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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Le pouvoir du silence
La Santé
L'Art d'Être

Chapitre 20
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

D'un point de vue scientifique je dirais que la parole est une rupture de souffle. Dans le Védanta, le souffle s'appelle prana, c'est à dire "vie". On peut dire que le souffle est la chaîne qui relie le corps, le cœur et l'âme. Le souffle est si important que le corps, ce corps tant aimé et choyé, logé dans des palais, soigné par des médecins et des médicaments au moindre petit rhume, à la moindre petite toux, ce corps n'est plus d'aucune utilité et ne peut plus être préservé lorsque le souffle s'est arrêté. La parole est une rupture de souffle parce qu'en parlant on respire dix fois pendant le temps nécessaire à une respiration normale. On dit " Où allez-vous ? " et ces trois mots prennent deux respirations.

 

La respiration est comme le cerceau avec lequel l'enfant joue. Le cerceau fait un certain nombre de tours suivant la force du coup d'envoi et quand la force est épuisée, le cerceau retombe. Elle est comme le tic-tac d'une pendule. La pendule fonctionne pour le temps où elle a été remontée. Cela peut être 3 jours, 24 heures, une semaine ou un mois. Elle ne fonctionnera pas plus longtemps car elle n'a pas été remontée pour cela. La respiration est comme la toupie d'un enfant. Suivant sa force de rotation, la toupie fera un certain nombre de tours, chaque tour entraînant le suivant et quand la force est épuisée, la toupie retombe. A partir de la première respiration, la vie durera un temps déterminé par un nombre de respirations.

 

En parlant, nous écourtons tellement notre vie! Une journée de silence signifie une semaine de vie en plus et davantage; une journée de parole signifie une semaine de vie en moins. Depuis des temps reculés, il y a eu en Indes des mystiques appelés Mouni; ils ne parlent jamais. Ils ont évidemment d'autres particularités, mais on les appelle mouni parce qu'ils s'abstiennent de parler. Ils ont souvent vécu beaucoup plus longtemps que nous ne vivons aujourd'hui: trois cents ans, cinq cents ans et plus.

 

Quand on ne parle pas, la respiration n'est pas interrompue, elle reste égale et régulière. Les mystiques ont toujours attaché une grande importance au souffle et en ont fait le premier objet de leurs études. Ceux qui ont maîtrisé le souffle ont maîtrisé leur vie; ceux qui ne l'ont pas maîtrisé sont ceux-là qui souffrent d'épuisement, de paralysies et de toutes espèces de maladies. Certains l'ont maîtrisé inconsciemment comme les boxeurs et les lutteurs, ou encore ceux qui ont mené une vie régulière.

 

A notre époque, l'on est devenu si friand de paroles que, seul à la maison, l'on veut sortir, ne fût-ce que pour trouver quelqu'un à qui parler. Souvent quand on est seul, on parle aux objets. Beaucoup se parlent à eux-mêmes s'ils n'ont personne à qui parler. Si on le leur expliquait, ils comprendraient toute l'énergie perdue pour chaque parole. Le silence comporte d'autres grands bienfaits mais son pouvoir est déjà très important par le gain d'énergie et de vitalité qu'il procure.

 

D'un point de vue moral, je dirais que le silence présente de nombreux avantages. Nous commettons la plupart de nos sottises en paroles. En l'espace d'une semaine nous commettons une sottise en acte pour mille sottises en paroles. Nous offensons souvent quelqu'un, nous le blessons, rien qu'en parlant trop. Si nous nous étions tus, nous ne l'aurions pas blessé. Il y a des familles qui ne cessent de se disputer pour la seule raison qu'on y parle trop.

 

On raconte l'histoire d'une femme qui vint trouver un guérisseur et lui dit: " Mon mari a très mauvais caractère; chaque soir, lorsqu'il rentre à la maison, il me réprimande et cela se termine par des disputes très déplaisantes. Auriez-vous un remède? ". " Bien sûr ", dit le guérisseur. Il lui donna sept bonbons et ajouta: " Ce sont des bonbons magiques. Lorsque votre mari rentrera, mettez-en un dans votre bouche ".C'est ce que fit la femme, et ce soir-là il n'y eut pas de querelle - un miracle après dix ans de disputes continuelles! Le lendemain la femme revint chez le guérisseur, le remercia mille fois et lui dit qu'il avait fait un vrai miracle." Je ne sais comment vous remercier -dit-elle - Voudriez-vous me donner une grande boite de ces bonbons pour qu'ils durent un certain temps?". Le guérisseur répondit: " Les bonbons ne sont pas nécessaires. Ce qu'il vous faut, c'est faire silence". Ceci nous enseigne que souvent nous nous disputons parce que nous parlons. Le silence est un grand pacificateur "Bienheureux les pacificateurs" dit l'Evangile.

 

Ensuite il y a l'exagération. Les idéalistes, les admirateurs, exagèrent tout. Si quelqu'un sort et voit un avis annonçant l'arrivée d'un Zeppelin (Hazrat Inayat Khan vivait alors à Londres pendant la Première Guerre Mondiale), pour effrayer ses amis il leur annoncera l'arrivée de vingt Zeppelins. Ses amis en seront alarmés et cela le réjouira. Ou si un idéaliste s'entiche d'une personne, il dira qu'elle est pour lui tout à la fois le soleil, la lune et le ciel. Il n'est pas nécessaire d'en dire tant.

 

Parler développe une tendance à la contradiction. Quoi qui se dise, on veut en prendre le contre-pied. Une telle personne devient comme un boxeur ou un lutteur et elle est déçue si elle n'a pas d'adversaire, tant est grand son besoin de parler. J'ai souvent remarqué cela et je vais vous en raconter un exemple. Je me trouvais à une réception chez un ami. Il y avait là quelqu'un qui argumentait à tout propos et tout le monde en était fatigué. J'évitais cet individu, mais mon ami me poussa vers lui, et je fus bien obligé de lui parler. Quand il apprit que je donnais des conférences et que j'enseignais la philosophie, il se dit : " Voilà ce qu'il me faut ".

 - Je ne crois pas en Dieu, dit-il.

Comme le travail du Soufi est d'unir et d'harmoniser, je lui dis
- Vraiment? Mais vous croyez en cette manifestation, en la beauté de ce monde de variété, et qu'il existe derrière tout cela une force créatrice?

- Oui, mais je n'appelle pas cela Dieu.

- Vous croyez que tout effet a une cause et qu'à toutes ces causes, il doit y avoir une cause originelle. Vous l'appelez "cause", moi je la nomme "Dieu"; c'est la même chose.

- Je crois cela, mais pourquoi adorerais-je cette personnalité? Pourquoi l'appellerais- je Dieu?

- Il y a bien un fonctionnaire que vous saluez, un supérieur devant qui vous vous inclinez, il y a vos père et mère que vous respectez, il y a une certaine jeune fille que vous chérissez, une force qui vous dépasse. Quelle grandeur doit avoir cette Personne qui les a créés et les gouverne tous, et comme Elle est digne d'admiration!

- Mais je n'appelle pas cela la divinité, j'appelle cela l'énergie universelle, une affinité qui travaille mécaniquement et qui harmonise l'ensemble.

Lorsque je tentais de le fixer sur un point, il passait à un autre et quand je le rejoignais sur ce point-là, il en changeait à nouveau. Je finis par y renoncer en pensant aux paroles de Shankaracharya: " Toutes choses impossibles peuvent être rendues possibles, sauf d'amener l'esprit d'un insensé sur un point de vérité ".

 

La tendance à la contradiction est si forte que si quelqu'un entend ses propres idées dans la bouche d'un autre, il dira le contraire pour le seul plaisir de la discussion. Un dicton persan proclame: " 0 Silence! tu es une bénédiction inestimable: tu couvres la bêtise de l'insensé et au sage tu donnes l'inspiration ".

 

Que de bêtises nous disons par la seule habitude de parler! Que de mots inutiles! Si on nous présente quelqu'un nous devons lui parler sous peine de paraître impolis. Et on a alors une conversation du genre: " Il fait beau aujourd'hui " ou " Il fait froid ", et on parle de la saison. Propos vides qui finissent par devenir une maladie au point qu'on ne peut plus parler sans farcir la tête d'autrui avec des choses inutiles. On ne peut vivre un instant sans parler pour le plaisir. On aime tellement parler qu'on racontera parfois l'histoire de sa vie à un étranger sans lui laisser le temps de placer un mot; et il trouvera cela si ennuyeux qu'il aura envie de dire: " Mais je me moque éperdument de ce que vous me racontez! ".

 

Les gens laissent aussi échapper des secrets qu'ensuite ils regrettent d'avoir dévoilé, mais sous l'emprise de la parole ils disent des choses qu'ils n'auraient jamais voulu que quiconque sache. Sur le moment même, ils ne s'en soucient pas. Toujours sous l'emprise de la parole, quelqu'un peut se laisser aller à de l'impertinence, à de l'orgueil, à des préjugés dont il se repent ensuite. C'est le manque de maîtrise de la parole qui est cause de tout cela.

 

Un mot parfois, a plus de prix que tous les trésors du monde. Et parfois aussi un mot peut faire mettre la main à l'épée. Un proverbe dit: " Une langue adoucie est l'épée qui conquiert le monde."

 

Il y a différentes manières de recevoir l'inspiration, mais la meilleure est le silence. Tous les mystiques ont gardé le silence. Tous les grands hommes que j'ai rencontrés au cours de mes voyages en Inde et ailleurs faisaient silence pendant deux ou trois heures par jour ou au moins pendant une heure.

 

Il y avait à Hyderabad un mystique appelé Shah Khamosh. On l'appelait ainsi à cause de son silence. Lorsqu'il était jeune, c'était un garçon très intelligent et énergique. Il vint un jour chez son Murshid et, comme d'habitude, il avait des questions à lui poser. Le Murshid, qui était en extase et ne désirait pas parler, lui dit: "Tais-toi! Khamosh ". Le garçon en fut très frappé; jamais il n'avait entendu cela de la bouche de son Murshid, qui était toujours très aimable, indulgent et prêt à répondre à ses questions. Cette leçon lui suffit pour le reste de sa vie car c'était quelqu'un d'intelligent. Il rentra chez lui et ne parla pas à sa famille, pas même à ses parents. Son Murshid le voyant silencieux ne lui parla pas. Shah Khamosh ne parla plus pendant plusieurs années et ses pouvoirs devinrent si grands qu'il suffisait de le regarder pour être inspiré. Partout où son regard se posait, il guérissait. Ceci se passait il n'y a pas si longtemps, vingt cinq ans peut-être.

 

De nos jours, l'activité a tellement augmenté que nos occupations nous tiennent en mouvement du matin au soir sans la moindre possibilité de repos. Le soir nous sommes si fatigués que nous ne demandons qu'à dormir et le lendemain cela recommence. C'est très dommageable pour la qualité de la vie. L'homme ne pense pas à la vie; il est si avide de plaisirs qu'il ne pense pas à jouir de la vie. Chacun devrait avoir au moins une heure de calme, de silence par jour.

 

Après le silence de la parole, vient le silence de la pensée. Une personne peut parfois rester silencieuse, mais ses pensées sautent de haut en bas sans arrêt. L'esprit ne souhaite pas les pensées, mais elle arrivent. L'esprit leur est ouvert comme une salle de bal et elles y dansent en rond. Il faut alors rendre une seule pensée si intéressante, si importante qu'elle écartera toutes les autres.

 

Lorsqu'on a imposé le silence aux pensées vient le silence du cœur Vous pouvez ne pas dire du mal de quelqu'un, n'avoir pas de pensée malveillante envers lui, mais s'il existe dans votre cœur un sentiment d'amertume à son égard, il le sentira. Il en est de même de l'amour et de l'affection.

 

 L'abstrait est cette existence au-delà de ce monde où toute vie se confond, où tout se rejoint. Le son de l'abstrait est présent et lorsque ce son a été, lui aussi, rendu silencieux, celui qui passe au-delà atteint l'état le plus élevé, Najat, la Conscience Eternelle. Il faut évidemment un grand effort pour atteindre cet état.

 

Le silence est certainement un remède à beaucoup de choses mais celui qui vit dans le monde ne peut le pratiquer continuellement. Il doit surveiller ses paroles et se rappeler que chacune d'entre elles lui vaudra ou le ciel ou l'enfer.

 

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