comme une mer, et plus loin l'on voyage sur cette mer, plus on a besoin d'un vaisseau lesté. Ainsi dans cet océan de la vie, si un homme sage veut y mener son existence, une certaine gravité est nécessaire qui donne de l'équilibre à la personnalité. La sagesse donne cette gravité; son absence est la marque de la sottise. La cruche pleine d'eau est lourde. C'est l’absence d'eau dans la cruche qui la rend légère, comme l'homme sans sagesse est léger.

Plus on étudie et comprend l'art de la personnalité, plus on trouve que c'est dans l'ennoblissement du caractère que réside l'avancement vers le but de la création. Toutes les vertus diverses, manières raffinées et belles qualités sont filles de la noblesse de caractère. Mais où est la noblesse de caractère? Elle est dans la largeur de vue.

Question: Est-ce qu'une situation élevée n'est pas quelquefois en opposition avec des impulsions à la bonté, à la douceur? Par exemple: un roi sur son trône, ou un juge au tribunal peut avoir le désir de donner sa place confortable à quelqu'un d'autre, quelqu'un qui est faible, et pourtant son entourage exigera qu'il garde son siège d'honneur.

Réponse: Quand une personne a la charge de quelque chose, il vaut mieux qu'elle observe les devoirs de cette charge. Par exemple, voici le juge qui siège dans le fauteuil du juge; une personne de l'assistance est trop faible pour se tenir debout. De la part du juge, c'est montrer une bonté suffisante que de faire apporter une chaise. S'il donnait son propre fauteuil, il ne remplirait pas correctement les devoirs de sa charge. Mais quand il ne siège pas à la cour, alors il peut montrer librement sa bonté.

Question: Quelle est la manière la plus rapide d'atteindre à la dignité?

Réponse: En apprenant à penser, on développe la dignité dans sa nature. Plus on devient réfléchi, plus naturellement on acquiert la dignité, car la dignité prend sa source dans la réflexion. Une personne qui offense les autres est toujours légère, et celui qui est léger est insensé. On peut paraître intelligent et cependant être léger, car on ne va pas plus loin que l'intelligence mondaine et très souvent cette forme d'intelligence tombe à vos chevilles comme une chaîne de fer.

Comme le dit Sa'di:

"Mon intelligence, combien de fois tu agis contre moi!"