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Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


L'ivresse de la vie - 1
L'Alchimie du Bonheur
Chapitre 21
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan


Texte original en anglais

Il y a bien des choses diverses qui sont enivrantes dans la vie, mais si nous considérions la nature de la vie, nous nous rendrions compte que rien n'est plus enivrant que la vie elle-même. Nous pourrons voir la vérité de cette idée en pensant à ce que nous étions hier et en le comparant avec notre condition d'aujourd'hui. Notre bonheur ou notre malheur, notre richesse ou notre pauvreté d'hier sont pour nous comme un rêve, seule notre condition d'aujourd'hui compte.

Cette vie de hauts et de bas continuels et de perpétuels changements est comme l'eau courante, et avec le courant de cette eau, l'homme pense : "Je suis cette eau" ; en réalité il ne sait pas ce qu'il est. Par exemple, si un homme passe de la pauvreté à la richesse et si cette richesse lui est enlevée, il se lamente ; et il se lamente parce qu'il ne se rappelle pas qu'avant de posséder ces richesses, il était pauvre et de cette pauvreté il était parvenu à la richesse. Si l'on peut considérer ses propres fantaisies au cours de la vie, l'on constatera qu'à chaque stade de son propre développement, l'on a eu une certaine fantaisie ; parfois l'on a langui pour certaines choses et à d'autres périodes l'on ne s'en est plus soucié. Si l'on peut regarder sa propre vie en spectateur, l'on trouvera que ce n'était rien d'autre qu'une ivresse. Ce qui à un moment donne à l'homme grande satisfaction et orgueil l'humilie à un autre moment, ce qu'à un moment quelqu'un trouve agréable, à un autre l'ennuie, ce qu'à un moment il considère comme de grande valeur, à un autre il n'en donne aucune.

Si l'homme peut observer de près ses actions dans la vie courante et s'il possède un sens éveillé de la justice et de la compréhension, il se surprendra en train de faire quelque chose qu'il n'avait pas l'intention de faire, de dire quelque chose qu'il n'aurait pas aimé dire, ou de se conduire de telle sorte qu'il se demande : "Pourquoi ai-je été aussi bête ?" Parfois il se permet d'aimer quelqu'un, d'admirer quelqu'un ; cela continue des jours, des semaines, des mois, des années (quoique 'des années' soit bien long) ; et puis il pense "Oh, je me suis trompé", ou bien il arrive quelque choses qui est plus attirant ; alors il prend un autre chemin ; il ne sait pas où il est, ni qui il aime. Dans l'action et la réaction de sa vie, parfois l'homme fait des choses sous une impulsion, sans considérer ce qu'il fait, et à d'autres moments, il est pour ainsi dire sous l'emprise de la bonté et il continue à faire ce qu'il pense être bien ; puis à d'autres moments une réaction arrive et toute sa bonté s'en va. Et puis dans les affaires, les professions libérales et le commerce, l'homme a une impulsion de : "Je dois faire ceci, il me faut faire cela" et il semble avoir toute force et tout courage, et parfois il continue et parfois cela ne dure qu'un jour ou deux, puis il oublie ce qu'il faisait et il fait quelque chose d'autre.

Cela montre que l'homme dans sa vie au milieu des activités du monde est comme un petit morceau de bois soulevé par les vagues de la mer quand elles s'élèvent et qui chute quand ces vagues s'abaissent. C'est pourquoi les Hindous ont appelé la vie dans le monde Bhavasagara, un océan, un océan toujours en mouvement. Et la vie de l'homme flotte sur cet océan de l'activité du monde, et il ne sait pas ce qu'il fait, il ne sait pas où il va. Ce qui lui semble avoir de l'importance n'est que le moment qu'il appelle le présent ; le passé est un songe, l'avenir est dans un brouillard, et la seule chose qui lui soit claire est le moment même.

L'attachement, l'amour et l'affection de l'homme dans la vie du monde ne sont pas très différents de l'attachement des oiseaux et des animaux. Il y a un temps où l'hirondelle prend soin de ses petits et apporte des graines dans son bec pour les mettre dans le bec de ses petits, et ils attendent anxieusement la venue de la mère qui leur met le grain dans le bec. Cela continue jusqu'à ce que leurs ailes aient poussé, et une fois que les petits connaissent les branches de l'arbre et ont volé alentour dans la forêt sous la protection de la bonne mère, ils ne reconnaissent plus cette mère qui pour eux était si tendre.

Il y a des instants d'émotion, il y a des impulsions d'amour, d'attachement, d'affection, mais il vient un moment où ils passent, pâlissent et disparaissent. Et il vient un moment où une personne pense qu'il y a quelque chose d'autre qu'elle désire et quelque chose d'autre qu'elle voudrait aimer. Plus on pense à la vie de l'homme dans le monde, et plus on en vient à comprendre qu'elle n'est pas très différente de la vie d'un enfant. L'enfant se prend de fantaisie pour une poupée et puis se fatigue de la poupée et se prend de fantaisie pour un autre jouet. Et quand il est dans la fantaisie de la poupée ou du jouet, il pense que c'est la chose au monde qui a la plus grande valeur ; et il vient un temps où il déchire la poupée et casse le jouet. Ainsi en est-il de l'homme ; son domaine d'intérêt est peut-être différent, mais son action est la même. Tout ce que l'homme considère comme important dans la vie, comme amasser des richesses, posséder un patrimoine, atteindre à la renommée et s'élever à une situation qu'il considère comme idéale, tous ces objectifs qu'il tient devant lui ont seulement un effet enivrant ; mais après avoir atteint son objectif, il n'est pas satisfait. Il pense qu'il y a peut-être quelque chose d'autre qu'il veut, que ce n'est pas cela qu'il voulait. Quoi qu'il désire, il sent que c'est plus important que tout, mais après l'avoir atteint, il pense que ce n'est plus important du tout et il veut quelque chose d'autre. En toutes choses qui lui plaisent et le rendent heureux, dans ses amusements, théâtre, films, golf, polo ou tennis, il semble que ce qui l'amuse c'est d'être engagé dans un problème et de ne pas savoir où il va ; il semble qu'il désire seulement meubler son temps. Et ce que l'homme appelle plaisir est ce moment où il est pleinement enivré par l'activité de la vie. Tout ce qui couvre la réalité à ses yeux, tout ce qui lui donne une certaine sensation de vivre, tout ce à quoi il peut s'adonner et qui le rend conscient d'une activité quelconque, c'est ce qu'il appelle plaisir.

La nature de l'homme est telle que, n'importe à quoi il s'habitue, c'est là que sera son plaisir : que ce soit manger, boire ou quoi que ce soit d'autre. S'il s'habitue à ce qui est amer, l'amertume lui donnera du plaisir ; s'il s'habitue à ce qui est acide, alors l'acidité lui donnera du plaisir ; s'il s'habitue à manger des bonbons, alors il aimera les sucreries. Il y a des gens qui prennent tellement l'habitude de se plaindre de leur vie que quand ils n'ont aucun motif de plainte, ils cherchent quelque chose dont ils puissent gémir. D'autres, qui ont besoin de la sympathie de leur prochain, afin de se plaindre qu'on les a vilainement traités, cherchent quelque mauvais traitement pour s'en plaindre. C'est un enivrement.

Il y a aussi tel individu qui est tombé dans l'habitude de voler ; cela lui donne du plaisir ; il est pris par cette habitude et quand une autre source de revenus lui est offerte, cela ne lui plaira pas, il n'en voudra pas.

De cette façon, les gens s'habituent à certaines choses dans la vie. Ces choses deviennent un plaisir, un enivrement. Il y a beaucoup de personnes qui prennent l'habitude de se tourmenter pour les évènements ; la moindre petite chose les bouleverse. Ils cultivent tous les petits chagrins qu'ils peuvent, ils les arrosent et les nourrissent. Et il y en a tant, aussi, qui directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, prennent l'habitude de la maladie ! Et la maladie est un enivrement plus grand que la réalité. Mais aussi longtemps qu'un homme s'accroche à l'idée de cette maladie, il la nourrit pour ainsi dire et la maladie s'installe dans son corps de sorte qu'aucun docteur ne peut l'enlever. Le chagrin et la maladie sont donc aussi une ivresse.

Ainsi l'environnement de l'homme et les conditions de la vie créent pour lui une illusion et provoquent un enivrement, de sorte qu'il est aveugle à la condition des gens qui l'entourent, comme des gens de la ville ou du pays où il vit. L'enivrement ne le tient pas seulement quand il est éveillé, mais continue dans ses rêves, comme l'ivrogne aussi qui rêvera de ce qui a rapport à son ivrognerie. S'il est joyeux ou triste, s'il a des tracas ou du plaisir, ces conditions seront celles de ses rêves ; et jour et nuit, le rêve continue. Chez quelques-uns, le rêve dure la vie entière, chez quelques autres, seulement un certain temps.

L'homme aime cette ivresse autant que l'ivrogne aime l'ivresse que donne le vin. Quand une personne voit quelque chose d'intéressant dans son rêve et que quelqu'un essaie de l'éveiller, elle veut continuer à dormir encore un moment afin de terminer ce rêve si intéressant, bien qu'elle sache que c'était un rêve et que quelqu'un l'éveille.

On peut voir cet enivrement dans tous les aspects divers de la vie ; il se manifeste même dans les aspects religieux, philosophiques et mystiques. L'homme recherche la subtilité et désire connaître quelque chose qu'il ne puisse pas comprendre ; il est très content quand on lui raconte quelque chose que sa raison ne peut saisir. Donnez-lui la simple vérité et elle ne lui plaira pas. Quand des maîtres tels que Jésus-Christ vinrent sur la terre et donnèrent le message de la vérité en paroles simples, les gens du temps dirent : "Voilà notre Livre, nous connaissons déjà cela". Mais chaque fois qu'on tâche de mystifier les gens en leur racontant des histoires de fées et d'esprits, ils sont très contents ; ils désirent comprendre ce qu'ils ne peuvent pas comprendre.

Ce que l'homme a toujours appelé vérité spirituelle ou religieuse a toujours aussi été la clé de cette vérité ultime que l'homme ne peut pas voir à cause de son ivresse. Et cette vérité, personne ne peut la donner à un autre. Elle est en chaque âme, car l'âme humaine est elle-même cette vérité. Tout ce que l'on peut donner, ce sont les moyens grâce auxquels cette vérité peut être connue. Les religions, sous des formes diverses, ont été des méthodes grâce auxquelles des hommes inspirés ont enseigné l'homme à connaître cette vérité, à bénéficier de cette vérité qui est l'âme de l'homme. Mais au lieu de bénéficier de cette manière d'une religion, l'homme n'a accepté que la partie extérieure de la religion et a combattu les autres hommes, disant : "Ma religion est la seule vraie, votre religion est fausse".

Néanmoins il a toujours existé quelques êtres sages comme ceux dont il est dit dans l'Evangile qu'ils vinrent d'Orient quand Jésus-Christ fut né, pour voir l'enfant. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'à diverses époques, il y eut des hommes sages dont la mission dans la vie était de se garder sobres en dépit de cette ivresse qui les entourait et d'aider leur prochain à acquérir la sobriété. Parmi ceux que leur sobriété rendait sages, il y en avait qui étaient d'une grande inspiration aussi bien que d'un grand pouvoir et contrôle sur eux-mêmes et sur la vie au-dedans et au-dehors. Ceux-là furent ces hommes sages qu'on a appelés saints, sages, prophètes et maîtres.

Mais même lorsqu'il a suivi et accepté ces hommes sages, l'homme, de par son ivresse, a monopolisé l'un d'eux comme étant "Son" prophète ou "Son" maître et a combattu les autres, montrant de cette façon son intoxication et son ivresse. Et tout juste comme un homme pris de boisson cognera et frappera sans y penser une autre personne qui est différente de lui, qui pense ou sent ou agit différemment de lui-même, ainsi pour la plupart, les grands êtres du monde qui vinrent pour l'humanité ont été tués, crucifiés, tourmentés ou torturés. Mais ils ne s'en sont pas plaint ; ils l'ont pris comme une conséquence naturelle ; ils ont compris qu'ils étaient dans un monde d'intoxication ou d'ivresse et qu'il est naturel pour un ivrogne de cogner et de faire du mal. Telle a été l'histoire du monde, dans n'importe quelle contrée où le Message fut donné.

En réalité, le Message vient d'une seule Source et c'est de Dieu, et sous quelque nom que les sages aient donné ce Message, ce n'était pas leur Message, mais le Message de Dieu. Ceux dont le cœur avait des yeux pour voir et des oreilles pour entendre ont connu et ont vu le même Messager, parce qu'ils ont reçu le Message. Et ceux dont le cœur n'avait ni yeux ni oreilles ont pris le Messager comme étant important, et non pas son Message. Mais quelle que fût l'époque où vint le Message et quelle que fût la forme dont le Message fut revêtu, ce fut seulement cet unique Message, le Message de la sagesse.

Et il semble que l'enivrement du monde n'ait cessé de croître jusqu'au point où est arrivée la grande et désastreuse effusion de sang par laquelle le monde est récemment passé, et dont on ne peut pas trouver l'équivalent dans l'histoire du monde. Cela montre que l'ivresse du monde a atteint son sommet. Et personne ne peut nier que même à présent le monde n'est pas plus sobre, que même à présent on peut trouver les preuves de cette ivresse dans l'agitation du temps, même si la grande effusion de sang est pour le moment finie.

Le mouvement Soufi tire son origine de sophia, sagesse, le message de la sagesse. Son but est le même que fut à toutes les périodes de l'histoire du monde celui du Message, d'amener la sobriété dans l'humanité, d'amener cet amour pour son prochain. Il est certain que la politique ou l'éducation ou les affaires sont des moyens pour amener les gens de races ou de nations différentes en contact les uns avec les autres, mais la vérité spirituelle et la compréhension de la vie sont les seuls moyens d'amener ce sentiment fraternel dans le monde, que rien d'autre ne peut amener.

Ce Message ne travaille pas pour former une communauté exclusive, car il y a déjà tant de communautés se combattant l'une l'autre, mais l'objet du Message est d'amener une meilleure compréhension entre différentes communautés dans la connaissance de la vérité. Ce n'est pas une nouvelle religion - et comment pourrait-ce être une nouvelle religion quand Jésus-Christ a dit : "Je ne suis pas venu pour donner une nouvelle loi, je suis venu pour accomplir la religion". C'est la combinaison des religions.

L'objet principal de ce mouvement est de revivifier les religions du monde, rassemblant de cette manière les fidèles de religions différentes dans une compréhension fraternelle et dans la tolérance. Tous sont reçus les bras ouverts dans l'Ordre des Soufis ; quelle que soit leur religion, à quelque Eglise qu'ils appartiennent, quelque croyance qu'ils aient, on ne s'ingère pas en elles. Il y a une aide et une direction personnelles dans les méthodes de méditation. Il y a un cursus d'études qui considère les problèmes de la vie ; et le but principal de chaque membre de l'Ordre est de faire tout ce qui est en son pouvoir pour amener cette compréhension, afin que toute l'humanité puisse devenir une seule fraternité dans la Paternité de Dieu.

 

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