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Note sur la Silsila Soufian

Mémorial de Murshida Sharifa Goodenough
 Silsila Sufian
(1876-1937)

Elise Schamhart et Michel Guillaume


 

Dans le cours de ce Mémorial, il a été plusieurs fois mention de la Silsila Soufian. La page de couverture porte aussi ces mots ainsi que l’image du sceau qui en est le signe. Que signifie donc cette Silsila Soufian et en quoi concerne-t-elle la fonction et la destinée de Murshida Sharifa Goodenough ?

En 1925, Pir-o-Murshid Inayat Khan donna à Murshida Sharifa la charge de transmettre aux soufis qui devaient venir après lui le « lien mystique » reliant entre eux tous les Maîtres qui l’avaient précédé sur la terre, afin que l’esprit du Soufisme perdure sans s’éteindre, ni se ternir. Et pour matérialiser cet acte, il fit graver un sceau à son nom qui en indiquait la charge.

La signification de la Silsila, (la ‘Chaîne’ en français) est à la fois très importante pour la compréhension du Soufisme et très subtile dans sa réalité. Elle n’a même pas toujours été bien comprise au sein du Mouvement Soufi (quelqu’un – qui aurait dû mieux savoir - a dit jadis que Murshid avait conféré ce titre à sa collaboratrice « pour la récompenser », confondant cette charge avec une sorte de médaille ou de décoration !) C’est une raison supplémentaire pour nous étendre quelque peu.

Qu’est-ce donc que la silsila dans l’idée d’un Soufi ? Il s’agit, nous dit Pir-o-Murshid Inayat Khan : du « flux entier de la vie spirituelle se manifestant à travers les âmes illuminées qui forment l’Esprit de Guidance ». Autrement dit, ces âmes illuminées, ces Guides dans la voie spirituelle, forment une chaîne suivie –la silsila– et ils sont les véhicules du courant divin d’illumination. Quant au flux, au courant divin d’illumination, on l’appelle en arabe la Baraka. C’est dans ce sens que les musulmans qui ont quelque compréhension de ces choses parlent de la Baraka du Prophète.

On peut aussi en donner une définition plus scolaire. Voici l’une d’entre elles :

« Les enseignements dispensés dans les Ordres soufis sont supposés être transmis grâce à une chaîne de succession plus ou moins continue ayant son origine dans le Fondateur. Une telle chaîne s’appelle Silsila (pl. Salâsil) » écrit par exemple John A. Subhan, dans :’Sufism, its saints and shrines’. Ce genre de définition possède le mérite de pouvoir être comprise par tous. Mais elle ne touche pas le fond du sujet.

Il est néanmoins intéressant d’examiner de plus près une telle définition. La première phrase nous dit : « les enseignements dispensés dans les Ordres Soufis » De quels enseignements s’agit-il ? Dans certains Ordres soufis, on fait la distinction entre d’une part la Silsila el weird, c’est-à-dire la transmission des pratiques, des prières, des méditations, etc., par le Sheikh, l’instructeur responsable d’un groupe, aux membres de ce groupe, et d’autre part, la Silsila el Baraka. Et cela amène une autre question : qui peut transmettre à un autre la Baraka, le courant de vie et d’illumination spirituelle venu des sphères d’en-haut ?

Nous entrons là dans un sujet très sacré et en même temps très subtil que les mots ont de la peine à évoquer. Disons d’abord que ce courant subtil et pénétrant issu des sphères divines, un être humain convenablement préparé peut en devenir l’instrument, le canal. Ce courant illumine et spiritualise l’individu. Il arrive que ce courant ne fasse qu’illuminer un seul disciple, sans que celui-ci puisse le transmettre à d’autres. Mais il arrive aussi à des êtres choisis, dont la pureté et l’intensité de rayonnement sont plus grandes, de pouvoir le partager avec le cœur d’un ou de plusieurs disciples, et ainsi de les illuminer à leur tour. Ce sont ces êtres bénis qui composent la chaîne des Maîtres, la Silsila.

Cependant il est non seulement question de la Silsila, mais, de plus, de la Silsila Soufian. Qu’est-ce à dire ? Y aurait-il une Baraka spécifique au Soufisme, différente de celle des initiés chrétiens, juifs ou hindouistes ?

On ne peut répondre que non, et cependant que oui. Non, parce que le flux d’illumination qui s’origine au divin ne peut être qu’un seul flux : il est évident qu’il n’y a pas deux Dieux, ni autant de Dieux qu’il y a de religions et d’écoles initiatiques ! Et cependant oui, quelque chose dans ce flux est spécifique à chacune de ces religions et de ces écoles et il convient d’expliquer pourquoi et comment.

Pour comprendre qu’il y ait ces nuances, reprenons la définition de John A. Subhan. Il mentionne ’une succession… ayant son origine dans le Fondateur’. Cette notion du Fondateur va servir à nous éclairer. Mais comme les mots sont trop pauvres et qu’un langage abstrait n’est pas le meilleur lorsqu’on entre dans ces questions subtiles, qu’on daigne nous permettre d’avoir recours à des analogies.

 

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Pir-o-Murshid a prononcé un jour une parole très éclairante, bien qu’assez mystérieuse, quand il a dit que le premier des instruments à cordes, la lyre, a été faite sur le modèle du cœur humain. On pourrait imaginer que c’est à cause de la forme de la lyre qui rappellerait – même vaguement – la forme d’un cœur ? Mais ce n’est aucunement le cas ! En fait, la comparaison est musicale. C’est parce que chacune des cordes d’une lyre vibre différemment, tout comme le cœur humain vibre différemment à chaque nuance de sentiment qui l’agite. Et de même qu’on peut composer une certaine mélodie sur les cordes d’une lyre bien accordée, de même le divin Musicien peut jouer Sa partition sur un cœur attentif à Sa musique.

Et il y a une seconde parole, beaucoup plus définitive, que Pir-o-Murshid nous a laissée : «Celui qui connaît le mystère des vibrations connaît en réalité toutes choses». Autrement dit toutes choses sont, intimement, composées de vibrations, dans tous les plans de la création. Si dans l’univers des sons audibles, il en est ainsi, il en est encore ainsi dans le monde spirituel. Or, chacun des grands Maîtres de la voie intérieure, entendant la céleste musique de la baraka, la transmet avec la tonalité propre de son cœur. C’est pourquoi ce que l’on peut parfois percevoir dans un monastère chrétien par exemple peut être tout aussi apaisant, tout aussi élevant, tout aussi inspirant et merveilleux, et cependant différent de ce que l’on peut recevoir auprès d’un véritable Pir soufi, c’est–à-dire un être devenu l’instrument qui émane et interprète la musique propre à son Ordre, car la nuance est différente d’un Ordre Soufi à un autre. Autrement dit, la musique intérieure qui est à l’arrière-plan d’un Ordre, qui lui dicte sa manière de travailler avec les âmes, de les guider, lui est spécifique. Rien n’est interchangeable dans le monde de l’Esprit, sous peine de perturber la Musique du Créateur.

Et puis il y a la Musique du Message, telle que Hazrat Inayat l’a interprétée et qu’il a fait pour ainsi dire résonner dans l’air de notre temps. Si elle perdure et se répand, c’est grâce aux âmes qui l’entendent et qui l’entendront dans l’avenir. Cette Musique du Message doit beaucoup à la musique de l’Ordre ; en fait, la musique de l’Ordre eet à son arrière-plan, un peu comme une basse continue, et lui donne un ton qui convient à l’âge de l’humanité que nous vivons aujourd’hui.

C’est par là que nous pouvons comprendre l’importance attachée par Murshid à la transmission de la Silsila, que nous avons comparée à la musique. Il avait besoin d’un canal pur pour cet office ; et il a considéré que Murshida Sharifa était peut-être la plus pure de cœur parmi ses disciples.

Une question, cependant, demeure : comment se fait-il que tous les mourîds initiés n’entendent pas la musique de leur Ordre, ni sa tonalité propre ? Leur âme l’entend, et c’est cela qui les a attirés vers cet Ordre, ou vers ce Maître. Leur cœur, lorsqu’il sera assez purifié, l’entendra à son tour.

 Pîr – Dans le Soufisme, être illuminé capable de transmettre sa lumière spirituelle à un disciple, de le conseiller et de le guider dans sa vie extérieure et intérieure. Ses caractéristiques sont exposées dans l’Invocation au Pir du Vadan.

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Il est peut-être utile, ici, de dissiper une équivoque. Parmi toutes les chaînes de succession Soufies, le nom d’aucune femme n’apparaît. Ce choix a certainement dû être choquant, à l’époque, pour certains membres masculins d’origine musulmane de l’entourage de Murshid : voir Sharifa Goodenough commise à cette charge, ce n’était plus dans la tradition ! Mais Murshid lui-même avait rompu très vite avec l’idée que la spiritualité ne pouvait être transmise que par les hommes. Il avait nommé pour l’assister dans son travail spirituel quatre Murshida s et pas un seul Murshid. En outre, sur un autre plan, il avait nommé à la tête des activités religieuses du Mouvement Soufi, une autre femme, Miss Sophia Saintsbury-Green, bien avant qu’une femme n’ait été appelée à une fonction pastorale dans une Eglise chrétienne Réformée !

Cela nous amène à une autre idée parfois émise, et souvent implicite : celle que la spiritualité féminine serait différente de celle des hommes. C’est une singulière illusion. Dans ce domaine, la distinction des sexes ne saurait s’appliquer. Pendant le retour conscient d’une âme vers sa Source - autre définition de la spiritualité – la première chose que cette âme recherche, à laquelle elle tend de toute sa force, est l’Unité divine, non pas la dualité humaine. Quel que soit son sexe, l’idée en disparaît très vite de l’aire de sa conscience, et elle en vient à comprendre que la distinction des sexes n’existe que pour la vie terrestre, pour l’expression de la beauté et pour la procréation.

De bonnes âmes demanderont (peut-être avec un brin d’angoisse pour certaines) : « Alors, nous ne rencontrerons dans l’au-delà personne de l’autre sexe que le nôtre ? » On répondra que vivre dans l’au-delà, même un au-delà très plaisant, très intéressant, n’est pas synonyme d’y chercher consciemment le divin.

Certaines âmes y continueront sûrement leur quête spirituelle, mais qu’en sera-t-il de celles qui ne l’ont pas fait ici-bas ?

 

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Mémorial Murshida Sharifa Lucy Goodenough L’héritage et l’œuvre de Murshida Sharifa Goodenough

 

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